I, L’Autobiographie comme acte judiciaire _L’autobiographie est investie d’une fonction narrative originale : elle est étymologiquement « écriture de sa...
Extrait du document
«
I, L’Autobiographie comme acte judiciaire
_L’autobiographie est investie d’une fonction narrative originale : elle est
étymologiquement « écriture de sa propre vie », narration de soi.
L’intérêt le plus évident
qu’il puisse y avoir à publier le récit de son existence est de la faire connaître, ou bien si
l’auteur est déjà célèbre, de l’éclairer sous un jour nouveau, mais en tout cas d’en faire
reconnaître une valeur jusqu’alors passée sous silence.
Ainsi, Pierre Abélard rédige
L’Histoire de mes malheurs pour réhabiliter sa conduite et son oeuvre, face au clergé et à
l’Inquisition qui les ont condamnées.
Prise dans son contenu, l’autobiographie est
fondamentalement menée par une visée « apologétique ».
_Dans son essai, Mathieu-Castellani relève non seulement cette finalité générale du genre
autobiographique, mais établit encore une correspondance entre fonctions narratives et
fonctions juridiques.
En effet, Rousseau écrit ses Confessions, premier texte
autobiographique moderne, en attribuant explicitement au lecteur la fonction de juré, et
en présentant les adjuvants et opposants de son existence romancée comme des témoins,
avocats et parties civiles, sans que ces fonctions ne soient obligatoirement fixes (Voltaire
apparaît ainsi successivement comme adjuvant, puis comme opposant au narrateur).
_La preuve la plus indiscutable de la fonction judiciaire de l’autobiographie est sans doute
le mensonge des auteurs.
Les confessions en proposent un exemple célèbre : après une
introduction dans laquelle le narrateur assure la pleine sincérité de ses dires, les premières
lignes du texte falsifient l’ascendance de Rousseau, et lui réinventent de nouveaux parents.
De cette manière, l’autobiographie reproduit la fonction juridique jusque dans la possibilité
qu’elle laisse à l’accusé de transgresser les règles qu’elle lui impose.
II, L’autobiographie comme mise en scène
_Quelle que soit la véhémence avec laquelle l’auteur affirme sa bonne foi, le « vrai » n’est
tout au plus qu’un prétexte littéraire.
Que l’autobiographie apporte des éléments fictifs ou
non, sa finalité n’est pas d’apporter au lecteur une connaissance de ce qu’elle retrace, mais
une sensibilité particulière, une qualité de regard.
Ainsi, les Mémoires de Saint-Simon
décrivent avec méticulosité la fin du règne de Louis XIV, mais quiconque lit ces chroniques
n’en retire que des éléments historiques futiles, détails minuscules de la vie de Cour.
En
revanche, l’écriture de Saint Simon laisse une impression de chant funèbre, et annonce
l’échec du mode de vie de l’aristocratie française du XVIIe siècle.
_Comment comprendre le principe de « théâtralité », appliqué à une narration
autobiographique ? Autobiographie et représentation théâtrale peuvent trouver un point
de rencontre dans le concept de « mise en scène ».
Peu différente en cela du roman,
l’écriture autobiographique manipule les événements véritables pour en faire des
compositions plastiques, et organisées comme telles dans l’espace textuel.
La Recherche
du temps perdu de Proust apparaît de cette manière comme un double travail de narration
et de construction architecturale des éléments romanesques tirés du vécu de l’auteur.
Si
le caractère « judiciaire » de l’écriture proustienne n’est pas explicite, son style lie entre
eux les événements biographique, les reconstruit pour en faire des objets de
représentation.
_La littérature est un espace dans lequel fiction et réel perdent leur différence ontologique.
Le cas original des Lettres portugaises dénonce la porosité des éléments fictionnels et réels
dont une autobiographie se compose : tandis que la critique littéraire portugaise présente
l’œuvre comme une suite de lettres d’amour écrites par une religieuse, ces mêmes lettres
sont considérées en France comme imaginées par leur prétendu découvreur et traducteur
qui est Guilleragues.
En ce sens, autobiographie et théâtre partagent un même rapport au
réel, puisque le mensonge n’y est jamais qu’un procédé....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓