Il arriva un jour... Charles Bovary, officier de santé et veuf de fraîche date, a été encouragé par un de...
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Il arriva un jour...
Charles Bovary, officier de santé et veuf de fraîche date, a été encouragé par
un de ses patients, M.
Rouault, un riche fermier, à rendre visite à sa fille Emma.
Il arriva un jour vers trois heures; tout le monde était aux
champs; il entra dans la cuisine mais n'aperçut point d'abord
Emma ; les auvents étaient fermés.
Par les fentes du bois, le soleil
allongeait sur les pavés de grandes raies minces, qui se brisaient à
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l'angle des meubles et tremblaient au plafond.
Des mouches, sur la
table, montaient le long des verres qui avaient servi, et bourdonnaient en se noyant au fond, dans le cidre resté.
Le-jour qui descendait par la cheminée, veloutant la suie de la plaque, bleuissait un
peu les cendres froides.
Entre la fenêtre et le foyer, Emma cousait ;
10 elle n'avait point de fichu, on voyait sur ses épaules nues de petites
gouttes de sueur.
Selon la mode de la campagne, elle lui proposa de boire quelque
chose.
ll refusa, elle insista, et enfin lui offrit, en riant, de prendre un
verre de liqueur avec elle.
Elle alla donc chercher dans l'armoire une
15 bouteille de curaçao, atteignit deux petits verres, emplit l'un jusqu'au
bord, versa à peine dans l'autre et, après avoir trinqué, lé porta à sa
bouche.
Comme il était presque vide, elle se renversait pour boire; et
la tête en arrière, les lèvres avancées, le cou tendu, elle riait de ne
rien sentir, tandis que le bout de sa langue, passant entre ses dents
20 fines, léchait à petits coups le fond du verre.
Elle se rassit et elle reprit son ouvrage, qui était un bas de coton
blanc où elle faisait des reprises ; elle travaillait le front baissé ; elle
ne parlait pas.
Charles non plus.
L'air, passant par le dessous de la
porte, poussait un peu de poussière sur les dalles; il la regardait se
traîner, et il entendait seulement le battement intérieur de sa tête,
avec le cri d'une poule, au loin, qui pondait dans les cours.
Emma,
de temps à autre, se rafraîchissait les joues en y appliquant la paume
de ses mains, qu'elle refroidissait après cela sur la pomme de fer des
grands chenets.
In Madame Bovary I, 3
------QUESTIONS-----1 - Qui regarde, essentiellement, dans ce texte ? Justifiez votre
réponse.
Des indications précises nous permettent d'abord d'affirmer que
le point de vue privilégié dans cette page est celui de Charles : ainsi liton au début du texte que Charles "n'aperçut pas d'abord Emma" ; de
même dans les dernières lignes, c'est Charles qui regarde la poussière
"se traîner''.
En outre, la présentation du décor dans la première partie
du texte s'effectue manifestement à travers le regard d'un homme qui
s'acclimate peu à peu à la pénombre et dont les yeux sont d'abord attirés par les éléments lumineux.
Enfin le luxe de détails émaillant la description d'Emma buvant témoigne de l'avidité du regard d'un homme
fasciné.
2 - Relevez des éléments qui confèrent au texte un climat de
sensualité.
La scène qui vient d'être mentionnée est riche d'éléments propres
à conférer au texte un climat de sensualité : en effet, lorsque Emma
"riait de ne rien sentir tandis que le bout de sa langue léchait à petits
coups le fond de son verre", nous bénéficions d'un gros plan dont la
signification est sans ambiguïté.
Dans le même ordre d'idées, on peut relever cet autre gros plan
sur les "petites gouttes de sueur" observées sur "les épaules nues"
d'Emma.
Enfin lorsqu'il nous est dit qu'"elle atteignit deux petits
verres", nous pouvons penser que le regard du visiteur n'a pas été
indifférent à la posture ainsi brièvement adoptée.
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- - - - COMMENTAIRE COMPOSÉ - - - Introduction
- Présentation
du texte
-Annonce du
plan
Emma, héroïne de Madame Bovary, roman publié
en 1857 par Gustave Flaubert, reçoit, par un après-midi
d'été, au chapitre 3 de la première partie du livre, la
visite de Charles Bovary.
Ce jeune officier de santé,
veuf de fraîche date, a été encouragé par M.
Rouault, le
père d'Emma, qui a deviné l'attirance mutuelle des
jeunes gens, à se rendre fréquemment dans sa ferme
des Bertaux.
Charles a choisi de venir un après midi,
sûr de trouver la femme seule.
Pour décrire cette visite chargée d'émotion,
Flaubert a pris le parti d'installer le lecteur dans la
conscience de Charles dont il nous est dit précisément
dès la ligne 2 qu' "il n'aperçut point d'abord Emma";
·c'est donc du point de vue du visiteur, réaffirmé dans
le dernier paragraphe, ("il la regardait ...
il entendait")
que nous est restitué cet épisode caractérisé par l'abondance d'éléments purement descriptifs.
Il sera intéressant de montrer d'abord comment
Flaubert nous fait pénétrer l'espace clos où est retirée
Emma.
On découvrira ensuite que la description révèle
la sensualité latente qui imprègne la rencontre.
Nous
verrons enfin qu'elle excelle aussi à traduire l'état d'inhibition des personnages et en particulier de Charles.
L'entrée de Charles dans la cuisine de la ferme est
décrite de telle manière que nous avons le sentiment
que sa conscience est tout entière investie par des sensations ; s'agit-il pour Flaubert de suggérer qu'il est
dépourvu de vie intérieure, ou de montrer comment le
.
passage d'une zone vivement éclairée à une pièce obs- une conscience
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envahie par
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les sensations disporuble du v1S1teur .
n est difficile d en dec1der ; en
tout cas, nous ne recueillons que de pures impressions,
et nous nous contentons d'accompagner le trajet d'un
regard qui s'accoutume progressivement à la pénombre.
- le trajet
Ainsi, nous percevons d'abord les éléments les plus
du regard
lumineux, "les grandes raies minces" que "le soleil
I - Présentation
du décor
allongeait sur les pavés", avant de lever, avec Charles,
notre regard vers "l'angle des meubles" et de voir la
lumière tre:qibler "au plafond".
Mais tandis que l'œil
s'habitue à l'ombre, "le jour", de moindre intensité,
"qui descendait par la cheminée", le guide vers le fond
de la pièce où apparaît enfin la figure d'Emma "entre la
fenêtre et le foyer".
Cet assez long parcours visuel a certainement pour
effet de différer la découverte de la jeune femme mais
le fait que cette description soit marquée par une
- interprétation abondance de détails et de nuances peut nous permettre d'aller plus loin.
On voit en effet que les raies
de soleil "tremblaient au plafond", que des "mouches
montaient le long des verres" ; en outre, la qualité de la
lumière descendue par la cheminée donne lieu à une
description très élaborée : "elle (veloutait) la suie de la
plaque, bleuissait un peu les cendres froides".
Peutêtre faut-il voir dans cette profusion de détails le travail
d'une conscience en alerte vivant un moment fort ·et
retenant la moindre sensation ou perception ; notre
mémoire nous restitue souvent des éléments infimes
des décors ou circonstances....
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