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Hernani, acte V, scène 6
Hernani ; Le Masque (Don Ruy Gomez) ; Dona Sol
DONA SOL
Je n’ai pu le trouver, ce coffret.
HERNANI, à part.
Dieu ! c’est elle !
Dans quel moment !
DONA SOL
Qu’a-t-il ? je l’effraie, il chancelle
A ma voix ! - Que tiens-tu dans ta main ? quel soupçon !
Que tiens-tu dans ta main ? réponds.
Le domino s’est approché et se démasque.
Elle pousse un cri, et
reconnaît don Ruy .
C’est du poison !
HERNANI
Grand Dieu !
DONA SOL, à Hernani .
Que t’ai-je fait ? quel horrible mystère !
Vous me trompiez, don Juan !
HERNANI
Ah ! j’ai dû te le taire !
J’ai promis de mourir au duc qui me sauva.
Aragon doit payer cette dette à Silva.
DONA SOL
Vous n’êtes pas à lui, mais à moi.
Que m’importe
Tous vos autres serments !
A don Ruy Gomez.
Duc, l’amour me rend forte.
Contre vous, contre tous, duc, je le défendrai.
DON RUY GOMEZ, immobile.
Défends-le si tu peux contre un serment juré.
DONA SOL
Quel serment ?
HERNANI
J’ai juré.
DONA SOL
Non, non rien ne te lie !
Cela ne se peut pas ! Crime ! attentat ! folie !
DON RUY GOMEZ
Allons duc !
Hernani fait un geste pour obéir.
Doña Sol cherche à l’entraîner.
HERNANI
Laissez-moi, Doña Sol.
Il le faut.
Le duc a ma parole, et mon père est là-haut !
DONA SOL, à don Ruy Gomez.
Il vaudrait mieux pour vous aller aux tigres même
Arracher leurs petits qu’à moi celui que j aime !
Savez-vous ce que c’est que Doña Sol ? Longtemps,
Par pitié pour votre âge et pour vos soixante ans, J’ai fait la fille douce, innocente, et
timide,
Mais voyez-vous cet oeil de pleurs de rage humide ?
Elle tire un poignard de son sein .
Voyez-vous ce poignard ? - Ah ! vieillard insensé,
Craignez-vous pas le fer quand l’oeil a menacé
Prenez garde, don Ruy ! je suis de la famille,
Mon oncle ! - Ecoutez-moi.
Fussé-je votre fille,
Malheur si vous portez la main sur mon époux !
Elle jette le poignard, et tombe à genoux devant le duc.
Ah ! je tombe à vos pieds ! Ayez pitié de nous !
Grâce ! Hélas ! monseigneur, je ne suis qu’une femme,
Je suis faible, ma force avorte dans mon âme,
Je me brise aisément.
Je tombe à vos genoux !
Ah ! je vous en supplie, ayez pitié de nous !
DON RUY GOMEZ
Doña Sol !
DONA SOL
Pardonnez ! Nous autres Espagnoles,
Notre douleur s’emporte à de vives paroles,
Vous le savez.
Hélas ! vous n’étiez pas méchant !
Pitié ! vous me tuez, mon oncle, en le touchant !
Pitié ! je l’aime tant !
DON RUY GOMEZ
Vous l’aimez trop !
HERNANI
Tu pleures !
DONA SOL
Non, non, je ne veux pas, mon amour, que tu meures !
Non ! je ne le veux pas.
A don Ruy ,
Faites grâce aujourd’hui !
Je vous aimerai bien aussi, vous.
DON RUY GOMEZ
Après lui !
De ces restes d’amour, d’amitié, - moins encore,
Croyez-vous apaiser la soif qui me dévore ?
Montrant Hernani.
Il est seul ! il est tout ! Mais moi, belle pitié !
Qu’est-ce que je peux faire avec votre amitié ?
O rage ! il aurait, lui, le coeur, l’amour, le trône,
Et d’un regard de vous il me ferait l’aumône !
Et s’il fallait un mot à mes voeux insensés,
C’est lui qui vous dirait : - Dis cela, c’est assez !
En maudissant tout bas le mendiant avide
Auquel il faut jeter le fond du verre vide !
Honte ! dérision ! Non.
Il faut en finir.
Bois.
HERNANI
Il a ma parole et je dois la tenir.
DON RUY GOMEZ
Allons !
Hernani approche la fiole de ses lèvres.
Doña Sol se jette sur son bras .
DONA SOL
Oh ! pas encor ! Daignez tous deux m’entendre !
DON RUY GOMEZ
Le sépulcre est ouvert, et je ne puis attendre.
DONA SOL
Un instant ! - Monseigneur ! Mon don Juan ! - Ah ! tous deux
Vous êtes bien cruels ! Qu’est ce que je veux d’eux ?
Un instant ! voilà tout, tout ce que je réclame !
Enfin on laisse dire à cette pauvre femme
Ce qu’elle a dans le coeur !...
- Oh ! laissez-moi parler !
DON RUY GOMEZ, à Hernani .
J’ai hâte.
DONA SOL
Messeigneurs, vous me faites trembler !
Que vous ai-je donc fait ?
HERNANI
Ah ! son cri me déchire.
DONA SOL, lui retenant toujours le bras .
Vous voyez bien que j’ai mille choses à dire !
DON RUY GOMEZ, à Hernani.
Il faut mourir.
DONA SOL, toujours pendue au bras d’Hernani .
Don Juan, lorsque j’aurai parlé,
Tout ce que tu voudras, tu le feras.
Elle lui arrache la fiole.
Je l’ai !
Elle élève la fiole aux yeux d’Hernani et du vieillard étonné.
DON RUY GOMEZ
Puisque je n’ai céans affaire qu’à deux femmes,
Don Juan, il faut qu’ailleurs j’aille chercher des âmes.
Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors,
Et je vais à ton père en parler chez les morts !
- Adieu !
Il fait quelques pas pour sortir.
Hernani le retient.
HERNANI
Duc, arrêtez !
A Doña Sol.
Hélas ! je t’en conjure,
Veux-tu me voir faussaire, et félon, et parjure ?
Veux-tu que partout j’aille avec la trahison
Ecrite sur le front ? Par pitié, ce poison,
Rends-le moi ! Par l’amour, par notre âme immortelle !...
DONA SOL, sombre.
Tu veux ?
Elle boit.
Tiens maintenant.
DON RUY GOMEZ, à part .
Ah ! c’était donc pour elle !
DONA SOL, rendant à Hernani la fiole à demi vidée.
Prends, te dis-je.
HERNANI, à don Ruy.
Vois-tu, misérable vieillard !
DONA SOL
Ne te plains pas de moi, je t’ai gardé ta part.
HERNANI, prenant la fiole.
Dieu !
DONA SOL
Tu ne m’aurais pas ainsi laissé la mienne,
Toi ! Tu n’as pas le coeur d’une épouse chrétienne.
Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva.
Mais....
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