Inde 1984-1985 Traumatismes Pour l'Inde, 1984 a été une année terrible: celle de l'assaut contre le Temple d'Or, celle de...
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Inde 1984-1985
Traumatismes
Pour l'Inde, 1984 a été une année terrible: celle de l'assaut contre le Temple
d'Or, celle de l'assassinat d'Indira Gandhi, celle des pogroms anti-Sikhs, celle
aussi de la catastrophe de Bhopal.
Mais elle a aussi été l'année de la relève
des générations, avec l'arrivée au pouvoir de Rajiv Gandhi: comme si dans ce
pays où tout est excès, les rites de passage demandaient leur part de drame et
de sang, sans pour autant enfreindre les règles démocratiques qui font l'orgueil
de l'Inde.
Ces événements tragiques, qui auraient abattu des pays apparemment
plus solides, n'ont pas empêché le corps électoral le plus vaste du monde de se
rendre normalement aux urnes moins de deux mois après la disparition de celle
qui incarnait la nation indienne.
Une chose est sûre: malgré toutes ces violences, l'Inde a fait la preuve en
1984, moins de quarante ans après son accession à l'indépendance - le 15 août
1947, - de sa maturité, de son attachement à la démocratie et du poids de ses
institutions.
Encore traumatisée par les drames qui l'ont frappée de plein
fouet, elle semble avoir atteint, en 1985, des eaux plus calmes sous la conduite
de Rajiv Gandhi.
L'assaut du Temple d'Or
La tragédie a éclaté le 6 juin 1984.
Ce jour-là, l'armée indienne qui assiégeait
depuis des jours le Temple d'Or d'Amritsar, le sanctuaire le plus vénéré des
Sikhs transformé en repaire de terroristes fondamentalistes, donnait l'assaut
sur ordre de Mme Gandhi.
La bataille fut sauvage: les bilans officiels de
l'opération, nommée Blue Star, faisaient état de 575 morts, dont une soixantaine
de soldats, mais les journalistes indiens, se fondant sur des rapports plus ou
moins confidentiels, ont parlé de 5 000 morts.
Pour déloger Jarnail Singh
Bhindranwale, le chef de la révolte sikh, et ses partisans, remarquablement
armés et entraînés, l'armée a dû avancer pas à pas dans le Temple d'Or,
entrelacs de cours fermées et de bâtiments fortifiés, usant largement de son
artillerie.
Au cours des combats, Bhindranwale et ses principaux lieutenants ont
été tués et le Temple sérieusement endommagé.
Pour les Sikhs, le sacrilège était
sans pardon et les plus fanatiques ont juré de se venger.
Dès qu'ont été connus
les outrages faits au Temple, les soldats sikhs, qui représentent près de 12%
des forces armées (alors que leur communauté représente moins de 2% des 750
millions d'Indiens), ont déserté et se sont mutinés par milliers, malgré la
présence à la tête de l'opération Blue Star d'un général sikh, Ranjit Singh
Dayal.
L'armée a toutefois gardé le contrôle de la situation et obtenu peu à peu
la reddition des mutins, au prix d'affrontements meurtriers.
Sur les 4 000
déserteurs, une quarantaine seulement ont été reconnus justiciables de la cour
martiale ; le reste, après des périodes plus ou moins longues d'arrêts de
rigueur, a été dispersé dans des régiments à travers toute l'Inde.
Au Punjab - l'État des Sikhs -, sous couvre-feu depuis le début de l'opération,
l'émotion a été immense, d'autant que l'armée, à la recherche des terroristes et
de ceux qui les protégeaient, a multiplié les arrestations.
Quatre mille
personnes ont été arrêtées, dont les responsables des partis sikhs modérés.
En
mars 1985, l'état d'urgence était toujours en vigueur et l'armée continuait de
quadriller l'État, sous couvre-feu.
La vengeance des Sikhs
Après cette opération brutale, Indira Gandhi espérait avoir mis fin au
terrorisme sikh mené par les extrémistes de Bhindranwale qui, depuis près de
deux ans, ensanglantaient le Punjab.
Pour elle, l'opération Blue Star était un
succès malgré les morts, malgré le ressentiment des Sikhs outragés par les
dégâts commis au Temple d'Or.
Durant l'été 1984, Indira Gandhi choisissait
l'apaisement et tentait de panser les blessures.
Elle se rendait elle-même au
Temple d'Or et n'épargnait pas les roupies pour faire réparer le sanctuaire.
Sur le plan politique, malgré des tentatives de division de la communauté sikh,
c'était le blocage.
L'ordre régnait au Punjab, mais la réconciliation nationale
paraissait impossible.
Dans le reste de l'Inde, en dehors de la communauté sikh,
la cote d'Indira Gandhi remontait: pour beaucoup d'Hindous (80% de la
population) il fallait donner cette leçon aux Sikhs.
Avec l'opération Blue Star, Indira Gandhi est entrée en campagne électorale,
pour le scrutin législatif qui devait se tenir avant la fin janvier 1985.
A
soixante-sept ans, elle savait qu'elle devait mener elle-même cette difficile
campagne, afin d'installer le dernier rejeton de la dynastie Nehru, son fils
Rajiv Gandhi, entré en politique en juin 1980, après la mort de son frère cadet
Sanjay.
Pour préparer les élections, Indira Gandhi a "fait le ménage" et elle
s'est attaquée aux gouvernements des États - l'Inde est une fédération de
dix-huit États - hostiles à son parti, le Congrès national indien.
A coup de
défections chèrement acquises, elle a réussi à renverser les gouvernements du
Sikhim et du Cachemire.
Elle s'est attaquée ensuite à l'Andhra Pradesh, en août
1984.
Cet État du sud de l'Inde, aussi peuplé que la France, longtemps fief du
parti du Congrès, avait été remporté en 1983 par un acteur devenu homme
politique, Rama Rao.
Grâce à l'audience de ses films, mais aussi à son programme
fondé sur le nationalisme telugu et sur une défiance à l'égard de New Delhi, il
gênait Indira.
Il était devenu le symbole du ressentiment des États qu'en onze
ans de règne, Indira Gandhi avait méprisés, laissant se développer des tendances
centrifuges surtout dans le sud du pays: du Punjab au Tamil Nadu en passant par
le Karnataka ou l'Assam, les États réclamaient plus d'autonomie politique,
économique et culturelle et Rama Rao s'était fait leur chantre.
En août 1984, Indira Gandhi et Rajiv, alors conseiller de sa mère,
contraignaient Rama Rao à se démettre, sous le prétexte qu'il n'avait plus la
majorité à l'assemblée de l'État.
Mais Indira devait finalement céder après une
habile contre-attaque de son opposant.
Humiliée par l'échec retentissant d'une
opération politicienne qui n'avait réussi qu'à cimenter l'ensemble de
l'opposition, pourtant totalement désunie, et à mettre à nu ses propres
tendances autoritaires, Indira savait qu'elle aurait fort à faire pour gagner
les prochaines élections.
C'est dans ce climat incertain de précampagne qu'éclatait, le mercredi 31
octobre 1984, l'incroyable nouvelle: Indira Gandhi avait été assassinée par deux
de ses gardes du corps ; deux Sikhs qui avaient vidé sur elle leur revolver et
leur mitraillette Sten.
Arrêtés immédiatement, les assassins se contentaient de
déclarer qu'ils avaient fait leur devoir.
La vengeance du Temple d'Or était
accomplie.
La fille de Nehru le pressentait-elle, lorsqu'elle déclarait la
veille: "cela ne me fait rien si je donne ma vie au service de la nation.
Si je
meurs aujourd'hui, chaque goutte de mon sang vivifiera la nation".
Douze heures
après la mort d'Indira Gandhi, son fils, revenu d'urgence de Calcutta, était
nommé Premier ministre par le président de l'Inde, un Sikh, Zail Singh.
La
passation de pouvoir, absolument légale, s'effectuait alors que les rues de
Delhi brûlaient.
Dès le soir du meurtre, les Hindous criaient vengeance contre
les Sikhs.
Trois jours durant, des centaines de Sikhs étaient massacrés, leurs
maisons et magasins brûlés et pillés.
La capitale, qui attendait des dizaines de
chefs d'État et de gouvernement venus assister à la crémation d'Indira fixée au
samedi 3 novembre, était à feu et sang: la police était absente, voire complice
des émeutiers souvent menés par des membres des "jeunesses du Congrès" dont
Sanjay avait été le président.
Le gouvernement donnait une effrayante impression
de flottement: Rajiv, qui n'avait jamais exercé le moindre pouvoir effectif,
étant depuis quatre ans dans l'ombre de sa mère, paraissait absent et uniquement
préoccupé par l'organisation des obsèques.
Il ne se ressaisit que le jour des
funérailles, appelant l'armée et instituant un couvre-feu à New Delhi.
Mais le
bilan était lourd: au moins 2 000 Sikhs tués et des milliers d'autres blessés.
Rajiv inaugurait ses premiers jours au pouvoir avec les pires massacres qu'avait
connus l'Inde depuis la partition.
Plus que jamais, l'Inde craignait que cet
homme jeune - il est né le 20 août 1944 - n'eût pas les épaules assez solides
pour maintenir l'Union, avec ses dizaines de langues, ses multiples religions,
ses milliers de castes.
Cependant Rajiv s'affirmait dans ces conditions
difficiles et décidait d'organiser des élections générales au plus vite, à la
fin décembre, voulant mettre à profit la vague de sympathie qui avait suivi
l'assassinat de sa mère.
Mais l'Inde n'était pas encore au bout de ses malheurs ; alors que la campagne
électorale....
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