INTRODUCTION Dans la Peste, Albert Camus nous peint une ville sur laquelle s'appesantit un fléau abominable ; lorsque le personnage...
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INTRODUCTION
Dans la Peste, Albert Camus nous peint une ville sur laquelle s'appesantit un fléau
abominable ; lorsque le personnage principal, le docteur Rieux, apprend le nom exact du
mal contre lequel il va devoir lutter, l'épouvante s'empare de lui pendant quelques
instants, et les images hallucinantes des épidémies passées lui viennent à l'esprit.
Mais
les bruits de la vie quotidienne l'aident à recouvrer son sang-froid, et il se raccroche à
cette affirmation : « Là était la certitude, dans le travail de tous les jours...
L'essentiel
était de bien faire son métier ».
C'est l'exercice de l'activité quotidienne que Camus
propose aux hommes pour venir à bout de leurs malheurs communs, pour résoudre leurs
problèmes personnels ou pour donner un sens à leur vie.
I.
LE MÉTIER ET LA SOCIÉTÉ
L'exercice du métier dans les situations exceptionnelles
Le roman de Camus n'est que la chronique douloureuse de la peste dans une ville
moderne tournée vers les affaires et le confort ; ce mal, venu du fond des âges, apparaît
comme une catastrophe insurmontable, dont les proportions ne sont pas à la mesure de
l'homme.
La première réaction du docteur Rieux est l'abattement : quels moyens
dérisoires pourra-t-il opposer à l'épidémie ? Tout au long du roman, en effet, nous le
verrons lutter pied à pied.
Ses armes sont banales : l'application stricte des consignes
médicales, une asepsie rigoureuse, la recherche du vaccin, l'isolement des cas suspects
permettront d'obtenir patiemment le résultat cherché.
Rieux n'a jamais l'impression
exaltante de combattre en héros ; comme les pilotes de Saint-Exupéry, comme Malraux
dans l'Espoir, il met son savoir au service d'une cause qui dépasse la vie quotidienne.
L'exercice du métier dans la vie quotidienne
Dans la vie quotidienne, les circonstances de ce genre sont malgré tout assez rares, et, si
les écrivains — Duhamel, Martin du Gard, Camus — parlent tant des médecins, il n'en est
pas moins vrai que toutes les professions ne donnent pas le même sentiment d'utilité :
toutes n'ont pas pour objet la vie humaine.
Mais le métier bien fait est la pierre angulaire
de tout édifice social : dès le XVIIIe siècle, J.-J.
Rousseau, dans L'Émile, développait
longuement cette idée.
Pour lui, le travail quotidien est la participation de chacun à la
communauté qui le protège et le fait vivre, et il osait écrire : « Tout citoyen oisif est un
fripon ».
Mais ses préférences allaient aux métiers dits « manuels » parce qu'ils sont
directement utiles : Emile est menuisier, et Louis XVI lui-même apprit la serrurerie,
suivant ainsi la mode lancée par le philosophe.
Les métiers décriés
Mais la valeur d'une profession n'est pas toujours aussi évidente.
Beaucoup
d'hommes sont rongés par l'impression qu'ils ne servent à rien.
Leur besogne n'est qu'un
rouage de la société, bien qu'elle ait sa part dans le fonctionnement de l'ensemble.
Dans
la Peste, aux côtés de Tarrou et du docteur Rieux, nous voyons apparaître Grand, le
bureaucrate ; ses fiches sont inutiles aux malades, et pourtant elles permettent le
combat grâce aux statistiques établies ; le personnage se contente d'exercer au coeur de
la catastrophe ses fonctions accoutumées, et de cet humble rôle Camus fait un acte
d'héroïsme.
La collaboration à l'oeuvre commune est donc une nécessité — mais cette
nécessité, trop souvent évoquée, n'apparaît pas toujours si l'on se place au point de vue
de l'individu.
II.
LE MÉTIER ET L'INDIVIDU
De Montaigne aux « beatniks » — avec de profondes différences de pensée ! —, une
foule d'êtres humains se sont soustraits, ou ont souhaité le faire, à l'obligation du métier
: « Toutes nos vacations sont farcesques », lisons-nous dans les Essais.
Le remède contre l'ennui
Le « travail de chaque jour » constitue en fait une panacée dont Voltaire a perçu
l'efficacité.
« Le travail, écrit-il dans Candide, éloigne de nous trois grands maux :
l'ennui, le vice et le besoin ».
Il semble évident que toute vie équilibrée s'oriente autour
de la profession ; ceux-là même qui ne veulent prendre en considération que leurs loisirs
les définissent par rapport à leur métier : sans lui, toutes les autres activités seraient
monotones et insipides.
Candide et ses amis, retirés dans leur métairie, trouvent la vie
insupportable jusqu'au moment où ils découvrent le bonheur de « cultiver leur jardin ».
C'est le travail qui permet au docteur Rieux de supporter les souffrances de ses proches
et leur mort.
La satisfaction personnelle
II est vrai que cet intérêt du métier est seulement négatif : n'est-ce donc que le revers
fâcheusement nécessaire de la médaille ? En fait, il porte en lui sa propre récompense,
dans une satisfaction intérieure dont Rousseau évoque le charme à plusieurs reprises ;
les termes qu'il emploie peuvent nous paraître désuets, mais nous retrouvons la même....
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