Introduction De quelle nature est le bonheur ? Faut-il le concevoir comme un état de repos, ou au contraire comme...
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Introduction
De quelle nature est le bonheur ? Faut-il le concevoir comme un état de repos, ou au
contraire comme un état dynamique ? Peut-on imaginer atteindre, comme le voulaient
les sagesses antiques, en particulier stoïciennes, épicuriennes et sceptiques, un état
d’ataraxie, c’est-à-dire de maîtrise sur soi conduisant à l’absence de troubles et par
conséquent au bonheur ? Ou doit-on opposer à cet idéal du sage une autre forme
d’éthique ?
Première partie
- Les stoïciens, épicuriens et sceptiques partagent tous une philosophie eudémoniste, qui
conçoit le bonheur sous la forme d’une ataraxie.
Ainsi, Epictète propose de discriminer
entre les « choses qui dépendent de nous et d’autres qui ne dépendent pas de nous » et,
par une maîtrise de l’idée que nous nous faisons des événements, atteindre l’absence de
trouble.
Mais cet idéal d’ataraxie, difficile à atteindre, repose sur une conception statique
du bonheur.
Dans d'autres textes, Epicure distingue parmi les plaisirs , ceux qui sont
naturels et nécessaires, ceux qui sont naturels mais non nécessaires, et enfin ceux qui ne
sont ni naturels et non nécessaires.
Or, le sage recherche les premiers et méprise les
autres.
L ‘épicurisme est donc une morale du plaisir, mais dans les limites du simple
besoin ; sa finalité est l'ataraxie ; sa méthode consiste à se contenter de peu, à ne
désirer que ce qui est nécessaire, et à fuir tout ce qui peut stimuler des impulsions
artificielles et excessives, comme nous y invite la fin de notre texte.
Contrairement à une
réputation infondée, la morale épicurienne est donc incompatible avec les passions.
Or,
ne peut-on lui opposer une conception dynamique, pour laquelle la félicité ne peut être
comprise sous la forme d’une absence de trouble ?
- Dans le Léviathan (chap.
XI), Hobbes définit la félicité comme « progression
ininterrompue du désir allant d’un objet à un autre », qui n’est donc pas incompatible
avec « un désir inquiet d’acquérir puissance après puissance ».
Dès lors, le bonheur ne
résulte pas de l’absence de trouble, mais au contraire d’une dynamique du désir,
désignée par Hobbes sous le nom de « conatus ».
- Cependant, cette nouvelle conception, dynamique, du bonheur, ne met-elle pas en péril
sa possibilité même, dans la mesure où le désir se révèlerait par essence insatisfait ?
N’est-on pas amené à réduire alors le bonheur au simple divertissement ? Ainsi, dans la
liasse « Divertissement » des Pensées, Pascal montre simultanément que l’idéal
d’ataraxie est au-delà de la condition humaine, et d’autre part que le divertissement luimême n’empêche que provisoirement l’ennui (cf.
en particulier §136 éd.
Lafuma, 139 éd.
Brunschvicg, 164 éd.
Sellier).
L’homme est donc plongé, selon Pascal, dans une condition
misérable, celle résultant de la Chute et du péché originel.
Il ne saurait échapper à ce
malheur ni par l’ataraxie, idéal inatteignable, ni par le divertissement, simple pis-aller ne
pouvant être égalé au bonheur véritable.
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Nous ne vivons jamais, mais nous
espérons de vivre; et, nous disposant
toujours à être heureux, il est inévitable
que nous ne le soyons jamais.
C’est vers les années 1657-1660 que Pascal ,
qui s’est fait un nom illustre parmi les
scientifiques de son temps tout en prenant le
parti des Jansénistes de Port-Royal contre
l’Église, commence à travailler à une «
Apologie de la religion chrétienne ».
Mais,
dès 1659, les premières atteintes de la
maladie annoncent la mort prochaine de «
cet effrayant génie » marqué depuis la plus
tendre enfance par les infirmités.
Et deux
années de silence, de méditation et de travail
(1660-1662) ne suffiront pas à Pascal pour
mener à son terme le projet initial, exposé
dans sa conférence d’octobre-Novembre
1658 faite à Port-Royal « devant plusieurs personnes très considérables »,
de composer un ouvrage sur la « Vérité de la religion chrétienne ».
Pascal laisse à ses successeurs le mystère de vingt-sept liasses classées,
composées chacune d’une série de « morceaux de petits papiers »,
fragments écrits dans l’ordre inverse de leur entassement par paquets
reliés chacun, à l’origine, par un simple fil.
Les textes sont souvent écrits à
la hâte, repris, complétés, surchargés, raturés ; certains mots parfois, trop
abrégés, sont illisibles.
A cela s’ajoutent des textes rédigés « sur des
feuilles volantes » et séparés d’un simple trait.
Quel ordre donner à tout
cela dans une publication définitive, d’autant que sans cesse de nouvelles «
Pensées », trouvées ici ou là, sont ajoutées ? Les éditions successives n’en
finissent pas de donner chacune leur interprétation, « les mêmes pensées
formant un autre corps de discours par une disposition différente » comme
l’indiqua, de manière prémonitoire, Pascal lui-même.
D’où la table de concordance que l’on trouve maintenant dans chaque
édition et qui permet de naviguer aisément de l’une à l’autre de ces neufs
cents et quelques pensées : ainsi cette pensée, classé 172 dans l’édition de
Brunschvicg, est le numéro 45 dans l’édition Tourneur & Anzieu.
Quant au
texte il s’insère dans le passage suivant : « Que chacun examine ses
pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir.
Nous ne
pensons presque point au présent ; et si nous y pensons, ce n’est que pour
en prendre la lumière pour disposer de l’avenir.
Le présent n’est jamais
notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre
fin.
Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous
disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons
jamais.
»
Pascal, selon l’habitude de son temps, s’est sans cesse nourri de la pensée
de ses devanciers.
C’est un lecteur infatigable, et Montaigne est l’un de ses
auteurs favoris, dont il reprend souvent le texte sceptique pour l’utiliser
aux fins de l’apologétique chrétienne.
C’est ici le cas.
Pascal s’est souvenu
expressément d’un passage de l’édition de 1588 des « Essais » : « Nous ne
sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà.
La crainte, le
désir, l’espérance nous élancent toujours vers l’avenir, et nous dérobent le
sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser de ce qui
sera, voire quand nous ne serons plus.
» (Livre 1, chapitre 3).
Ceci est d’ailleurs un thème cher aux moralistes de l’Antiquité, que
Montaigne ne se fait pas faute de citer, à la suite de ce passage : l’épître
98 du philosophe latin Sénèque (« Malheureux l’esprit tourmenté de
l’avenir ») et Épicure (« Épicure dispense son sage de la prévoyance et de
la sollicitude de l’avenir »).
Cette thématique, qui dénonce l’impossibilité où est l’homme de se fixer au
présent, est aussi celle des écrivains de la période classique.
On trouve
ainsi une expression assez semblable chez le moraliste La Bruyère : « La
vie est courte et ennuyeuse ; elle se passe toute à désirer.
On remet à
l’avenir son repos et ses joies, à cet âge souvent où les meilleurs ont
disparu, la santé et la jeunesse.
Ce temps arrive, qui nous surprend encore
dans les désirs : on en est là, quand la fièvre nous saisit et nous éteint »
(« De l’homme »).
Cependant ce qui, chez l’un ou l’autre, est notation strictement
psychologique, prend chez Pascal une autre dimension, beaucoup plus
philosophique.
Car c’est d’une conception de l’homme, et de son rapport à
Dieu, qu‘il s’agit.
Pascal est très explicite sur ce point : l’homme, en
s’intéressant à son passé ou à son avenir, cherche en réalité à échapper au
présent qui est pourtant le seul temps qui soit véritablement à nous.
Ici, il
n’y a pas seulement le témoignage d’une « pensée » écrite à la hâte, mais
l’expression réfléchie d’une lettre rédigée en décembre 1656 par Pascal à
l’intention de Mlle de Rouanez, au moment où elle souhaite entrer en
religion : « Le passé ne doit pas nous embarrasser, puisque nous n’avons
qu’à avoir regret de nos fautes ; mais l’avenir nous doit encore moins
toucher, puisqu’il n’est point du tout à notre égard, et que nous n’y
arriverons peut-être jamais.
Le présent est le seul temps qui est
véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu.
»
Et pourtant Pascal le sait bien (Pensée 139), tout nous montre le contraire.
Les hommes ne cessent de s’agiter, de se jeter dans le monde, d’aimer le
jeu, la conversation des femmes, de courir les emplois.
En un mot, ils ne
cherchent qu’une chose : le DIVERTISSEMENT.
Frénésie de l’action qui ne
vise, en sortant sans cesse de soi, qu’à s’oublier soi-même.
Aussi, si l’on
en cherche plus finement les raisons , on les trouve dans la nature même
de l’homme.
Ce dernier n’a pas tort et a le juste pressentiment de son
malheur.
Il y a un « malheur naturel de notre condition faible et mortelle,
et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de
près.
» De là vient, continue Pascal, « que les hommes aiment tant le bruit
et le remuement ; de là vient que la prison est un supplice si horrible ; de
là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible ».
Pascal nous invite à accepter, sans effroi, notre humaine condition, qui est
de n’être rien, certes, face à l’infinité de Dieu mais d’être quelque chose
avec son secours, en trouvant auprès de lui l’éternelle consolation dont
nous avons besoin.
Telle est l’articulation centrale de la réflexion
Pascalienne (Pensée 60) : MISERE DE L’HOMME SANS DIEU (parce que la
nature est corrompue) ; FELICITE DE L’HOMME AVEC DIEU (parce qu’il y a
un réparateur).
Dans sa situation de misère, loin de Dieu, l’homme
s’étourdit de son passé et plus encore de son avenir supposé, mais ne
peut, en réalité, jamais d’être heureux.
Dans la situation de félicité, au
moment où il a retrouvé Dieu, l’homme peut parvenir au bonheur, à
condition de se détourner du monde et de ses divertissements impuissants.
Aussi Pascal, contre l’éparpillement de soi, plaide-t-il en faveur de la
méditation.
Il faut se « ramasser en soi-même » pour se consacrer à ce
Dieu « que nous connaissons sans savoir qui il est » (Pensée 233).
Ainsi une vie heureuse serait définie par l’accord de l’homme avec Dieu.
Belle....
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