[Introduction] Écrivain du xviie siècle, Jean de La Fontaine a marqué l'histoire d'un genre, celui de la fable ; ses...
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[Introduction]
Écrivain du xviie siècle, Jean de La Fontaine a marqué l'histoire d'un genre, celui de la fable
; ses fables mettent souvent en' scène des animaux dans une petite histoire qui illustre ou
amorce la morale.
C'est le cas dans la fable 12 du livre X des Fables : « La Lionne et l'Ourse
» ; le désespoir de celle-ci à la mort de son enfant est le point de départ de la mise en
scène et de la réflexion.
Nous verrons donc comment ce texte reprend les éléments de la
tradition fabuliste, pour illustrer ce précepte du xviie siècle littéraire : plaire en instruisant;
puis, comment La Fontaine choisit de plaire et comment il choisit d'instruire, c'est ce que
nous déterminerons.
[La tradition fabuliste]
Le poème, comme beaucoup de fables, donne la parole à des animaux, une mère lionne et
une ourse ; celles-ci sont les personnages principaux, dialoguent et éprouvent des
sentiments humains.
Néanmoins, elles gardent les caractéristiques de leur espèce : la
lionne « rugit » ; sa présence est attachée à la nature : elle est « la Reine des bois ».
L'ourse, quant à elle, se conduit en ours mal léché, dans sa rudesse : « Si tant de mères
se sont tues, / Que ne vous taisez-vous aussi ? » lance-t-elle à la lionne aux vers 15 et 16.
Ces animaux sont donc des personnages qui correspondent à des types physiques et de
caractère ; comme le renard est rusé, l'ourse est rude ; comme le héron a un long cou, la
lionne rugit abondamment dans les bois sur lesquels elle règne.
Une autre spécificité de la
fable est d'alterner anecdote et morale ; l'anecdote commence le texte et en occupe plus
des deux tiers, des vers 1 à 21 ; le premier vers nomme la lionne et installe la situation :
« Mère Lionne avait perdu son fan » ; les vers suivants soulignent l'ampleur que donne la
lionne à ses lamentations par plusieurs enjambements dans les vers 2 à 7.
L'intervention
de l'ourse apparaît comme un soulagement, explicité par le « enfin » du vers 9.
Puis
s'engage le dialogue entre la lionne et l'ourse qui tient la longue partie centrale du texte.
La morale termine le texte en cinq vers.
Pourtant, elle n'est pas un simple commentaire
qui répète l'histoire, mais elle vient lui donner son sens.
En effet, cette morale s'adresse aux hommes on ne peut plus clairement : « Misérables
humains, ceci s'adresse à vous.
» Elle mime la tournure des proverbes : « Quiconque » (v.
25) fait penser à « Qui aime bien, châtie bien ».
De plus, on y trouve un ton moralisateur,
notamment dans les connotations péjoratives associées à des mots comme « misérables
» ou « frivoles » pour juger les hommes.
Cette fable suit donc bien les règles d'un genre
codifié depuis l'Antiquité auquel La Fontaine apporte son univers animalier, et son art
poétique.
[Plaire en instruisant]
La règle majeure de cet art poétique qui remonte à Horace et que Molière réussit si bien à
illustrer dans le siècle de La Fontaine consiste à « châtier les mœurs en riant », « à plaire
en instruisant ».
Dans cette fable, La Fontaine choisit de plaire à son lecteur en donnant tout d'abord à son
récit une grande vivacité.
Pour obtenir cet effet, l'auteur utilise de manière très contrastée
des phrases brèves et longues.
Des phrases lapidaires encadrent deux phrases
développées sur trois vers chacune, l'une par une consécutive, l'autre par l'hypertrophie
énumérative du groupe sujet : « La nuit, ni son obscurité, / son silence et ses autres
charmes ».
La conclusion de cette présentation est donc mise en relief par la surprise que
crée la rupture de rythme : « Nul animal n'était du sommeil visité.
» Et le passage au
dialogue condense encore le rythme de renonciation, en réduisant l'expression de l'action
aux deux tiers du vers 9.
De plus, le dialogue lui-même, en laissant entrevoir le sens de la fable, à travers les
personnages et leurs oppositions, permet de ne pas ennuyer le lecteur : il met en scène le
débat et l'incarne au lieu de l'argumenter platement.
C'est en fait l'ourse qui représente la
position de La Fontaine dans la fable : c'est elle qui essaie de convaincre la lionne de la
démesure et de l'absurdité de sa réaction à la mort de son enfant.
Elle développe deux
arguments : le premier repose sur l'analogie ironique entre la situation de la lionne et celle
de tous les parents des « enfants / qui sont passés entre [ses] dents ».
Il aboutit à cette
question de pure rhétorique : « Si tant de mères se sont tues, / Que ne vous taisez-vous
aussi ? » Le deuxième argument est plus subtil : il est implicite dans l'opposition
sémantique qui s'installe entre les termes d'un même champ lexical aux vers 20 et 21 ;
l'ourse utilise deux verbes : « forcer » et « condamner » qui appartiennent au champ lexical
de la contrainte subie contre son gré, quand la lionne parle de « Destin », c'est-à-dire de
la fatalité....
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