Introduction Kant, évoquant I'(( insociable sociabilité••» de l'homme, renvoyait à une expé 0 1ence trop comrnune: je suis fait pour...
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Introduction
Kant, évoquant I'(( insociable sociabilité••» de l'homme,
renvoyait à une expé 0 1ence trop comrnune: je suis fait
pour vivre avec l'autre, j'ai besoin de lui pour pdftager le
travail, des émotions, ie plaisir et la peine, ou même sim
plement mon sentiment d'exister.
Mais des faits innom
brables prouvent combien la cohabitation est désespéré
me nt difficile: depuis ies conflits entre les individus
jusqu'aux guerres entre les peuples, !out montre que si
autn,i se révèle être l'al!ié le plus indispensable, il est m.:ssi
rnon plus implacable e:-inemi.
UNE NOTION
CONTRADICTOIRE
Le concept d'autru; reste problématique parce qu'il appa
raît comme contradictoire.
Il faut bien distinguer en effet le
concept d' «autrui>; et la notion d' >.
Je peux bien
dire que tout ce qui est extérieur à ma personne (ce crayon
que je tiens dans ma main, cet arbre que je vois à quelques
mètres devant moi) est autrè que moi Mais, parmi tous
ces obJots qui m'entourent, certains ont un statut pa,ticu
lier: ceux que je désigne du nom d' « aut�ui ».
C'est ainsi que Martin Buber1 distinguait deux catégories
de relation: le «Je-Cela)>, qui comprend le type de rapport
que l'homme entretient avec les choses, ou simplement ce
qu'il pose comme série de déterminations objectives et le
(>
Le narcissisme*, comme plus haute expression de cet
amour, instaure un rapport à soi privilégié et exclusif
(l'autre ne sera tout au plus qu'un instrument de ma complaisance): je suis à moi-même le premier objet de mon
amour, je m'aime et je me plais à m'aimer.
Et l'amour d'un
autre être, diraient les moralistes, ne vient que réconforter
5.
G.
Deleuze, « Mic~el Tournier et le monde sans autrui>>, in
Logique du sens, Les Editions de Minuit, 1969, p.
355.
6.
Des Fins des Biens et des Maux, Livre Ill, chap.
V, in Les
Stoïciens, coll.« Bibliothèque de la Pléiade», Gallimard, 1962, p.
267.
8
cet incontournable égocentrisme*:« Otez l'amour-propre
de l'amour, il en reste trop peu de chose.
Une fois purgé
de vanité, c'est un convalescent affaibli qui peut à peine
se traîner 7 .
» Ne sommes-nous donc pas en présence ici
d'une relation qui exclut a priori l'autre?
Les données de la psychanalyse viennent pourtant
bousculer ces représentations.
Freud a précisément voulu
montrer 8 comment le narcissisme* ne se constitue que
par l'intériorisation de l'amour de la mère.
En bref, il faut
que sa mère l'ait aimé pour que l'enfant s'aime lui-même.
L'amour de soi* n'est qu'un prolongement, un rejeton de
cette tendresse maternelle: au début, était la Mère ...
L'amour de soi*, loin d'être une disposition biologique, ou
la marque d'une nature pécheresse, se révèle un processus historique dirigé de haut par l'autre.
Les analyses de René Girard portant sur le désir triangulaire, montrent par ailleurs que mon désir d'une simple
chose ou d'une personne, pour être ne serait-ce que sollicité, paraît devoir exiger la médiation d'autrui: je ne les
désire pas parce qu'elles correspondent à une disposition
qui m'est propre mais avant tout parce qu'un autre la désire.
C'est ainsi qu'un enfant commence à s'intéresser passionnément à un jouet délaissé dès qu'un de ses camarades semble y porter attention.
L'amour même ne
commencerait qu'avec la jalousie: j'aime celle ou celui
qu'un autre aime.
Il faudrait alors voir comment ces analyses tendent à faire apparaître la dimension du tiers.
L'autre en effet n'est
pas seulement celui qui s'oppose à moi, qui me fait face
(le Tu); il est aussi celui qui s'interpose, l'entremetteur ou
l'obstacle, l'autre de l'autre qui....
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