Introduction. Quand on considère l'oeuvre du XVIIIe siècle dans son ensemble, elle apparaît comme diverse, chaotique, voire contradictoire. Il semble...
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Introduction.
Quand on considère l'oeuvre du XVIIIe siècle dans son ensemble, elle apparaît comme
diverse, chaotique, voire contradictoire.
Il semble presque impossible de lui trouver une
unité, autrement dit de définir l'esprit du « siècle philosophique ».
N'y aurait-il pas
moyen, en se plaçant à la source créatrice de ses exigences intellectuelles, de voir cette
unité, cet esprit dans une volonté de reconstruire les valeurs humaines, sans jamais les
rattacher à quelque chose qui les dépasserait pour les justifier : alors .
que le XVIIe
siècle évoquait Dieu en politique, les dogmes en morale, et le surnaturel (ce que Pascal
appelait la Charité) en religion, au XVIIIe, « il fallait, dit un critique contemporain, édifier
une politique sans droit divin, une religion sans mystère, une morale sans dogme ».
Formule nette, pleine d'élan et de résolution, comme le XVIIIe siècle lui-même, et qu'il
faut replacer dans sa perspective historique de combat; formule qui rend assez bien
compte de l'oeuvre des philosophes, mais que néanmoins on ne saurait considérer
comme un bilan et qu'il nous est sans doute possible de compléter et de nuancer.
I.
Le refus des « transcendances ».
La formule est d'abord négative.
S'il fallait « édifier sans » ces principes supérieurs, c'est
que le siècle précédent avait « édifié avec » eux.
1.
Il est difficile pour un moderne d'imaginer ce que pouvait être l'univers des valeurs
pour un homme du XVIIe siècle.
Tout y dépendait de principes supérieurs et irrationnels
qui justifiaient toutes les difficultés et toutes les contradictions apparentes de ce mondeci : ce n'était point résignation à l'obscurantisme et refus d'expliquer, mais volonté
permanente de rendre compte d'apparences absurdes.
La méthode est exactement celle
de Pascal cherchant à nous étonner devant les « contrariétés » de l'homme, mélange de
misère et de grandeur, et faisant cesser notre étonnement quand il les rattache à un
double mystère : celui de l'être humain créé à l'image de Dieu et celui de la chute
originelle.
Par là, toutes les valeurs sont accrochées à des principes qui les dépassent : la
politique à Dieu, la morale à la religion, et la religion elle-même à ses mystères.
Bien
entendu, le mot a ici son plein sens théologique, et non pas affectif : il désigne les
principes transcendants, inexplicables, mais inébranlables, dont se déduit tout l'édifice
théologique.
2.
Ainsi, loin d'être un refus de l'explication, la pensée morale, politique ou religieuse au
XVIIe siècle veut toujours tout déduire de quelques principes fixes et Pascal soulignera
l'analogie de la pensée religieuse avec la pensée mathématique, où tout Se déduit de
quelques postulats inébranlables, mais eux-mêmes souvent inexplicables.
La pensée
procède toujours par distinction d'ordres ; Pascal en voit trois qui se dépassent et, dans
une certaine mesure, s'expliquent l'un l'autre : l'ordre des corps, l'ordre des esprits,
l'ordre de la Charité.
Toutes les manifestations physiques ou intellectuelles de la religion
ne sont pas par elles-mêmes religieuses; elles sont comme la figuration du seul ordre qui
soit vraiment religieux, l'ordre du surnaturel, l'ordre de la charité.
De même, en politique
ceux que Pascal appelle les demi-habiles ne voient que des combinaisons d'intérêts et de
forces, mais les esprits vraiment religieux, comme Bossuet, voient l'intervention
providentielle de Dieu « qui bouleverse le monde pour engendrer ses élus ».
Tel est le
sens du fameux « droit divin »; Bossuet se prononce nettement là-dessus dans son
Sermon sur les Devoirs des Rois : il ne s'agit pas de justifier l'arbitraire, puisque le Roi
est responsable et terriblement responsable devant Dieu, mais le Roi tient son pouvoir de
Dieu et toute révolte contre le Roi est impie, car elle est révolte contre le principe
transcendant qui fonde la politique.
Enfin, en matière morale, on verra, pour peu qu'on y
réfléchisse, combien toute « autonomie » morale est étrangère au XVIIe siècle : chez
tous les moralistes, même ceux qui ne parlent pas de la religion, un certain climat
chrétien règne en permanence, la morale n'est jamais humaine et laïque, un La
Rochefoucauld, un La Bruyère jugent leurs semblables au nom d'impératifs religieux, de
dogmes, comme dit notre critique.
3.
Contre tout cet édifice on commence à s'insurger à partir des années 1685, et
pourtant il n'est vraiment question de détruire, chez les Saint-Évremond, les Bayle, les
Fontenelle, ni la monarchie, ni la religion, ni la morale.
A travers la querelle des Anciens
et des Modernes est surtout posé le problème d'un mode nouveau de pensée : alors que
l'explication du XVIIe siècle repose sur la Foi, la Tradition, l'Autorité, seules susceptibles
de justifier des valeurs qui, dans leur fondement, échappent à la raison, l'explication
proposée par les novateurs de la fin du XVIIe siècle est surtout historique et
expérimentale, elle repose sur le culte du fait, de l'observation, de la loi scientifique.
Sans doute le XVIIe siècle n'avait-il pas nié ces bases scientifiques et Pascal avait été un
des promoteurs de la méthode expérimentale, mais il ne l'utilisait pas dans tous les
domaines, il la réservait « à l'ordre des esprits ».
Soumettre tous les ordres au
rationalisme impitoyable de la méthode expérimentale ou de la méthode historique, tel
est l'apport essentiel de Bayle et de Fontenelle.
Ni la monarchie ni la morale ni la religion
du XVIIe siècle ne sont encore contestées, mais on en veut une justification rationnelle et
humaine.
II.
La « cité des hommes ».
A travers bien des divergences d'opinion, le XVIIIe siècle va donc s'efforcer de construire
ce que Paul Hazard appelle la « cité des hommes », c'est-à-dire une cité où toutes les
valeurs seront de l'homme et explicables par lui et pour lui.
1.
En politique — pour commencer par l'aspect le plus voyant des idées nouvelles —, on
s'applique moins à proposer tel ou tel système qu'à substituer à un fondement surnaturel
et mystique un fondement rationnel.
C'est un lieu commun de remarquer qu'aucun
philosophe du XVIIIe siècle n'est républicain : la forme de gouvernement qu'on peut
adopter est pour lui chose assez indifférente, à condition que les fondements en soient
rationnellement explicables.
Un monarque, un conseil, une assemblée ne peuvent
justifier leur autorité que par un contrat social : toute autorité vient des hommes et il est
indispensable qu'à un moment donné les citoyens aient délégué une partie de leur
souveraineté à ce monarque, à ce conseil, à cette assemblée.
Déjà chez Montesquieu
toutes les formes de gouvernement sont possibles, même et surtout la monarchie,
pourvu qu'on se réfère à des « lois fondamentales » qui les légitiment.
2.
Si la politique est tout entière à niveau d'homme, la morale va être, elle aussi,
humanisée, ce qui est déjà plus étrange.
On se plaît à constater que l'on peut très bien
être vertueux sans religion.
A Pascal qui écrivait que « de tous les corps et esprits, on
n'en saurait tirer un mouvement de vraie charité », Voltaire oppose constamment dans
ses Contes des.
figures de sages légèrement sceptiques à l'égard de toutes les formes
particulières de la religion, honorant celles-ci dans la mesure où elles sont les garanties
sociales du bon ordre, mais les flétrissant quand elles conduisent à l'intolérance, au
fanatisme, au meurtre.
Sans doute attache-t-on encore de l'importance à la conscience
morale, sans doute Rousseau fait-il l'éloge de cet « instinct divin » qu'Emile devra
accepter pour guide.
Mais prenons bien garde qu'en obéissant à sa conscience, Emile
obéira surtout à sa nature; pour lui, comme pour les personnages de roman du XVIIIe
siècle qui s'écrient sans cesse : « 0 vertu, ô nature! », être moral, c'est avant tout
réaliser les virtualités de sa nature d'homme, et non obéir aux dogmes d'une « surnature
».
N'oublions pas que c'est au XVIIIe siècle que Kant, loin de faire dépendre la morale de....
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