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Introduction Un réflexe naturel serait de dévaloriser l’essai, activité solitaire, au profit du dialogue, vu comme un partage spirituel entre...

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« Introduction Un réflexe naturel serait de dévaloriser l’essai, activité solitaire, au profit du dialogue, vu comme un partage spirituel entre deux interlocuteurs.

L’expérience de l’activité qu’on appelle couramment « dialogue » amène pourtant l’observateur à réaliser l’inverse : non seulement le discours dialogique peine à se construire en une pensée rigoureuse, mais il est de surcroît un terrain de prédilection pour quiconque cherche à se mettre en valeur, et à imposer la bonne image qu’il a de lui-même au mépris du sujet dont il est question.

Il convient dès lors de distinguer soigneusement deux significations du mot « dialogue » : l’une courante, qui pourrait simplement se traduire par le terme plus évasif de « conversation », autrement dit une parole à plusieurs voix, et l’autre héritée d’une longue tradition philosophique qui est la dialectique, et dont le but est l’accession des interlocuteurs à la découverte de la vérité. I: Polyphonie et monophonie _« Convaincre » ne signifie pas découvrir.

La différence la plus immédiate entre essai et conversation n’est pas la rencontre de deux subjectivités, mais la mise en place d’un spectacle social.

Le « dialogue » au sens le plus large se définit donc par une parole prononcée en présence d’un public, donc affectée.

Ce qui s’y exprime, à peine caché sous le vernis de la politesse, est une lutte d’influence et d’image. _ La Première personne du singulier de Tardieu oppose ainsi la conversation des adultes au récit de l’enfant.

Le monde des parents y apparaît comme un univers cruel et répressif (l’enfant dit avoir été battu après son premier usage de l’appareil).

Les bruits provoqués par la conversation du salon laissent imaginer au narrateur un sabbat, au cours duquel le curé marche sur les mains, la soutane retroussée.

Ainsi apparaît la conversation de salon à un auditeur qui n’en a pas fait l’expérience : un monde où les bruits du repas se mêlent à un brouhaha confus, et même inquiétant.

A l’agitation des convives s’oppose la narration de l’enfant, dont les actions secrètes sont motivées par la volonté de savoir, désir gratuit de connaître un monde dont on lui refuse l’accès. _ La situation du dialogue n’exprime souvent qu’une monophonie déguisée : les échanges des interlocuteurs dissimulent des volontés bornées, voire inavouables.

Ainsi chez Molière, le discours que Tartuffe fait à la femme d’Oronte manipule brillamment le vocabulaire du dévot, et n’est voué en fin de compte qu’à pousser la jeune femme à commettre un adultère.

Le dialogue est ainsi truqué, puisque Tartuffe n’écoute les objections qui lui sont faites que dans un but purement rhétorique, sans qu’il n’accorde la moindre valeur à son interlocutrice. II : Le dialogue comme argumentation _ La tâche que se propose d’accomplir La Bruyère dans son ouvrage Les Caractères est de réhabiliter la conversation futile, pour mieux la distinguer de celle qui manipule les signes extérieurs de l’Esprit pour dissimuler la bêtise du locuteur (le destinataire imaginaire d’Acis, au paragraphe 76 du chapitre « De la société et de la conversation ».

La conversation n’est en rien une situation d’apprentissage ; au contraire, remarque La Bruyère, c’est une situation où le Raison est toujours la première à abandonner : le personnage qu’on écoute le plus attentivement, de bon ou de mauvais gré, est le fou, le colérique, qu’on tempérera avec diplomatie, voire qu’on admirera dans ses rares moments de calme. _ Comment échapper à la conversation comme lutte d’intérêt, et permettre la construction d’un dialogue qui engage la conviction profonde des deux interlocuteurs ? La Rochefoucauld propose dans ses Réflexions diverses une stratégie argumentative qui consiste à refuser toute conversation dont l’enjeu réel soit une lutte d’influence.

La force d’un locuteur n’est pas de savoir parler, mais de savoir écouter : pour faire naître une conversation riche,.... »

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