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Issue d'une tribu nomade du Sud marocain, Lalla s'est retrouvée à Marseille, employée dans un misérable hôtel pour immigrés. Devenue...

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« Issue d'une tribu nomade du Sud marocain, Lalla s'est retrouvée à Marseille, employée dans un misérable hôtel pour immigrés.

Devenue mannequin, elle voyage à Paris en compagnie du photographe qui a fait sa célébrité.

Un soir, il l'emmène danser. Elle danse, pour partir, pour devenir invisible, pour monter comme un oiseau vers les nuages.

Sous ses pieds nus, le sol de plastique devient brûlant, léger, couleur de sable, et l'air tourne autour de son corps à la vitesse du vent.

Le vertige de la danse fait apparaître la lumière, maintenant, non pas la lumière dure et froide des spots, mais la belle lumière du soleil, quand la terre, les rochers et même le ciel sont blancs.

C'est la musique lente et lourde de l'électricité, des guitares, de l'orgue et des tambours, elle entre en elle, mais peut-être qu'elle ne l'entend même plus.

La musique est si lente et profonde qu'elle couvre sa peau de cuivre, ses cheveux, ses yeux. L'ivresse de la danse s'étend autour d'elle, et les hommes et les femmes, un instant arrêtés, reprennent les mouvements de la danse, mais en suivant le rythme du corps de Hawa(1), en frappant le sol avec leurs doigts de pieds et leurs talons.

Personne ne dit rien, personne ne souffle.

On attend, avec ivresse, que le mouvement de la danse vienne en soi, vous entraîne, pareil à ces trombes qui marchent sur la mer.

La lourde chevelure de Hawa se soulève et frappe ses épaules en cadence, ses mains aux doigts écartés frémissent.

Sur le sol vitrifié, les pieds nus des hommes et des femmes frappent de plus en plus vite, de plus en plus fort, tandis que le rythme de la musique électrique s'accélère.

Dans la grande salle, il n'y a plus tous ces murs, ces miroirs, ces lueurs.

Ils ont disparu, anéantis par le vertige de la danse, renversés.

Il n'y a plus ces villes sans espoir, ces villes d'abîmes, ces villes de mendiants et de prostituées, où les rues sont des pièges, où les maisons sont des tombes.

Il n'y a plus tout cela, le regard ivre des danseurs a effacé tous les obstacles, tous les mensonges anciens.

Maintenant, autour de Lalla Hawa, il y a une étendue sans fin de poussière et de pierres blanches, une étendue vivante de sable et de sel, et les vagues des dunes.

C'est comme autrefois, au bout du sentier à chèvres, là où tout semblait s'arrêter, comme si on était au bout de la terre, au pied du ciel, au seuil du vent. J.-M.G.

LE CLEZIO, Désert, © Gallimard, 1980. 1.

Hawa est le pseudonyme professionnel de Lalla.

C'était aussi le nom de sa mère, femme d'une tribu nomade et qu'elle n'a pas connue. [Introduction] Partie du Maroc pour connaître la France, Lalla Hawa, l'héroïne de Désert, ne rencontre que laideur, artifice et cruauté.

Mais, parfois, des moments de grâce lui permettent d'échapper à l'emprise asphyxiante de la ville : la scène de la danse à Paris est un de ceux-là.

Par l'ivresse de la danse l'héroïne assiste à une métamorphose de la réalité qui lui permet de retrouver la nature. [I.

L'ivresse de la danse] Une jeune fille se laisse emporter par l'allégresse de la danse, qui se mue en une véritable ivresse, qu'elle va bientôt communiquer à toute la salle : cette scène donne l'occasion à l'auteur de peindre son héroïne sous un jour nouveau. [1.

Une jeune fille qui danse] Placée au centre de la scène et objet de tous les regards, Lalla s'abandonne au mouvement, au rythme et à la musique.

Si les notations relatives à l'attitude de la danseuse sont très classiques : la chevelure qui « frappe les épaules en cadence », les mains qui frémissent, les pieds nus, Le Clézio manifeste, en revanche, plus d'originalité dans la peinture des effets ambigus de la musique.

Refusant, en effet, la position d'auteur omniscient, il adopte la focalisation externe : « la musique entre en elle, mais peut-être qu'elle ne l'entend plus ».

La danseuse succombe au charme puissant des sons et des rythmes, suggéré par la répétition des mots « musique » et « danse », par l'allitération en [L] qui évoque la fluidité de la musique (« la musique lente et lourde de l'électricité ») et par des assonances, telles que « cheveux » et « yeux ». Cette peinture est encadrée par deux phrases qui lui donnent son sens.

La première, 'incipit de notre extrait, exprime un désir d'évasion totale par un rythme ascendant, une comparaison avec un oiseau, symbole de liberté, et un crescendo : l'expression « monter vers les nuages », qui connote l'idée de l'infini, entraîne l'imagination beaucoup plus loin que le banal verbe « partir » et montre que l'héroïne aspire de plus en plus à quitter le monde civilisé pour retrouver le contact avec la nature.

La dernière phrase suggère, par la comparaison avec le passé, que cet objectif est quasiment atteint, puisque la danse a emporté Lalla « au seuil du vent ». [2.

De l'allégresse à l'ivresse de la danse] Le plaisir de la danse consiste en une prise de possession par le rythme et le mouvement.

Par son vertige il dissipe le cadre réel, si impersonnel et si laid : à partir du moment où la musique la submerge, Lalla ne voit plus « le sol de plastique », « la lumière dure et froide des spots », elle a retrouvé le sable du désert, le vent, les pierres blanches et le ciel, blanc lui aussi en raison de la réverbération.

Le désert étant un espace de silence.

Le Clézio transcrit habilement les sensations auditives de l'héroïne par des sensations tactiles : la musique « couvre sa peau de cuivre, ses cheveux, ses yeux ». D'abord lent, le rythme se fait plus vif à partir de la ligne 10, tantôt binaire, tantôt ternaire.

Il est souligné par des mots clés placés en fin de phrase : « souffle », « mer », « frémissent », « s'accélère », ainsi que par des répétitions: « personne ne dit rien, personne ne souffle » ; « de plus en plus vite, de plus en plus fort ».

Tous ces procédés convergent vers le même effet : la danseuse, déconnectée du réel, n'est plus maîtresse de son corps, désormais emporté dans un tourbillon ; elle succombe à l'ivresse.

Peut-être Le Clézio s'est-il souvenu du vers de Baudelaire : « La musique souvent me prend.... »

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