Japon (1995-1996): Une mémoire oublieuse de l'histoire L'année 1995 aura été celle de multiples séismes: tectonique avec le tremblement de...
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Japon (1995-1996): Une mémoire oublieuse de l'histoire
L'année 1995 aura été celle de multiples séismes: tectonique avec le tremblement
de terre de Kobe, le 17 janvier; social avec l'attentat au gaz sarin perpétré
dans le métro par la secte religieuse Aum, le 20 mars; économique enfin, avec la
chute du dollar au-dessous de 80 yens.
L'année suivante aura, quant à elle, été
celle des bilans, procès, projets et ratifications censés remettre sur pied le
"colosse Japon".
Pour les conservateurs du Parti libéral-démocrate (PLD, Jiminto) qui avaient
perdu le pouvoir durant l'été 1993 et l'avaient retrouvé partiellement en 1994
(le partageant avec le Parti socialiste), l'objectif a été de mettre en place
une politique capable de regagner la confiance des électeurs pour emporter les
élections législatives fixées à fin 1996-début 1997 après divers reports.
L'enjeu était important, puisque le PLD, qui a dirigé le pays pendant quarante
ans sans grands problèmes de majorité, n'était plus assuré à l'avenir de
l'emporter, une partie de l'ancienne majorité ayant fait sécession en 1993 dans
le sillage d'Ozawa Ichiro.
D'une manière très inattendue, ce sont les adversaires politiques de longue date
des conservateurs, les socialistes, qui ont proposé de gouverner avec le PLD.
On
s'attendait à une alliance tactique de très courte durée qui aurait débouché sur
des élections anticipées, chacun reprenant son identité et ses idées, mais rien
de cela ne s'est produit.
L'étrange alliance socialisto-conservatrice, mise en
place à l'été 1994, a fonctionné.
Cette "entente" reposait sur deux raisons de
fond: d'une part la volonté, tant au Parti socialiste que chez bon nombre de
députés conservateurs, d'écarter Ozawa Ichiro, personnalité très controversée,
du pouvoir, d'autre part le souci de se protéger des effets du nouveau mode de
scrutin qui régira les prochaines élections.
En effet, il n'y aura plus que 300
députés élus dans le cadre des circonscriptions, les 200 autres étant choisis à
la proportionnelle.
Ce système plus "moderne" est apparu très inquiétant pour le
monde politique.
Les sondages et simulations divers ont montré qu'il y aurait
des perdants à ce changement, que des partis politiques pourraient se trouver
affaiblis, que des députés n'auraient plus de "fief" électoral, lequel
constituait la base du clientélisme politique qui avait prévalu jusqu'alors.
Une rivalité devenue ouvertement conflictuelle
Le Premier ministre socialiste Murayama Tomiichi, ayant échoué à régler le
scandale des prêts jusen, a cédé la place, le 11 janvier 1996, à l'homme fort du
PLD, Hashimoto Ryutaro (288 voix contre 167).
Dès lors, la rivalité - pour ne
pas dire la guerre politique - entre les frères d'hier, Ozawa Ichiro et le
nouveau Premier ministre, s'est révélée au grand jour.
Pour le second, il
s'agissait de gagner du temps afin d'apporter la preuve que le PLD pouvait à
nouveau bénéficier de la confiance populaire et qu'il avait toujours une réelle
capacité à diriger le pays.
Quant à son adversaire, il avait tout intérêt à
obtenir des élections le plus tôt possible afin d'entraîner le pays dans la
"nouvelle et vraie orientation pour le XXIe siècle" dont le Japon a besoin,
selon lui.
Le Shinshinto (grand parti de centre droit) qu'Ozawa Ichiro a formé
avec les transfuges du PLD et le parti bouddhique Komeito bénéficie du soutien
des membres de la secte Soka Gakkai, dont la discipline de vote et l'activisme
électoral sont très connus.
Lors des élections sénatoriales partielles de
juillet 1995, le Shinshinto a ainsi remporté 30 % des voix.
Si, par conséquent,
l'apathie et l'absentéisme ont continué à dominer tant dans l'électorat
traditionnel du PLD que dans celui du PS, il n'en va pas de même pour les
partisans du Shinshinto.
Chacun des deux camps a donc cherché à affaiblir l'autre.
Deux événements, l'un
social, l'autre financier, ont été exploités pour tenter de déstabiliser
l'adversaire.
A la suite de l'affaire de la secte Aum (l'attentat au gaz sarin de 1995 a fait
onze morts et plus de 5 000 blessés) et après le long et très médiatisé procès
de son gourou Asahara Shoko, ouvert le 24 avril 1996, le gouvernement a cherché
à modifier la loi sur les associations religieuses, laquelle sert bien souvent à
abriter des activités commerciales ou politiques.
La modification de cette
législation tend à obliger toutes les sectes à déclarer chaque année la
provenance de leurs ressources et leur utilisation.
Les sectes ont réagi en
déclarant qu'il s'agissait d'une atteinte à leur liberté de croyance garantie
par la Constitution (art.
20, 1) et d'un retour à la mainmise de l'État sur
leurs activités.
Il faut rappeler que ce pays de 125 millions d'habitants
compterait, selon les recensements, 231 000 organisations religieuses et plus de
220 millions de croyants - en sachant qu'une même personne peut être à la fois
bouddhiste et shintoïste.
Le gouvernement a déployé d'autant plus de zèle à vouloir contrôler les sectes
qu'il en visait particulièrement une: la Soka Gakkai.
De cette manière, le parti
Shinshinto ne pourrait plus aussi facilement bénéficier des fonds et de l'aide
de la secte.
Le scandale "jusen"
Un scandale financier a cependant permis à Ozawa Ichiro de tenter de prendre sa
revanche sur le gouvernement.
En novembre 1995, l'une des plus grandes banques
japonaises, la Daiwa, était mise en faillite, sa filiale de New York ayant opéré
des placements désastreux pendant onze ans (110 milliards de yens de pertes), et
ce sans avertir les autorités américaines.
De la même façon, mais au Japon même,
17 des 21 principales banques ont cumulé, par le biais de leurs maisons de
prêts, des créances irrécupérables d'un montant total de 685 milliards de yens.
Parmi les bénéficiaires de ces prêts jusen figurent des membres de la pègre
japonaise, les yakusa.
Le gouvernement a donc proposé un impôt supplémentaire
pour faire payer la facture aux contribuables, suggestion qui a scandalisé le
pays.
Ozawa a alors mobilisé "ses" députés qui ont bloqué le Parlement et
empêché l'adoption du budget 1996.
Il aura fallu attendre une élection
sénatoriale dans la préfecture de Gifu, en mars 1996, gagnée par le PLD, pour
obliger le leader du Shinshinto à abandonner sa tactique de blocage des débats
(vingt-trois jours de sitting).
Fort d'une popularité maintenue aux environs de 45 %, Hashimoto Ryutaro a mis en
chantier un vaste projet (la "Hashimoto Vision") prévoyant la refonte de vingt
ministères et agences d'État en sept unités administratives placées sous
l'autorité du Premier ministre.
La lutte du pouvoir politique contre la haute
administration, souvent jugée comme un État dans l'État, était en fait engagée
depuis longtemps; le Premier ministre n'a fait que saisir l'occasion des
scandales financiers et autres faillites retentissantes - qu'aurait dû voir
venir le tout-puissant ministère des Finances - pour élaborer un plan de
contrôle accru du politique sur l'administratif.
Ce plan, dont le détail devait
être....
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