L 'Agonie de la Lison La locomotive de Jacques Lantier (La Lison) a violemment heurté un chariot chargé de blocs...
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L 'Agonie de la Lison
La locomotive de Jacques Lantier (La Lison) a violemment heurté un chariot
chargé de blocs de pierre.
La Lison, renversée sur les reins, le ventre ouvert, perdait sa
vapeur, par les robinets arrachés, les tuyaux crevés, en des souffles
qui grondaient, pareils à des râles furieux de géante.
Une haleine
blanche en sortait, inépuisable, roulant d'épais tourbillons au ras
5 du sol; pendant que, du foyer, les braises tombées, rouges comme le
sang même de ses entrailles, ajoutaient leurs fumées noires.
La cheminée, dans la violence du choc, était entrée en terre; à l'endroit
où il avait porté, le châssis s'était rompu, faussant les deux longerons et, les roues en l'air, semblable à une cavale monstrueuse
10 décousue par quelque formidable coup de corne, la Lison montrait
ses bielles tordues, ses cylindres cassés, ses tiroirs et leurs excentriques écrasés, toute une affreuse plaie bâillant au plein air, par
où l'âme continuait de sortir, avec un fracas d'enragé désespoir.
Justement, près d'elle, le cheval qui n'était pas mort, gisait lui aussi,
15 les deux pieds de devant emportés, perdant également ses entrailles
par une déchirure à son ventre.
A sa tête droite, raidie, dans un
spasme d'atroce douleur, on le voyait râler, d'un hennissement terrible, dont rien n'arrivait à l'oreille, au milieu du tonnerre de la
machine agonisante.
In La Bête humaine (Chap.
X).
_ _ _ _ _ _ QUESTIONS-----1 - Quel rôle joue, selon vous, le cheval blessé qui apparaît à la
fin du texte ?
Le cheval qui apparaît à la fin du passage est une sorte de métaphore de la locomotive.
L'engin éventré a été présenté plus haut comme "une cavale monstrueuse".
En décrivant, pour finir, un vrai cheval
agonisant à l'aide de termes déjà employés pour la machine ("perdant
également ses entrailles par une déchirure à son ventre" est une reprise
des lignes 5 et 6), Emile Zola renforce l'aspect dramatique et pathétique
de son évocation.
2 - Relevez les images présentes dans les deux premières phrases.
Quelles sont les deux tonalités principales qu'elles contribuent
à créer?
Dans les deux premières phrases, les nombreuses images contribuent à constituer deux tonalités principales : une tonalité épique par
le biais de l'ensemble métaphore et comparaison "des souffles qui
grondaient, pareils à des râles furieux de géante", à la ligne 3.
Une
tonalité pathétique est produite par les métaphores que sont "renversée
sur les reins", "le ventre ouvert" et la comparaison de la fin de la
deuxième phrase : "rouges comme le sang même de ses entrailles".
- - - - COMMENTAIRE COMPOSÉ - - - Introduction
- Présentation
du texte
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Jacques Lantier, personnage principal de La Bête
Humaine, publié par Emile Zola en 1890, est aimé
d'une jeune garde-barrière que la jalousie conduit à
provoquer une catastrophe ferroviaire .
Elle a en effet
engagé un lourd fardier sur la voie à l'arrivée du train
où se trouvent Jacques et Séverine, la rivale, respectivement au poste de conduite et parmi les voyageurs.
Au chapitre X du livre, l'accident vient d'avoir lieu et
Zola dirige nos regards sur la locomotive défoncée puis
sur un cheval agonisant.
-Annonce du
plan
I - Le réalisme
- vocabulaire
technique
- le cheval
amputé
Transition
Le caractère éminemment spectaculaire de cette
émouvante description ne nous interdit pas d'en examiner d'abord les aspects réalistes et techniques.
n sera
temps de montrer ensuite comment l'auteur, haussant le
ton, déborde la nature et les proportions du spectacle
pour donner à la relation d'un fait divers une dimension épique.
On soulignera enfin comment la destruction d'une machine est ici représentée comme une
pathétique agonie.
On sait combien Zola, héritier de Flaubert, auteur
féru d'objectivité, et lui-même théoricien du
"Naturalisme", attachait d'importance à la documentation et au respect scrupuleux du réel.
L'histoire littéraire
nous apprend qu'il s'est abondamment documenté,
pour écrire La, Bête humaine, sur le monde des chemins
de fer et particulièrement, pour ce chapitre X, sur les
catastrophes dont l'une se produisit précisément en
1889.
On trouve effectivement dans cette description les
traces d'une observation détaillée portant sur les pièces
mécaniques de l'engin et les dégâts qu'elles ont subis:
en témoigne l'abondant vocabulaire technique qui, dans
un autre contexte, ne déparerait pas un constat d'expert;
ainsi, "à l'endroit où il avait porté, le châssis s'était rompu, faussant les deux longerons" ...
de la même manière, on est convié, lignes 11 et 12 à contempler des
"bielles tordues", des "cylindres cassés", des "tiroirs et
leurs excentriques écrasés", sans compter les "robinets
arrachés" et "les tuyaux crevés", mentionnés ligne 2.
On peut discerner aussi une volonté de réalisme, un
désir de montrer l'accident sous ses aspects les plus brutaux et les moins soutenables dans le spectacle qui nous
est offert d'un cheval aux "deux pieds de devant emportés ...
perdant.
..
ses entrailles ..." et dont "la tête droite
(est) raidie dans un spasme d'atroce douleur".
Ori pourrait même considérer cette insistance comme la marque
d'une plume journalistique habile à combler le goût de
l'horreur d'un lectorat un peu voyeur ...
Or tout cela ne tient pas car le texte, malgré ces éléments, ou plutôt grâce à l'exploitation qui en est faite,
quitte le domaine du regard expert ou complaisant
pour emprunter celui d'un visionnaire.
II-La dimen-
sion épique
- insistance sur
la violence
- le bruit
- contraste
- personnification
- hyperboles
- contamination
des éléments
de la réalité
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Cette transfiguration de la réalité résulte d'un certain nombre de choix dont la réunion permet à l'auteur
de parvenir à ses fins.
On notera d'abord que Zola recourt à l'emploi d'un
grand nombre de termes susceptibles de stimuler l'imagination, appelée avec insistance à mesurer la violence
du choc ; ainsi en est-il des adjectifs "arrachés", "crevés", "rompu", "tordues", "cassés", "écrasés", ou d'une
mention comme "la cheminée était entrée en terre" ; et
l'on peut mettre sur le même plan des termes comme
"fracas" et "tonnerre" qui ajoutent au tableau une dimension sonore....
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