La croissance des consommations non marchandes a-t-elle contribué à l'homogénéisation des pratiques sociales en France depuis 1945? !NTRODUCTTON Ili Accroche...
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La croissance des consommations non marchandes a-t-elle contribué
à l'homogénéisation des pratiques sociales en France depuis 1945?
!NTRODUCTTON
Ili Accroche du sujet
De 1945 à nos jours, la société française est parvenue au stade de la
«consommation de masse».
Cette expression a une triple signification.
Elle
rend d'abord compte d'une certaine homogénéisation des niveaux de vie et
des modes de vie.
Elle fait ensuite référence à l'accès généralisé des Français à
des biens et des services réservés traditionnellement à des groupes sociaux
restreints.
Elle traduit enfin le fait que la plupart des individus consomment
beaucoup.
Cette évolution est particulièrement nette pour des services comme
l'éducation, la santé et la culture.
Définitions et problématique
Les services non marchands sont spécifiques : les ménages ne supportent
pas directement l'intégralité de leurs coûts puisqu'une partie de leur produc' tion est financée à partir de prélèvements obligatoires.
La croissance des
consommations non marchandes résulte notamment de l'établissement d'un
État-providence en France depuis 1945 et participe d'un vaste processus
d'homogénéisation des pratiques sociales.
Cependant, cette homogénéisation
ne doit pas occulter le maintien des inégalités et l'importance des logiques de
différenciation des pratiques de consommation entre les Français.
Ce double
mouvement d'homogénéisation et de différenciation donne lieu à des inter
prétations diverses.
li]
Annonce du plan
La croissance des consommations non marchandes contribue donc à
l'homogénéisation des pratiques sociales (I).
Intimement liée à là montée des
classes moyennes en France depuis 1945 (II), elle ne doit pas être interprétée
comme un processus d'indifférenciation des pratiques sociales (III).
PARTIE I
La croissance rapide des consommations non marchandes depuis les années
cinquante (A) reflète les mutations intervenues dans l'offre (B) ainsi que dans
la demande de services (C).
il A.
Les consommations non marchandes connaissent une croissance rapide depuis
les années cinquante.
La consommation finale des administrations publiques et privées constitue
une première mesure des services non marchands dont bénéficient les
1! ménages.
Parmi ces services, certains, comme la justice ou la police sont
«collectifs», ce qui signifie qu'aucun consommateur ne peut en être exclu.
D'autres, comme l'éducation, la santé, la culture sont «individualisables» et
pourraient être produits sous une forme marchande.
La prise en charge par
l'État, en France, d'une partie importante de la production de ces services
depuis 1945 reflète un «choix de société».
Par ailleurs, la consommation finale
des ménages comptabilise les dépenses brutes des ménages dans des
domaines comme la santé ou le logement, y compris les «transferts» tels que
les remboursements de Sécurité sociale ou l'allocation-logement.
La notion
récente de «consommation socialisée», regroupant la valeur des services
«individualisables» et des «transferts» permet de mieux mesurer une partie
des dépenses consenties par la collectivité pour la satisfaction des besoins non
marchands.
À côté des consommations marchandes, se sont donc développées
des consommations non marchandes, socialisées, collectives, fournies par les
administrations publiques et financées par des prélèvements obligatoires.
Ces
consommations représentent, en France, au milieu des années quatre-vingt
dix, près du tiers de la consommation privée.
Parmi ces services, deux méritent une attention particulière : l'éducation et
la santé.
L'éducation correspond à la consommation collective la plus impor
tante, notamment par son poids dans le budget de l'État.
L1 effort accompli
depuis 1945 légitime la notion d'«éducation de masse» : aujourd'hui, on
compte plus de 12 millions de jeunes scolarisés et près de 2 millions d'étu
diants.
Les dépenses d'éducation ont augmenté de plus de 60% depuis 1973
en francs constants, l'État et les collectivités locales assumant près de 85% de
ces dépenses depuis la fin des années soixante.
Les dépenses de santé ont,
elles aussi, augmenté plus fortement que la consommation finale des
ménages.
Près de 10% du PIB de la France sont actuellement consacrés aux
dépenses de santé.
Il faut aussi tenir compte des «services sociaux» comme les
crèches, les cantines, les maisons de retraites.
La part des dépenses liée à ces
services sociaux n'a cessé de croître dans la «consommation élargie», définie
comme la somme de la consommation finale des ménages et des services non
marchands «individualisables».
Elle représente actuellement plus de 10% de
l'ensemble des consommations collectives.
Ill B.
L'action de l'État a été déterminante dans le développement de la consomma
tion non marchande.
Les consommations de services non marchands sont ainsi devenues une
composante essentielle du mode de vie d'une société qui s'enrichit.
L'État a
joué un rôle décisif dans l'offre de ces consommations depuis 1945, bien que,
depuis la fin des années soixante-dix, il cherche à réduire son engagement.
Dans le domaine de la santé, l'État a amélioré quantitativement et qualita
tivement l'offre de soins.
Il a financé l'installation de nouvelles structures
d'accueil, la technicité croissante des soins, la formation d'une «expertise
médicale».
Il a aussi généralisé la protection sociale : la quasi-totalité de la
population française est désormais couverte par la Sécurité sociale contre 76 %
en 1960.
Avec la montée de la précarité et de l'exclusion pendant les années
quatre-vingt-dix, des mesures ont été prises pour perpétuer cette protection
généralisée.
Les couvertures complémentaires se sont également développées
et plus de 80% des Français sont doublement protégés depuis les années
quatre-vingt-dix.
La croissance de la consommation de soins suit l'évolution
de la protection sociale.
On constate une corrélation importante entre les deux
phénomènes pendant les «Trente Glorieuses».
L'essor de la consommation de
soins s'est pourstùvi entre 1980 et 1990, mais deux fois moins vite que dans la
décennie soixante-dix.
Depuis 1990, ce ralentissement s'est accentué, tandis
que la part financée par les ménages et leurs mutuelles passait respectivement
de 15,6% et 5% en 1980 à 18,9% et 6,6% en 1994.
Dans le domaine de l'éducation, la politique volontariste d'éducation de
masse n'a pas suivi une évolution linéaire depuis 1945.
Elle a obéi à une
logique de «paliers» liés les uns aux autres.
L'État a d'abord allongé la scola
rité obligatoire, puis a «démocratisé» l'accès au collège pour enfin imposer
l'objectif de 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat dans les années
quatre-vingt.
L'action de l'État, favorisant la croissance des consommations non
marchandes, peut être interprétée selon plusieurs grilles.
Selon les écono
mistes de la régulation, l'augmentation de l'offre de consommations non
marchandes renvoie à la diffusion du mode de régulation monopoliste et à
l'établissement de nouvelles «normes sociales de consommation».
Ces
nouvelles normes résultent d'un «compromis fordiste» entre les groupes
sociaux.
Les consommations non marchandes sont un élément déterminant de
ce «compromis» et favorisent la stabilisation de la conjoncture économique.
L'approche économique néoclassique adopte une problématique différente.
Comme les bénéficiaires des consommations non marchandes ne sont pas les
payeurs directs, la croissance de ces consommations se poursuit tant que le
coût supporté par les payeurs est tolérable.
L'augmentation des dépenses
publiques ne peut alors être uniquement identifiée à l'intérêt collectif.
Certaines analyses prolongent ces conclusions: les producteurs de ces services
ont tout intérêt à maximiser leur offre dont ils sont seuls à connaître les coûts.
' Pour les théoriciens de la croissance endogène, les consommations non
marchandes engendrent des effets externes positifs et doivent par conséquent
être prises en charges par l'État.
1
Il C.
La forte demande des ménages pour les services non marchands a accompagné
l'action de l'État.
La croissance des consommations non marchandes renvoie aussi à une
évolution durable de la demande des Français.
On constate, tout d'abord, en
étudiant les budgets des ménages, une forte croissance des services comme la
santé, conformément à l'une des «lois» d'E.
Engel: plus le revenu est impor
tant, plus forte est la part consacrée aux dépenses «diverses», dépenses qui
recouvrent, en gros, les services.
On constate aussi une tendance à l'homogé
néisation des pratiques de consommation entre les différentes catégories
socioprofessionnelles.
Cette évolution est particulièrement remarquable pour la consommation de
soins puisque les dépenses de santé dans le budget des ménages passent de 5%
en 1960 à plus de 10% dans les années quatre-vingt-dix.
L'augmentation des
dépenses de santé renvoie bien à une lame de fond qui provient d'un boulever
sement du système des «besoins» des Français.
Il en est de même pour les
dépenses d'éducation.
La demande d'éducation a largement relayé l'augmenta
tion de l'offre.
L'allongement des études est sans doute la principale manifesta
tion de cette demande : un jeune sur deux, entre 18 et 25 ans, est encore scolarisé.
Cette évolution s'explique par un souci de mobilité sociale, mais aussi par la
prise de conscience d'un bouleversement de la structure des emplois, sinon de
la nature du travail.
La crise économique et la montée du chômage ont aussi
créé les conditions d'un allongement des études.
Ces transformations marquent
une coupure entre les générations : la majorité des deux millions d'étudiants
actuels est majoritairement issue des classes moyennes et plus de 60% des
parents de ces étudiants n'ont jamais fait d'études supérieures.
L'importance croissante des variables comme l'âge et le sexe dans la diffé
renciation des pratiques sociales de consommations non marchandes parti
cipe de ce processus de «démocratisation» révélant une indépendance
croissante par rapport aux variables sociales comme celles liées aux classes
sociales traditionnelles.
Par exemple, la différence entre la quantité moyenne
de soins consommés entre les groupes sociaux différenciés sur l'échelle de
revenus n'est que de 20 % et de 10 % entre les groupes de salariés.
L'augmentation des dépenses de santé devient ainsi largement déterminée
par le vieillissement de la population française.
Par ailleurs, disposant, avec
l'État-providence et l'essor des systèmes de retraite privés, d'un revenu
disponible souvent supérieur aux actifs, et de plus de temps, les personnes
" âgées sont devenues d'ores et déjà des consommateurs privilégiés pour les
services culturels, sinon d'éducation.
La relation entre le sexe et les consom
mations non marchandes permet de mettre en valeur des pratiques différen
ciées.
Les femmes recourent plus que les hommes aux consommations non
marchandes de santé, notamment en milieu urbain, et les filles réussissent
mieux à l'école que les garçons.
Cependant, l'écart entre les sexes est moins
marqué dans les catégories sociales aisées et, en revanche, particulièrement
net dans les catégories modestes.
Les enquêtes révèlent un plus grand esprit
de sérieux et une plus grande capacité d'adaptation aux différents styles
d'enseignement parmi les filles qui se comporteraient ainsi en consomma
trices plus avisées des services éducatifs que les garçons.
PARTIE
II
Cette homogénéisation des consommations non marchandes est liée à la
montée des classes moyennes depuis 1945 (A).
Certains sociologues privilé
gient la mutation du système de valeurs qui accompagne cette «moyennisa
tion» des structures sociales (B), tandis que d'autres insistent sur la
salarisation des actifs (C).
A.
La montée des classes moyennes est une des explications de l'homogénéisation
des pratiques sociales.
Les études de l'INSEE, fondées depuis les années cinquante sur la grille
des CSP /PCS, mettent en valeur l'essor des «classes moyennes», composées
des cadres et professions intellectuelles supérieures, des catégories intermé
diaires et des employés.
Elles représentaient près de 30 % de la population
active française en 1945 et plus de 60% à la fin des années quatre-vingt-dix.
Par ailleurs, les sondages révèlent un sentiment d'appartenance aux classes
moyennes qui ne fait que croître depuis 1945, et cela quelle que soit la CSP.
Ce
sont les membres de ces groupes sociaux qui ont représenté les gros bataillons
des consommateurs de biens durables, mais aussi des consommations non
marchandes telles que la santé, l'école, la culture.
La féminisation de certaines
professions, en augmentant la part des couples à deux revenus au sein de ces
groupes sociaux, va dans le même sens.
Il est difficile de donner un critère «objectif» pour identifier ces classes
moyennes.
La notion de «capital» étendu au «capital culturel» est une notion à
privilégier.
Pendant les «Trente Glorieuses», ce sont ces classes moyennes qui
ont le plus bénéficié de la croissance des consommations non marchandes.
L'accès massif au système éducatif a permis la constitution de «capitaux culturels» échappant, en partie, au contrôle des classes dominantes.
Par ailleurs,
l'augmentation de l'offre de services non marchands a été aussi l'occasion de
création d'emplois protégés, permettant une certaine mobilité sociale.
Il B.
L'homogénéisation des modes de vies' effectue aussi par l'adhésion à des valeurs
communes.
Les classes moyennes ont été qualifiées de «classe de consommation» et leur
ascension associée à l'émergence d'une société postindustrielle, postsalariale et
postfordiste.
R.
Rochefort emploie l'expression de «société de consommateurs»
qui résume bien un certain nombre d'approches macrosociologiques fondées
sur les mêmes diagnostics.
On peut citer, ici, les travaux d'H.
Mendras et du
groupe Louis Dirn.
Le rapprochement incontestable des conditions de vie entre
les groupes sociaux est, alors, interprété comme annonçant la fin des classes
sociales.
À une stratification sociale hiérarchisée en un petit nombre de classes
distinctes traversées de conflits portant sur le système économique se substitue
une structure plus floue : la nébuleuse des classes moyennes.
D'autres repères
identitaires s'imposent aussi qui sont liés à l'âge, au sexe ...
Les trajectoires
individuelles acquièrent une importance décisive dans la formation des
identités sociales.
Ces changements sociaux donnent naissance à un nouveau
type de société.
La société serait ainsi devenue post-industrielle reposant sur
une économie de services.
Dans le cadre de cette nouvelle société, les consommations immatérielles revêtent une importance majeure.
L'homogénéisation des modes de vie s'effectue par l'adhésion à des
valeurs communes comme le libéralisme et l'individualisme mais aussi l' égalité et la tolérance.
Ce qui ne signifie pas l'absence de conflits sur la définition
de ces valeurs.
Mais l'importance de l'idée d'égalité au sein de ce système de
valeurs a permis la création et le développement d'un État-providence.
lil C.
La montée du salariat est aussi une évolution à prendre en compte
Le salariat demeure encore le statut socioprofessionnel de plus de 80 % des
actifs dans la société française.
Peut-on alors s'en tenir aux définitions données
par K.
Marx du salariat? Il semble difficile de résumer le rapport salarial à
l'affrontement entre deux classes sociales, chacune forgeant son identité
collective à travers la lutte qui l'oppose à l'autre.
Par ailleurs, le salaire ne
suffit pas à définir le rapport salarial qui renvoie aussi aux consommations
non marchandes et à l'État-providence.
L'analyse des inégalités et des différences entre les pratiques de consommations non marchandes fait apparaître
différents clivages liés aux statuts socio-professionnels.
Tout d'abord, se dessine un clivage entre indépendants et salariés, entre
ceux qui tirent leurs revenus de la possession et/ ou de la valorisation d'un
patrimoine professionnel, d'un capital économique, et ceux qui les tirent de
l'exercice d'une activité salariée.
A niveau de vie équivalent, le recours aux
consommations non marchandes des indépendants se différencie de celles des
salariés.
Leurs contraintes d'emploi du temps, généralement plus fortes que
celles des salariés, expliquent de moindres dépenses de culture, voire de santé,
et donc un moindre recours aux services collectifs.
Ils ont aussi un goût plus
prononcé pour l'accumulation d'un capital économique que pour celle d'un
capital culturel et disposent, en moyenne, d'une moindre protection sociale.
__
À cette première opposition entre indépendants et salariés s'en superpose,
sans la recouper, une seconde qui différencie les «manuels» et les «intellectuels», entre ceux qui doivent leur situation, dans la division sociale du travail
et les avantages matériels et....
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