La cruauté de la gloire 1 - UN THÉÂTRE POLITIQUE • Politique et tragédie Dès son apparition la tragédie est...
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«
La cruauté
de la gloire
1 - UN THÉÂTRE POLITIQUE
• Politique et tragédie
Dès son apparition la tragédie est un « phénomène politico-litté
raire» (Jacques Truchet), autrement dit un genre politique par
nature, ne serait-ce que dans la mesure où les représentations
dramatiques, en Grèce, ont été à la fois civiques et religieuses
(voir « La dramaturgie antique•, p.
16).
Il y a mieux! La « poli
tique», au sens étymologique du mot, c'est l'art de gouverner la
cité - en grec• polis• - ou l'État, ou, si l'on préfère, toute société
organisée, avec ses institutions, ses règles, ses valeurs, ses
membres prééminents, qui détiennent, exercent le pouvoir, au
mieux, en principe, des intérêts collectifs.
Or les héros tragiques
appartiennent tous à ce qu'on appellerait de nos jours les
classes dirigeantes: ce sont des rois, des reines, des princes,
des princesses, des grands de ce monde, et c'est même là un
signe distinctif du genre, puisque l'on ne peut faire monter sur
la scène tragique ces bourgeois, ces paysans, ces gens du
peuple que la hiérarchie littéraire cantonne dans la comédie et
que le XVIII' siècle réservera au « drame bourgeois•.
Mauriac, à
propos de Racine, parlera de la «peinture d'une certaine race
d'hommes et d'un milieu très singulier•, celui des palais royaux
et des demeures aristocratiques.
Ces personnages de si haute naissance - Agamemnon,
Clytemnestre, Néron, Auguste - ne servent pas seulement à
conférer aux drames noblesse et exemplarité, de par leur
auréole mythique ou historique; « habillés, couronnés, casqués«
(Octave Nadal), ils font aussi leur métier de souverains, de
conducteurs des peuples; ils sont conscients de leur rôle, de
leurs écrasantes responsabilités, et leur autorité, la façon dont
ils exercent le pouvoir, le conservent, le gagnent ou le perdent,
constituent les thèmes majeurs de la tragédie.
Il est toujours
question des «grands Intérêts d'État», si chers à Corneille.
• Débats politiques
Politiques par nature, les tragédies en arrivent aussi à analyser
la politique, à proposer une politique, à véhiculer des idées poli
tiques, à façonner ou influencer, en la matière, les esprits des
spectateurs.
Cela est vrai du théâtre antique, qui traite de la vie de la cité, de
l'ordre social, du bon et du mauvais gouvernement (bons rois et
tyrans odieux), de la paix et de la guerre, qui, toutes deux, enga
gent les destinées des États et des individus.
Au centre de
toute l'œuvre d'Eschyle se déploie le problème de la justice celle des hommes autant que des dieux-, de sa quête difficile
(ainsi dans l'Orestie); le motif essentiel de Sophocle est le
conflit entre les lois et les valeurs, les citoyens (héros solitaires)
et les appareils (Antigone contre Créon); Euripide fait l'éloge de
la démocratie, condamne les guerres absurdes ...
Il n'en sera pas autrement dans le théâtre de Corneille, «un pas
sionné de la politique•, voire «un doctrinaire politique» selon les
mots de Georges Couton, dont l'œuvre entière est une médita
tion fondamentale sur l'État, la souveraineté, c'est-à-dire- dans
cette société d' Ancien Régime où, seuls, monarques et aristo
crates tiennent les rênes du pouvoir - sur les rapports conflic
tuels entre les deux grandeurs, l'une, du monarque absolu,
l'autre, de tel ou tel de ses sujets, de naissance illustre, jaloux
de ses privilèges, et prompt à se rebeller.
Devenu « le Cid",
Rodrigue servira la gloire de son roi autant que la sienne
propre; Nicomède, dans la tragédie qui porte son nom, refu
sera, au péril de sa vie, d'écraser le trône sous le poids de ses
conquêtes, mais Suréna- le pathétique héros de la dernière
pièce- périra, victime d'un despote ombrageux et envieux.
Mêmes problèmes politiques chez Racine, de succession (que
relles dynastiques, partage du pouvoir, mariages princiers, autre
ment dit les réalités gouvernementales du temps), de légitimité
(transmission de l'autorité, instauration d'un ordre nouveau,
séditions), d'exercice du pouvoir (bons et mauvais princes).
La
tragédie racinienne «développe presque constamment une mys
tique de la royauté qui se marque aussi bien dans la mise en
scène (ces gardes que l'on appelle et que l'on renvoie d'un geste
majestueux) que dans le discours et la pensée» (J.
Truchet).
Ainsi de Corneille à Racine peut-on suivre aisément la naissance
controversée, l'installation progressive, le triomphe de la monar
chie absolue,....
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