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La cruauté de l'amour 1 - UN THÉATRE D'AMOUR Une alliance contre nature? L'amour a-t-il sa place dans la tragédie?...

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« La cruauté de l'amour 1 - UN THÉATRE D'AMOUR Une alliance contre nature? L'amour a-t-il sa place dans la tragédie? Les pièces d'Eschyle et de Sophocle n'en proposent aucune peinture ni analyse; seul, Euripide - et il est le premier à le faire dans l'histoire du genre - montre des héroïnes torturées par la passion: Phèdre, Médée ou Hermione.

Le XVII' siècle s'est posé la question: le genre tragique ne devait-il pas écarter ce thème, tout préoc­ cupé qu'il était de ce que Corneille appelle les .grands intérêts d'État», autrement dit la politique, et de •passions plus nobles et plus mâles» que l'amour, telles l'ambition et la vengeance (voir p.

82)? T héoriciens ou dramaturges, sauf Racine, sem­ blaient partager les réticences d'un Boileau: •Peignez donc, j'y consens, /es héros amoureux", et l'amour leur paraissait une •concession à peu près indispensable, mais concession" (Jacques Truchet). De fait le théâtre tragique, sous Louis XIII et Louis XIV, est en majeure partie un théâtre d'amour, à tel point qu'une tragédie sans amour, comme !'Athalie de Racine, constitue une véritable gageure.

On n'hésitait pas à ajouter de l'amour là où, dans la •Fable" ou I' Histoire, il était absent; chez Euripide Hippolyte était chaste, hostile même à la déesse Vénus, Racine ne l'en rendit pas moins amoureux d'une jeune Aricie, inventée pour la circonstance; Corneille introduisait dans son Œdipe une intrigue amoureuse, alors que le sujet ne s'y prêtait guère! Dans son Polyeucte, tragédie chrétienne, au drame de la sain­ teté et du martyre il entrelaça les amours romanesques de Pauline et de Sévère.

Et dans les sujets politiques, tirés de !'Histoire, on eut la plupart du temps recours à une recette éprouvée, qui consistait à expliquer les événements connus par quelque intrigue amoureuse: ainsi la conjuration de Cinna et le meurtre de Britannicus.

On a vu que dans la seconde moitié du siècle l'amour deviendra, sans complexe et sans plus rien de... tragique, le motif unique, primordial, de la tragédie dite «galante» et de l'opéra. « L'amour est donc présent dans presque toutes les tragédies françaises, du moins à partir du XVI I' siècle.

Mais rien n'est plus varié que les formes qu'il y revêt.

Elles débordent de loin les limites que Mlle de Scudéry lui a assignées en dressant et en commentant la carte de Tendre.

» Jacques Truchet. Dans C/é/ie, roman qui fit fureur à l'époque Louis XIII, une femme écrivain, une «précieuse», s'était amusée à présenter les diffé­ rentes sortes d'amour ou d'affection - le , tendre», dans le jar­ gon à la mode - sous la forme d'une carte géographique, où l'on pouvait suivre les routes de Tendre-sur-Estime, Tendre-sur­ Inclination, etc.

La tragédie classique sera une « carte de Tendre» autrement fournie. Le langage de l'amour Chaque époque, chaque société a son langage de l'amour; il y a dans ce domaine comme dans d'autres des préférences, des préjugés ou des interdits.

Le plus étonnant pour un spectateur ou un lecteur moderne est la grande retenue, pour ne pas dire pudeur, du langage amoureux dans toutes ces tragédies qui pei­ gnent la violence, les ravages et les désordres de la passion ou tout au moins l'intensité de l'expérience amoureuse.

Chez Corneille, chez Racine on s'aime, on se désire à la folie, mais l'on ne peint, ne dit, ne parle l'amour qu'à mots chastes ou cou­ verts.

Il faut voir là l'influence des salons «précieux», l'impor- tance de plus en plus grande dans la société mondaine du temps, à la Cour comme à la ville, des femmes, celles-ci sou­ cieuses de polir, de civiliser des mœurs encore trop souvent, au début du siècle, brutales et grossières, le poids grandissant de ce qu'on nomme alors I' «honnêteté» et les «bienséances», celui aussi d'une morale chrétienne de plus en plus contrai­ gnante.

Il est significatif qu'on ait pu, en 1637, considérer Chimène comme une «impudique», parce qu'elle osait dire avec une litote fameuse («Je ne te hais point•)! - au meurtrier de son père qu'elle l'aimait toujours, faute doublement scanda­ leuse, puisqu'il n'était pas permis aux filles et aux femmes de dire qu'elles aimaient:«// ne faut jamais, dit l'abbé d'Aubignac, un «docte• du temps, qu'une femme fasse entendre de sa bouche à un homme qu'elle a de l'amour pour lui.• Cet aveu était tout au plus acceptable en trois étapes: Phèdre avoue d'abord son amour à sa confidente, puis au principal intéressé, enfin à Thésée, son époux.

Et les mots choquent plus que les situa­ tions.

Voilà pourquoi le langage amoureux, du sentiment, de la sensualité, a fortiori de la sexualité, paraît toujours en deçà des réalités, et comme décalé, soit qu'il use de termes abstraits plutôt que concrets - rien qui renvoie de façon trop claire au corps, rien d'érotique! - ou d'images, de métaphores consa­ crées par une tradition à la fois littéraire et mondaine.

En outre l'affaiblissement, voire le changement de sens pour certains mots (comme «charmes•, qui signifie au premier chef les «sorti­ lèges de l'amour», un quasi «envoûtement») n'a pas peu contri­ bué non plus, pour le spectateur moderne, à brouiller les cartes, à masquer en fin de compte la violence ou la cruauté de l'amour.

Quand Racine fait dire à son héroïne, dans Phèdre: « Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée C'est Vénus toute entière à sa proie attachée.

» Il s'agit bel et bien d'�xprimer le brûlant désir, mais avec une audace contrôlée. On trouvera un résumé amusant de ce langage pudique et méta­ phorique sous la plume d'un érudit de notre temps, spécialiste de la préciosité, à propos de Corneille: «L'amant, 11blessé" des 11 traits" de la passion, endure un véri­ table 11 martyre", dès que sa 11 /iberté" a 11 rendu les armes"; désormais il est "captif", chargé dans sa prison de 11chaînes" et de 11 fers", à moins qu'il ne les 11 rompe" ou ne se révolte contre cette 11tyrannie".

Les "flammes" de l'amour, le 11 feu" qui le IIdévore" ne.... »

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