La jeune fille Augustin Meaulnes s'est égaré dans la campagne; il trouve refuge dans un étrange manoir où se déroule...
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La jeune fille
Augustin Meaulnes s'est égaré dans la campagne; il trouve refuge dans un
étrange manoir où se déroule une fête pour des enfants.
Une promenade en
bateau est organisée dans le cadre de cette fête ; au cours de cette promenade, Augustin Meaulnes rencontre la jeune châtelaine Yvonne de Galais.
C'est François Seurel, ami et confident de Meaulnes, qui raconte ...
La vieille dame W resta sur la rive, et sans savoir comment,
Meaulnes se trouva dans le même yacht que la jeune châtelaine.
Il
s'accouda sur le pont, tenant d'une main son chapeau battu par le
grand vent, et il put regarder à l'aise la jeune fille, qui s'était assise
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à l'abri.
Elle aussi le regardait.
Elle répondait à ses compagnes, souriait, puis posait doucement ses yeux bleus sur lui, en tenant sa
lèvre un peu mordue.
Un grand silence régnait sur les berges prochaines.
Le bateau
filait avec un bruit calme de machine et d'eau.
On eût pu se croire
10 au cœur de l'été.
On allait aborder, semblait-il, dans le beau jardin
de quelque maison de campagne.
La jeune fille sy promènerait sous
une ombrelle blanche.
Jusqu'au soir on entendrait les tourterelles
gémir...
Mais soudain une rafale glacée venait rappeler décembre
aux invités de cette étrange fête.
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On aborda devant un bois de sapins.
Sur le débarcadère, les
passagers durent attendre un instant, serrés les uns contre les
autres, qu'un des bateliers eût ouvert le cadenas de la barrière...
Avec quel émoi Meaulnes se rappelait dans la suite cette minute où,
sur le bord de l'étang, il avait eu très près du sien le visage désor(1) - Une vieille dame accompagnant la jeune châtelaine Yvonne de Galais.
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mais perdu de la jeune fille ! Il avait regardé ce profil si pur, de tous
ses yeux, jusqu'à ce qu'ils fussent près de s'emplir de larmes.
Et il se
rappelait avoir vu, comme un secret délicat qu'elle lui eût confié,
un peu de poudre restée sur sa joue...
À terre, tout s'arrangea comme dans un rêve.
Tandis que les
enfants couraient avec des cris de joie, que des groupes se formaient et s'éparpillaient à travers bois, Meaulnes s'avança dans
une allée, où, dix pas devant lui, marchait la jeune fille.
n se trouva près d'elle sans avoir eu le temps de réfléchir:
- Vous êtes belle, dit-il simplement.
Mais elle hâta le pas et, sans répondre, prit une allée transversale.
D'autres promeneurs couraient, jouaient à travers les avenues,
chacun errant à sa guise, conduit seulement par sa libre fantaisie.
Le jeune homme se reprocha vivement ce qu'il appelait sa balourdise, sa grossièreté, sa sottise.
Il errait au hasard, persuadé qu'il ne
reverrait plus cette gracieuse créature, lorsqu'il l'aperçut soudain
venant à sa rencontre et forcée de passer près de lui dans l'étroit
sentier.-Elle écartait de ses deux mains nues les plis de son grand
manteau.
Elle avait des souliers noirs très découverts; Ses chevilles
étaient si fines qu'elles pliaient par instants et qu'on craignait de
les voir se briser.
Cette fois, le jeune homme salua, en disant très bas :
- Voulez-vous me pardonner?
- Je vous pardonne, dit-elle gravement.
Mais il faut que je
rejoigne les enfants, puisqu'ils sont les maîtres aujourd'hui.
Adieu.
In Le Grand Meaulnes.
Première partie (extrait)
© Librairie Arthème FAYARD 1986
------QUESTIONS-----1 - Relevez et commentez les éléments qui constituent le paysage
Le paysage est un paysage hivernal ("grand vent", "rafale glacée").
Il s'agit d'un parc boisé ("bois de sapin") où sont tracées des "allées" et
des "sentiers" et où l'on navigue sur un "étang".
Les personnages évoluent dans une sorte de p~rc à l'anglaise caractéristique de la période
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romantique.
S'ajoutent à ces éléments des indications qui relèvent de
l'imaginaire : "On allait aborder semblait-il dans quelque beau jardin...
"
2 - Ligne 24, on lit : "A.
terre tout s'arrangea comme dans un rêve".
Trouvez, dans la suite du texte deux expressions qui contribuent à créer ce climat onirique.
A la ligne 28, Meaulnes "se trouva près (de la jeune fille) sans
avoir eu le temps de réfléchir"; de la même façon, à la ligne 35, "il
l'aperçut soudain venant à sa rencontre".
Dans ces deux cas on a le sentiment, du fait du caractère elliptique du récit et de l'effet de surprise, qu'on se trouve dans un rêve.
- - - - COMMENTAIRE COMPOSÉ - - - Introduction
- Présentation
du texte
-Annonce du
plan
I - Le narrateur
1- Empathie
- "on"
Avec Le Grand Meaulnes, paru en 1913, AlainFournier a donné au public un ouvrage qui est devenu
l'archétype du roman d'amour de l'adolescence.
Le
narrateur, François Seurel, y raconte, après les faits, la
rencontre qui lia son mystérieux camarade et confident
Augustin Meaulnes à la châtelaine Yvonne de Galais.
Nous examinerons d'abord le parti que l'auteur tire du
choix de son narrateur pour cette première rencon~e.
Nous nous intéresserons ensuite à la psychologie des
deux personnages et enfin à l'atmosphère dans laquelle se déroule cet épisode.
Ce qui paraît troublant à la lecture de cette page,
c'est la surprenante empathie du narrateur à l'égard du
héros.
n semble en effet qu'il ait intériorisé l'expérience en raison de son statut de confident mais aussi parce qu'il s'est identifié à son ami dont il a été comme le
premier "lecteur".
Cette fusion entre le narrateur et le
personnage apparaît avec évidence du fait du recours,
dans le deuxième et le troisième paragraphe, au pronom "On", parfois lié à un tour impersonnel : "On eût
pu se croire au cœur de l'été ...
" On allait aborder, sem-
blait-il ..." "On aborda devant un bois de sapins ...
", "On
entendrait les tourterelles gémir".
Cette empathie apparaît évidemment dans le point
de vue adopté : ainsi nous sont notamment restitués
- point de vue
des gros plans correspondant précisément au regard
adopté
de Meaulnes, comme celui de la ligne 7 où l'on voit la
jeune fille "tenant sa lèvre un peu mordue" ou celui de
la ligne 23 où l'on discerne "un peu de poudre resté
sur sa joue".
Ce point de vue a le double mérite de restituer l'émotion du jeune homme et de préserver le
mystère de la jeune fille que l'on ne perçoit que de
l'extérieur.
En revanche, la transparence du héros est
telle que nous pénétrons au deuxième paragraphe
dans l'univers même de sa rêverie ; en témoignent les
conditionnels des lignes 10 à 14: "la jeune fille s'y promènerait sous une ombrelle ...
Jusqu'au soir en entendrait les tourterelles gémir...
"
Un dernier effet est obtenu grâce au détour par le nar2 - Anticipations
rateur ; il s'agit de l'anticipation : l'émotion en effet se charge de tragique lorsqu'est évoqué l'émoi avec lequel
- explicite
"Meaulnes se rappelait dans la suite ...
le visage désonnais
perdu
..."....
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