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La répartition sexuée des tâches dans l'Économique de Xénophon

Publié le 16/08/2012

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Outre les ressemblances avec le personnage principal de la Cyropédie, l'empire perse, bien connu de Xénophon, est présent tout au long de l’Économique à travers des comparaisons, notamment ayant trait à l'armée. En IV, 7, Xénophon nous parle de la façon dont le roi des Perses, distribue punitions et récompenses à ses sujets : « Si l'on voit que les phrourarques, les chiliarques, et les satrapes ont au complet les effectifs prescrits, s'ils présentent des soldats équipés de chevaux et d'armes en bon état, il accorde des promotions honorifiques à ces officiers et les comble de riches présents ; en revanche, ceux d'entre eux qu'il prend en flagrant délit de négligence ou de malversation, il les châties durement, les dépose «. Cette citation peut être comparée à ce principe d'Ischomaque envers ses serviteurs en XII, 19 : « Si quelqu'un veut former des gens aptes à veiller avec soin et à examiner les travaux, qu'il soit décidé quand un travail est bien exécuté à en témoigner sa reconnaissance à celui qui est responsable, et qu'il n'hésite pas à châtier la négligence. «. D'ailleurs Ischomaque compare cette surveillance des serviteurs à une anecdot où le roi des Perses, apprend que c'est l'œil du maître qui fait un bon cheval. On voit donc une méthode semblable chez le roi des Perses, comme chez « l'homme de bien «. On distingue dans l'idée de Xénophon, une volonté de comparer l'oikos à une société qu'il idéalise : celle de l'empire perse.  La vie dans l'oikos d'Ischomaque : analogies avec une façon de concevoir la société.D'autres indices dans le discours d'Ischomaque, nous amènent à penser que Xénophon voit l'oikos à l'image d'une société. En VII, 32, Ischomaque dit à sa femme : « Et bien, je crois, dis-je, que la reine des abeilles, sur ordre de la divinité s'affaire à des travaux tout à fait semblables aux tiens «. La comparer ainsi à une abeille, sous entend très nettement que l'oikos où cette « reine « évolue, n'est rien d'autre qu'une société, à l'image de celle des abeilles, animal social par excellence. En VIII, 22 Ischomaque apprend à sa femme à ranger les objets dans la maison et lui dit : « Nous savons, n'est-ce pas, que dans l'ensemble de la cité chaque objet se trouve en nombre mille fois plus grand que chez nous ; cependant, tu peux demander à n'importe quel serviteur d'aller t'acheter quelque chose au marché, et de te le rapporter, aucun ne sera embarrassé et tu verras que chacun sait où il faut aller pour se procurer chaque objet. « Ici encore, l'image est facile à interpréter : le système de rangement que la femme met en place devrait idéalement être une version réduite de la façon dont une société met naturellement en place ses stocks et ses points de distribution.

« comment Xénophon nous amène à penser que, par la séparation des rôles entre l'homme et la femme, l'oikos forme une micro-société idéale.

Nous étudierons dans unpremier temps la bipartition fonctionnelle de la société que nous décrit Xénophon, ensuite nous verrons comment cette répartition, selon l'auteur, amène à unéquilibre idéal, enfin, nous verrons comment Xénophon nous montre que l'oikos, fonctionne comme une micro-société.-La mise en évidence d'une bipartition des tâches et sa mise en pratique par XénophonLa mise en évidence d'une bipartition des tâchesDans un premier temps, nousallons mettre en évidence le principe de bipartition des tâches, puis, nous allons voir comment se répartissent les tâches au sein de l'oikos.

Dans une large partie del'ouvrage, Xénophon nous décrit cette organisation.

En III, 15, Socrate apprend à Critobule que : « C'est l'activité du mari qui fait généralement entrer les biens dansla maison, mais c'est la gestion de la femme qui en règle le plus souvent la dépense ».

On distingue nettement un dualisme des rôles entre l'homme et la femme.

Lepremier fait entrer les biens dans la maison, la deuxième, s'en occupe.

Xénophon revient souvent sur cette partition des tâches.

Ainsi, en VII, 20, l'on apprendd'Ischomaque que « si les hommes veulent avoir des provisions à rentrer à l'abri, il faut quelqu'un pour accomplir les travaux en plein air : labourer une jachère,semer, planter, faire paître le bétail, autant de travaux en plein air qui procurent le nécessaire.

Il faut d'autre part quelqu'un pour les conserver et exécuter les travauxqui doivent se faire à l'abri.

[…] Pour la femme, il est plus convenable de rester à la maison que de passer son temps dehors, et il l'est moins pour l'homme de rester àla maison que de s'occuper des travaux à l'extérieur.

».

On a ici plus de détails : les hommes s'occupent des tâches extérieures, les femmes, de celles de l'intérieur.

Onpeut noter que Xénophon dissocie totalement le travail de l'homme et de la femme.

C'est une bipartition fonctionnelle de la société qui nous est décrite ici, l'homme etla femme ne partageant, théoriquement, aucune activité.

C'est un trait typique de la pensée de Xénophon qui se retrouve dans d'autres ouvrages.

Par exemple, dans laCyropédie et contrairement à Platon dans la République, Xénophon refuse tout rôle aux femmes dans le fonctionnement de l'État, qui est le domaine des hommes.Néanmoins, comme nous le verrons plus loin il pouvait arriver qu'homme et femme aient des activités communes.Nous allons maintenant analyser dans le détail comment Xénophon décrit les activités liées à l'homme, et comment il décrit celles liées à la femme, à travers lespersonnages d'Ischomaque et de son épouse.

Il faut prendre en compte que Xénophon nous décrit une situation quotidienne et ne fait pas état de situations oùl'équilibre de cette bipartition pourrait être bouleversé, comme ce peut être le cas pendant la guerre ou quand l'un des deux époux décède.L'homme : un être adapté aux travaux extérieursPour illustrer le rôle de l'homme, Xénophon met en scène le personnage d'Ischomaque.

Il est précisé en VII, 3qu'Ischomaque a été « chorège » et « triérarque ».

La triérarchie (τριηραρχία) est la plus coûteuse des liturgies à Athènes.

Elle consiste à entretenir une trière pendantun an.

En raison de son but guerrier, la triérarchie est réservée aux citoyens.

Nous apprenons donc par cette information que pour son homme modèle, Xénophon achoisi un des plus riches citoyens, appartenant aux pentacosiomédimnes ( Πεντακοσιομέδιμνοι), la plus riche classe censitaire à Athènes.

Ischomaque est dansl'œuvre de Xénophon un « modèle » à suivre, puisque Socrate dit, en VI, 16 : « J'ai décidé […] d'aller trouver l'un de ceux que l'on appelle des gens de ''bien''.Comme j'entendais dire que tout le monde, hommes et femmes, étrangers et gens de la ville appelaient ainsi Ischomaque.

».

Le modèle à suivre est l'« homme debien ».

Nous apprenons qu'il en existe plusieurs et que ce statut semble venir pour Xénophon d'une approbation populaire.

Au IVème siècle comme au siècleprécédent, l'homme de bien ou kalos kagathos ( καλὸς κἀγαθός ) est un modèle d'homme idéal, comparable à l'honnête homme du XVIIème siècle.

Il allie ainsi desqualités morales et physiques qui en font un individu remarquable.

Maintenant que nous savons qu'Ischomaque est considéré comme un modèle, nous allons voir ceque Xénophon nous apprend de ses activités.Nous savons déjà qu'Ischomaque passe sa vie active dehors, il nous le rappelle en VII, 3 : « Je ne reste pas du tout à la maison.

Car, ajoute-t-il, pour les affairesdomestiques, ma femme, ma femme à elle seule est très capable ».

En XI, 15, Ischomaque décrit ses journées à Socrate : « Si je n'ai aucune obligation à la ville, levalet conduit mon cheval à la ferme ; quant à moi, le chemin que je fais pour aller aux champs me sert de promenade, ce qui vaut sans doute mieux que de sepromener sous les portiques du gymnase.

Une fois arrivé à la ferme, que je trouve mes gens en train de planter, de façonner la jachère, de semer ou de rentrer lesrécoltes, j'examine en détail comment le travail s'exécute et je corrige la manière de faire des ouvriers si j'en connais une meilleure.

» Nous apprenons par cettecitation que la première activité d'Ischomaque une fois levé est d'aller dans ses champs, du moins s'il n'a « aucune obligation à la ville » concernant ses propresaffaires ou celles de l'État.

Nous apprenons aussi que plus qu'un simple régisseur ou contremaître, il est suffisamment qualifié pour corriger « la manière de faire desouvriers ».

On peut, à partir de cette citation, imaginer l'importance de l'agriculture chez l'homme modèle de Xénophon.

Si Ischomaque n'a pas besoin de cultiver luimême le sol, il est néanmoins expert dans l'art de l'agriculture.

Depuis l'époque archaïque, l'agriculture constitue la seule façon noble de gagner sa vie.

Au VIIIèmesiècle déjà, Hésiode, dans Les Travaux et les Jours, vantait l'exploitant vivant de la terre et indépendant du monde extérieur.

Dans l'Économique, de nombreuxpassages sont consacrés aux champs, par exemple le chapitre XV où Ischomaque apprend l'agriculture à Socrate, le XII, consacré aux chefs de cultures et le XVI oùil lui apprend à juger un terrain.

L'agriculture est constamment présente dans le livre.

La terre est la valeur aristocratique par excellence, mais quand Xénophon écrit,la prédominance de l'agriculture dans l'économie est de plus en plus remise en cause.

On peut penser à des hommes comme Cléon le tanneur, qui font fortune grâce àdes ateliers d'artisans[3].

On peut mettre en parallèle cette insistance sur l'agriculture avec cette citation en IV, 3 : « les métiers que l'on appelle d'artisans sont décriéset il est bien naturel qu'on les tienne en grand mépris ».

Il existe donc une opposition entre l'agriculture saine et l'artisanat jugé débilitant, expliquée par la situationéconomique de la Grèce.

Cette opposition n'est pas propre à Xénophon et se retrouve chez d'autres auteurs antiques comme le Pseudo-Aristote[4].L'agriculture est omniprésente dans tout L'Économique et les citations pourraient être multipliées.

En VII, 25 on la retrouve aussi de manière indirecte : « celui à quireviennent les travaux du dehors devra se défendre contre ceux qui lui porteraient tort ».

Cette citation, nous apprend le lien entre l'agriculture et d'autres activitéscomme la guerre qui, dans cet extrait, semble être liée à l'activité agricole.

C'est ce lien entre les deux activités, qui explique l'omniprésence de la guerre dansl'économie.

Dans la pensée grecque, celui qui possède une terre doit la protéger et seuls ceux qui possèdent ont des intérêts à défendre dans la guerre.

Cette pensée seretrouve dans l'art grec de la guerre : le combat hoplitique est en effet un choc entre deux groupes pour le contrôle d'un territoire.

Il n'est adapté que dans une bataillerangée en plaine, dans le but de tenir un terrain et peut se révéler inefficace contre des techniques moins attachées au sol, comme la guérilla.

De même quel'agriculture, de nombreux extraits mentionnent la guerre, ainsi en IX, 7 : « Nous classons d'une part les armes, de l'autre ce qui sert au travail de la laine, de l'autre cequi sert à préparer pour la cuisine...

».

Dans ce passage où Ischomaque explique à quelle place chaque chose doit être rangée, les armes sont traitées au même titreque tous les autres ustensiles.

On peut y voir la preuve que la guerre est tout autant considérée comme une tâche que la cuisine ou le tissage de la laine.

De même, enVII, 22 : « Comme les travaux [...] du dehors exigent à la fois du labeur et du soin, la divinité il me semble, a adapté dès le principe la nature de [...] l'homme à ceuxdu dehors, froids, chaleurs, marches, expéditions militaires, c'est le corps et l'âme de l'homme qu'elle a constitué de manière à les endurer ; aussi lui a-t-elle imposé lestravaux du dehors.

» On retrouve dans cette citation le lien entre guerre et agriculture qui sont aussi importantes l'une que l'autre pour Xénophon.

En effetIschomaque, homme riche, a beaucoup à défendre dans la guerre.

La guerre est aussi une valeur de l'aristocratie liée à la possession du sol, depuis les premiers tempsde la Grèce, comme nous le montre un livre comme l'Illiade, qui met en scène les hauts faits de rois guerriers.

On peut ainsi voir, dans l'importance accordée à laguerre dans L'Économique, des vestiges de l'expérience militaire de l'auteur, de l'expédition des Dix Mille, de son amitié avec Agésilas, de son admiration pourSparte, ainsi que de son origine aristocratique.

De même, après avoir décrit comment il surveille ses ouvriers, Ischomaque dit à Socrate en XI, 17 : « Je monte àcheval et j'exécute des exercices, aussi semblables que possible à ceux qu'exige la guerre ».

Le cheval est généralement monté à la guerre par les aristocrates et lesriches citoyens qui seuls peuvent en payer l'entretien.

Les cavaliers constituent la deuxième classe censitaire, après les pentacosiomédimnes.

Il n'est donc pas étonnantde voir cet animal associé aux exercices guerriers, puisque la guerre est un élément essentiel de la vie d'Ischomaque et sa préparation, une affaire quotidienne.

Onpeut voir une analogie avec d'autres auteurs comme Aristote,qui souligne le lien entre la guerre et l'économie domestique[5].Bien que fondamental dans la vie de la polis ( πόλις), tout le rôle social de l'homme semble avoir été oublié par Xénophon.

Mon propos, ici, n'est pas de parler d'unsujet absent du livre, mais de souligner la dite absence.

La vision d'Ischomaque qui en résulte a dû surprendre quelques lecteurs, l'homme grec, étant, pour reprendrel'expression d'Aristote, un zôon politikon ( ζῷον πολιτικόν )[6].

Il est donc étonnant de voir le rôle social d'Ischomaque réduit à presque rien, alors que Xénophonfustige par ailleurs en IV, 2, les artisans d'être « de piètres relations pour leurs amis ».

On a même l'impression qu'Ischomaque délaisse un lieu de sociabilité commele gymnase en XI, 15 : « Le chemin que je fais pour aller aux champs me sert de promenade, ce qui vaut sans doute mieux que de se promener sous les portiques d'ungymnase ».

Pourtant, ce n'était sans doute pas le propos de Xénophon de montrer un homme qui limite ainsi ses relations sociales, d'autant plus qu'il a déjà traité desujets mettant en valeur certains types de socialisation, comme le banquet, dans l'œuvre éponyme.

Cette attitude serait incompatible avec l'image d'un « homme debien », un homme qui affirme en XI, 23 qu'il « ne cesse jamais de [s']exercer à la parole », ou pour qui la première activité de la journée est de s'occuper des. »

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