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La satire L:/ngénu, rédigé au printemps 1767, est imprimé en juillet li est publié anonymement en août, d'abord à Genève,...

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« La satire L:/ngénu, rédigé au printemps 1767, est imprimé en juillet li est publié anonymement en août, d'abord à Genève, puis à Paris et bientôt retiré de la vente par la police.

Certains traits de l'actualité expliquent ce regain d'énergie.

1760 marque un renouveau d'acti­ vité chez Voltaire comme chef de la bataille philosophique et comme homme d'action. LA CRITIQUE DE LA RELIGION La critique de la religion occupe une place prépondérante dans l'œuvre de Voltaire.

Il ne professe pas l'athéisme, qui nie l'existence de Dieu, mais le déisme, c'est-à-dire qu'il croit à l'existence d'un Dieu et préconise une religion sans dogme, sans église, essentiel­ lement dominée par la morale.

Il s'attaque aux différentes sectes, à l'intolérance, au fanatisme, au clergé et aux superstitior.is léguées, selon lui, par !'Écriture et l'Église. 1 La critique du jansénisme Le contexte politico-religieux L:lngénu se déroule en 1689 et Voltaire rédige le conte presque un siècle plus tard, en 1767.

Les différents événements religieux de ces deux périodes, étroitement mêlées dans le conte, expli­ quent l'attitude ambiguë de Voltaire vis-à-vis des jansénistes. 1.

On trouvera p.

81-88 une analyse des procédés de l'ironie et du comique dan.q l'ingénu et de leur fonctionnement dans le cadre de la satire. À l'époque de la rédaction du conte, le Parlement de Paris, de tendance gallicane et janséniste (voir p.

121), intervient contre les philosophes en condamnant plusieurs ouvrages dont L:Encyclo- pédie, monument du nouvel esprit composé sous la direction de Diderot.

De violents libelles ou pamphlets 1 sont échangés entre les philosophes et leurs adversaires. De même, Voltaire s'oppose aux parlementaires impliqués dans plusieurs erreurs judiciaires Oe parlement de Toulouse avec les affaires Calas et Sirven, celui de Paris avec la condamnation du chevalier de La Barre).

Or les parlementaires sont assez souvent jansénistes.

En 1760, ils apparaissent donc comme des fanatiques. Pourtant, Voltaire n'a pas oublié que sous le règne de Louis XIV, les jansénistes ont été persécutés par les jésuites.

C'est pourquoi, en dépit de son opposition à la doctrine janséniste, il crée le personnage sympathique de Gordon.

C'est en ce sens qu'il faut comprendre le mot célèbre : « Je charge mon fusil de sel avec les uns [les jansénistes], de grosses balles avec les autres pes jésuites]. » Gordon, représentant du jansénisme Voltaire présente le mouvement de Port-Royal sous les traits de Gordon, un aimable vieillard qui prodigue son amitié et sa culture à !'Ingénu.

Cependant, l'évolution de Gordon QI n'est plus janséniste à la fin du conte) souligne les réticences de Voltaire vis-à-vis de cette doctrine. Le point de vue des jansénistes sur la prédestination et la grâce ne résout pas, selon Voltaire, le préoccupant problème du Bien et du Mal.

Comment expliquer que certains hommes soient privés de la grâce? Gordon s'effraie des conclusions de !'Ingénu, qui pense que Dieu fait tout en nous, comme le souligne cette remarque : " Mais, mon fils, ce serait faire Dieu auteur du péché » (chap.

X). 1.

Voir note 1, p.

26. PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 29 Ces spéculations métaphysiques sont invérifiables et pernicieuses.

Bles sont même impies, car comment admettre que Dieu ait caché des vérités essentielles aux hommes? Ce sont des « romans », des « chimères »; les hommes qui s'y adonnent sont « peu sages ,.

et plongés dans une « nuit profonde ». C'est pourquoi Voltaire fait évoluer Gordon.

Celui-ci oublie le jansénisme 1, ainsi que son absurde rigorisme moral, pour admirer l'amour qui unit les deux amants et le sacrifice de la jeune fille.

« Il [est] changé en homme » (chap.

XIX), il est devenu « sage » (chap.

XX). 1Un pamphlet anti-jésuite Le contexte Les relations de Voltaire avec les jésuites, dont il M longtemps l'élève reconnaissant, ne s'altèrent qu'à partir de 1760.

En liaison avec les Encyclopédistes, il multiplie depuis sa retraite de Ferney les charges contre le Journal de Trévoux (organe jésuite) et son directeur, le jésuite Berthier.

Il participe à la publication d'un ouvrage de d'Alembert, Sur la destruction des jésuites en France.

Cependant, en 1767, quand paraît L:lngénu, les jésuites sont déjà abattus: le pamphlet anti-jésuite du conte concerne moins la période de 1760 que le siècle de Louis XN, pendant lequel des jésuites fanatiques, dont l'influenc~ est grande, dirigent les persécutions contre les protestants et les jansénistes. Parallèlement, le Parlement de Paris s'attaque à ses ennemis héréditaires, les jésuites.

Le point de départ de cette croisade antijésuite est un scandale financier impliquant un membre de la Société.

Le parti anti-jésuite rassemble les parlementaires, le ministre Choiseul, madame de Pompadour (favorite de Louis XV), les nobles libertins et les philosophes (d'Alembert particulièrement). La Compagnie de Jésus est dissoute en 1764, ce qui n'apaise pas pour autant la polémique. 1.

Voir lexique, p.

121. 30 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES Les cibles de Voltaire La puissance des jésuites est liée au rôle politique qu'ils entendent jouer.

Ils encouragent la politique de défense du catholicisme menée par Louis XIV.

C'est pourquoi ils favorisent la révocation de l'édit de Nantes, les répressions contre les protestants et les jansénistes. Pour satisfaire leur appétit de pouvoir, les jésuites recourent à deux méthodes : l'infiltration dans l'ensemble de la société et la délation.

Ils sont ainsi les confesseurs du roi, des princesses et des femmes de chambre dans le but d'exercer leur influence sur l'ensemble de la hiérarchie.

Voltaire explique cette stratégie au chapitre XIII de I.:lngénu.11 souligne l'influence du père de La Chaise sur les décisions royales et résume ces agissements dans le surnom comique du père Tout-à-tous.

Ce personnage est de pure invention : il incarne le type caricatural du jésuite.

Ce nom étrange est emprunté à d'Alembert et symbolise la politique d'infiltration menée par la Compagnie de Jésus : ce jésuite s'occupe de tout et de tous.

L'espionnage et la délation complètent la politique jésuite.

Gordon rappelle qu'un espion du père de La Chaise trahit « son propre frère dans l'espérance d'un petit bénéfice » (chap.

XIX). L'ingénu lui-même est arrêté sur la dénonciation d'un espion jésuite.

Le fanatisme jésuite s'exerce également contre les jansénistes : Gordon a été emprisonné sur une lettre de dénonciation émanant du père de La Chaise. Les jésuites manquent donc à leur mission spirituelle; ils préfèrent le pouvoir temporel et n'hésitent pas à se rendre coupables et complices de violences. Ce pamphlet anti-jésuite contient au chapitre XVI une violente critique de la casuistique.

La casuistique (que les jésuites ne furent ni les premiers, ni les seuls à pratiquer) s'occupe, à l'origine, de résoudre les cas de conscience à l'aide de la morale et de la raison.

Déformée par les confesseurs jésuites, elle devient prétexte à une excessive complaisance morale.

Pascal l'avait déjà stigmati.

sée dans Les Provinciales.

Voltaire la ridiculise dans le chapitre de PROBLtMATIQUES ESSENTIELLES 31 l'entretien entre M110 de Saint-Yves et le père Tout-à-tous sur le marché proposé par Saint-Pouange.

Les différentes étapes du raisonnement du jésuite font éclater son hypocrisie.

Il commence par condamner cet « abominable pêcheur », qui est forcément jansé- niste! Apprenant qu'il s'agit du ministre, il tente de nier la réalité, puis la déforme.

Il fait de subtiles distinctions entre « « mari » et amant», entre l'acte et l'intention, la fin et les moyens, et finit par convaincre M110 de Saint-Yves grâce à des exemples historiques••• L'hypocrisie est à son comble, et justifie le terme de « tartuffe » employé par Gordon (chap.

XII). 1La critique du catholicisme Le choix d'un sauvage comme héros permet de critiquer les dogmes et la pratique du christianisme.

Les naïvetés de l'ingénu ne sont pas uniquement comiques; elles mettent en évidence les interprétations données par l'Église aux textes sacrés et l'absurdité apparente de certaines pratiques.

L'ingénu veut appliquer à la lettre les préceptes de l'Évangile et s'étonne que l'on ne s'y conforme pas.

Il réclame donc le baptême par immersion totale. Il conteste la confession, ou ne l'admet que réciproque, d'où l'altercation comique avec le prêtre qu'il somme par la force de se confesser à son tour (chap.

Ill).

Il ne comprend ni pourquoi il ne peut épouser sa marraine, ni comment un homme, le pape, peut lever cet interdit.

Sa constante perplexité est rendue par cette phrase : « Je m'aperçois tous les jours qu'on fait ici une infinité de choses qui ne sont point dans votre livre, et qu'on n'y fait rien de tout ce qu'il dit » (chap.

V).

La critique des ordres réguliers, fréquente sous la plume des philosophes, apparaît également au détour du conte.

Le couvent, où l'abbé de Saint-Yves enferme sa sœur, a perdu sa mission religieuse et sert de prison. Enfin, Voltaire critique la politique de domination religieuse de Louis XIV, qui se veut le champion du catholicisme.

Le passage du Huron en Angleterre et à Saumur permet de s'apitoyer sur l'exode 32 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES massif des protestants et de rappeler le sinistre souvenir des dragonnades 1. La conversion forcée est un leurre: croit-on changer les convictions comme un décor de théâtre (chap.

VIIQ? C'est une atteinte à la liberté de conscience réclamée par tous les philosophes.

!.!exil des protestants est de surcroit une erreur politique et économique. Les protestants sont essentiellement des commerçants et des artisans, dont le départ et l'accueil en Angleterre (de religion anglicane) auront de graves répercussions sur l'économie française. !.!Ingénu critique également les entreprises missionnaires, soucieuses à la fois d'évangélisation et de prestige politique (chap.

Q. La satire religieuse s'inscrit chez Voltaire dans un combat plus vaste contre toutes les formes d'intolérance et de fanatisme. Durant cette période, le philosophe intervient pour réhabiliter la mémoire de Jean Calas, pour protéger les époux Sirven et faire réviser le procès du chevalier de La Barre.

La polémique antireligieuse lui inspire le Traité sur la tolérance (1763) et le Dictionnaire philosophique (1764). La conclusion de Voltaire est pourtant qu'il faut soutenir les « pastophores » Qes prêtres) tout en les « contenant » (chap.

XI), c'est-à-dire en limitant leur influence. LA CRITIQUE POLITIQUE 1L'administration !.!administration d'Ancien Régime est un labyrinthe, comme le montrent les déboires successifs de l'ingénu et des Kerkabon.

Les dirigeants apparaissent tous comme des irresponsables, qui gouvernent sous l'influence de leurs maitresses (Louvois avec Mm• du Belloy) ou de leurs valets de chambre : « [ •••] ce n'était pas le père de La Chaise qui écrivait, c'était le frère Vadbled, son valet de 1.

Voir lexique, p.

122. PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 33 chambre, homme très important dans ce temps-là[...]» (chap.

XX). Les lois et la justice sont bafouées au profit du trafic d'influence et de l'argent.

Louvois a « deux âmes : M.

de Saint-Pouange en est une, Mm• du Belloy, l'autre » (chap.

XIII). Les dirigeants sont tout-puissants et inconscients.

Ils se moquent des conséquences de leurs actes, ce qui explique l'arbitraire et parfois l'absurdité de leurs décisions : « Avec quelle indifférence inhumaine un homme en place signe la destruction d'une famille, et avec quelle joie plus barbare des mercenaires l'exécutent!" (chap.

XIX). 1La négation du droit et de la justice Dans cette France d'Ancien Régime, le trafic d'influence, les abus de pouvoir, un système d'espionnage et de délation sont fréquents.

L:lngénu se demande avec raison : « Il n'y a donc point de lois dans ce pays?» (chap.

XIV). On arrête et on libère les individus avec la même légèreté coupable, ce que souligne la stupeur de l'ingénu quand M11• de SaintYves vient le délivrer : « L:lngénu, aussi étonné qu'attendri, s'éveillait d'un songe pour retomber dans un autre » (chap.

XVIII). La démarche de l'héroïne est d'ailleurs significative.

Elle ne fait pas appel au droit, à la loi pour tenter de libérer son amant innocent, mais rend visite à un homme influent : « Je ne sais quoi l'avertissait secrètement qu'à la cour on ne refuse rien à une jolie fille " (chap.

XIII}. 1La négation de la liberté La justice d'Ancien Régime méconnaît cette notion de« droits de l'homme » que la Révolution française codifiera, ce qui explique les tares du système judiciaire. Voltaire oppose au système français la Rome républicaine, les lois naturelles en usage chez les sauvages d'Amérique et surtout l'Angleterre, où la liberté du citoyen est protégée par un ensemble de lois voté en 1679 et appelé !'Habeas Corpus Act. 34 PROBL~MATIOUES ESSENTIELLES _) La lettre de cachet 1 est un exemple marquant de l'arbitraire royal.

C'est un ordre d'arrestation qui porte la mention « Ordre du roi », mais qui émane en fait, à Paris, du lieutenant général de police et, en province, des intendants qui représentent le roi.

Les lettres de cachet se multiplient sous le ministère de Saint-Florentin. La décision d'arrestation incombe aux administrateurs de la capi- tale, de la province et à cfivers subalternes.

À l'origine limitée aux affaires concernant la sûreté de l'État, la lettre de cachet devient une pratique policière expéditive, si bien qu'aucun citoyen n'est assuré de ne pas voir sa liberté sacrifiée au profit d'une vengeance personnelle.

On peut ainsi être emprisonné un an (comme !'Ingénu) ou plus (comme Gordon) sans jamais avoir été jugé, sans jamais avoir pu se défendre.

Le système de la lettre de cachet fonctionne comme une justice parallèle.

Saint-Pouange propose à M119 de Saint-Yves, venue se plaindre d'une arrestation arbitraire,.... »

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