La satire Pour de nombreux critiques, Gogol, et en particulier le Gogol des Nouvefles de Pétersbourg, fut non seulement peintre...
Extrait du document
«
La satire
Pour de nombreux critiques, Gogol, et en particulier le
Gogol des Nouvefles de Pétersbourg, fut non seulement
peintre de la société russe de son temps mais accusateur
des maux qui la caractérisent.
Au-delà de cette société
précise, Gogol fustige également des mœurs, des défauts
et des vices plus généraux.
Or, afin de mieux dénoncer
ses cibles, sociales et morales, Gogol recourt souvent à
l'arme du rire.
Par là, il peut être assimilé à un auteur sati
rique.
En effet, selon ses définitions modernes, la satire
peut être : 1.
un texte en vers où l'auteur attaque les
vices, les ridicules de ses contemporains; 2.
tout texte qui
s'attaque à quelque chose, à quelqu'un en s'en moquant.
LA SATIRE SOCIALE
Gogol, dans les Nouvef!es de Pétersbourg, dénonce par
des procédés comiques une société à la fois frivole et
bureaucratique, qui vit selon le culte des apparences ,et le
culte du grade.
Une société frivole :
le culte des apparences
• « La Perspective Nevski»
La nouvelle d'ouverture inaugure la veine satirique du
recueil.
D'entrée de jeu, Gogol s'en prend à la frivolité de ses
contemporains à l'aide de trois procédés comiques impor
tants : l'ironie, la synecdoque et l'énumération hétéroclite.
' Ainsi, Gogol, à propos des promeneurs issus des classes
aisées, qualifie ironiquement d' « assez graves ·occupations
domestiques» celles « par exemple de causer avec leur
docteur du temps qu'il fait» (p.
46).
C'est aussi par l'ironie
que Gogol dénonce le peu d'intérêt des Pétersbourgeois
pour les artistes : « C'était un peintre.
Étrange, n'est-il pas
vrai? Un peintre à Pétersbourg ! » (p.
53).
Un deuxième procédé s'associe à l'ironie : c'est la
synecdoque.
Elle consiste ici à désigner la partie pour le
tout.
Ainsi, Gogol s'apprête à énumérer « les meilleures
productions de l'homme» que l'avenue exhibe.
Or, de quoi
s'agit-il ? Ni de monuments, ni d' œuvres d'art mais d' « un
pardessus», d' « un superbe nez grec», de « mirifiques
favoris» (p.
49).
Mais, avant cela, Gogol, par la seule
synecdoque, sans même recourir à l'ironie, se moquait de
la futilité de ses contemporains.
Il dénonçait ainsi la confusion entretenue'•entre la personne et son apparence : « Ici
vous rencontrerez des moustaches merveilleuses (..
.],
objet de longues veilles de jour et de nuit [ ...
].
Des milliers
de sortes de chapeaux [ ...
] » (p.
47).
L'énumération hétéroclite place sur le même plan des
réalités différentes et parfois dans un ordre insolite.
Gogol "
l'utilise ici pour se moquer des conversations des promeneurs aisés.
Elles consistent, entre autres, à « s'informer
de la santé de leurs chevaux et de leurs enfants » (p.
46) !
• «Le Portrait»
La satire d'une société frivole, vouéé au culte des apparences, se prolonge dans cette nouvelle, pourtant à dominante tragique.
D'abord, Gogol recourt à l'ironie pour dénoncer le choix
par Tchartkov d'une utilisation rapide de son or.
En effet,
Gogol oppose en lui un « cœur ardent» et ce que ce cœur
lui dicte à ce moment-là : « S'habiller à la dernière mode,
faire bombance [ ....
], louer un bel appartement, aller tout
de suite au théâtre, au café, au ...
» (p.
117).
La satire s'amplifie encore dans la petite scène de
comédie qui met en présence Tchartkov et ses premières
clientes, une « noble dame» et sa fille.
Gogol se moque
sans pitié de la dame et du snobisme mondain qu'elle
représente.
··À cette personne qui déplore de ne pouvoir
exprimer sa pensée en russe (p.
121), il attribue un emploi
du français qui est répétitif et superficiel : «C'est charmant»
(p.
120), s'écrie la dame face aux portraits peints par
Tchartkov.
Pis encore, Gogol attribue à la dame une ironie
inv_olontaire : elle fait l'éloge d'un peintre dont le nom,
M.
Nol, signifie M.
Zéro!
Dans « Le Portrait», Gogol complète l'éventail de ses
procédés comiques en décomposant le jeu de certains
personnages en gestes et mimiques ridicules.
Il raille ainsi
les modèles de Tchartkov : « [ ...
] l'une jouait la rêveuse,
l'autre la mélancolique; pour amenuiser sa bouche, une
troisième se pinçait les lèvres jusqu'à donner l'illusion d'un
point gros comme une tête d'épingle» (p.
128).
• «Le Nez»
Gogol y reprend la satire des mondains, dont la futilité
est partagée par les commissaires, les employés, les
médecins, comme en témoignent les scènes de genre
dont cette nouvelle regorge.
Gogol évoque d'une façon encore légère le soin accordé
par Kovaliov à ses favoris, en isolant ce détail.
Mais, bien
évidemment, la perte de son nez, « organe apparent»
(p.
216) devient pour Kovaliov une atteinte intolérable à son
image avant même de l'être pour sa personne.
C'est ce
que rend la répétition par Kovaliov des noms de ses rela
tions : Mme Tchékhtariov et Mme Podotchine.
Kovaliov
devient alors un automate qui prête à rire.
Mais, par son aventure, Kovaliov apparaît également
comme le révélateur du vide qui caractérise diverses
classes de la société.
C'est le commissaire à qui Gogol attri
bue de façon aussi ironique que solennelle des maximes...
sur la sieste (p.
219).
C'est le médecin, dont Gogol énumère
les manies comme à travers un verre grossissant : « il man
geait des pommes crues et tous les matins passait trois
quarts d'heure à se rincer la bouche et à se frotter les dents ..
avec cinq brosses différentes» (p.
224).
Ce sont les gens du
monde « à court d'anecdotes» (p.
229) qui broderont sur
l'aventure de Kovaliov.
• «'Le Manteau» et «Le Journal d'un fou»
Ces nouvelles, centrées sur la vie d'un petit fonctionnaire, font réapparaître, même passagèrement, la satire du
culte des apparences.
Ainsi, dans« Le Manteau», Gogol prête au« personnage
important», à l'issue d'une soirée mondaine, une autosa
tisfaction qui prête à sourire car elle n'est fondée que sur
l'apparence : « il s'épanouit, se montra brillant, bref passa
une excellente soirée» (p.
274).
Mais surtout, la répétition
par le narrateur de l'expression « personnage important»
stigmatise un comportement d'automate, qui, de surcroît,
est disproportionné par rapport à la réalité.
L'expression
elle-même est ironique comme Gogol en avertit le lecteur:
« du reste, par rapport à d'autres plus considérables, la
place qu'il occupait n'était pas tenue pour bien importante»
(p.
265).
Et pourtant, « notre personnage important affec
tait un air noble et des manières hautaines».
Dans« Le Journal d'un fou», Gogol recourt à un procédé
satirique traditionnel et efficace : le point de vue insolite.
Plus précisément, il relie point de vue du fou et point de
vue de l'animal.
Le procédé de la correspondance des chiennes permet à
nouveau à l'auteur de dénoncer une société frivole.
Ainsi, la
chienne Medji, tapie dans son coin, ridiculise en les décom
posant les gestes et les propos de Sophie et de son fiancé
Tieplov.
Le jeune homme apparaît comme une toupie : «il
s'est approché de la glace, a rectifié sa coiffure et a fait le
tour de la pièce» (p.
184).
Et Medji énumère les«sottises»
qu'ils disaient:«qu'une dame, au milieu d'une danse, avait
exécuté telle figure au lieu de telle autre» (p.
184)...
La satire de la « tchinomanie »
Gogol ne se contente pas d'observer les abus de ce
culte du grade.
Il les dénonce en les ridiculisant.
Cette
satire est présente dans toutes les nouvelles, sauf dans
« Le Portrait»
Dans « La Perspective Nevski», par le biais de Pirogov,
Gogol commence par ridiculiser le culte du grade dans l'ar
mée.
Il met ainsi le lieutenant en contradiction avec lui
même à propos de son grade fraîchement obtenu : une
«vanité», mais dont Pirogov était «secrètement flatté»
(p.
78).
Après avoir ironisé sur les«talents», les«qualités»
de Pirogov, dont celle de «faire des ronds de fumée» avec
sa pipe, Gogol le montre à l'œuvre.
Or, qui tente-t-il de
séduire par son grade? Une sotte! Gogol met cette contra
diction en relief: « Il ne concevait pas qu'on pût lui résister;
et d'autant moins que son amabilité et l'éclat de son grade
lui donnaient pleinement droit à l'attention» (p.
84).
La satire
évoluera jusqu'au grotesque (p.
89) lorsqu'il sera fouetté.
Dans « Le Nez», l'expression « assesseur de collège
caucasien» (p.
206), devenue proverbiale par la suite, fait
allusion à la facilité avec laquelle l'administration du Caucase
donnait le grade d'assesseur.
Le contraste entre cette facilité et la prétention par Kovaliov au grade militaire de major
(équivalent à celui d'assesseur.
..
obtenu normalement) fait
sourire.
Kovaliov s'identifie à tel point au grade de major
qu'il se plaint ainsi à son Nez en uniforme : « [ ...
] je suis
major.
Et je ne saurais, convenez-en, me promener sans
nez» (p.
209).
Et, au mépris de toute réalité, sauf de celle
du grade, il ajoute : « Que pareille aventure arrive à une
vendeuse d'oranges pelées du pont de !'Ascension, passe
encore !....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓