La société russe dans les Nouvelles de Pétersbourg De nombreux commentateurs voient dans les Nouvelles de Pétersbourg un tableau de...
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«
La société russe
dans
les Nouvelles
de Pétersbourg
De nombreux commentateurs voient dans les Nouvelles
de Pétersbourg un tableau de la réalité sociale russe à
l'époque de Nicolas 1er_ Les uns, les plus nombreux, y per
çoivent l'œuvre d'un peintre réaliste et objectif de la
société.
Les auteurs de ces lectures sociologiques s'ap
puient sur la minutie et l'abondance des détails concrets
dans les textes de Gogol.
Les autres voient plutôt dans les
Nouvelles de Pétersbourg la peinture par un écrivain
romantique des contradictions entre ses idéaux esthé
tiques et la réalité effrayante de l'époque.
Quoi qu'il en soit, les Nouvelles de Pétersbourg offrent, à
travers le cadre de Pétersbourg, une vision panoramique de
la société russe, Elles s'attardent cependant sur un milieu
plus particulier : celui des petits et moyens fonctionnaires.
UNE VISION
PANORAMIQUE
DE LA SOCIÉTÉ RUSSE
À travers toutes les Nouvelles de Pétersbourg, le lecteur
peut s'imaginer la société russe à l'époque de Gogol.
Cette
société apparaît d'abord comme hiérarchisée, caractérisée
par des contrastes et un cloisonnement qui sont la consé
quence du régime féodal.
En même temps, on y devine une
transition vers le capitalisme à travers le mercantilisme.
Une société très hiérarchisée
• La Russie féodale
Certes, Gogol n'évoque pas directement la Russie rurale
dominée par les propriétaires fonciers, encore possesseurs
de serfs.
li le fera en 1842 dans Les Âmes mortes.
Il situe
les récits des Nouvelles de Pétersbourg dans une société
urbaine.
Néanmoins, le lecteur peut y e11trevoir au moins
trois allusions à la féodalité.
Dans « La Perspective Nevski», Gogol cite les moujiks
{p.
45) parmi les représentants du « peuple russe » juste
après les «indigents».
En mentionnant ces paysans qui
errent sur le pavé de Pétersbourg, l'auteur rappelle certaines conséquences du servage.
Ou bien ces moujiks ont
fui la terre de leur seigneur sur laquelle ils étaient exploités,
ou bien ils complètent leur maigre revenu par un emploi
d'ouvriers.
Mais c'est dans « Le Nez» que Gogol évoque le plus
crûment le servage, même si c'est de façon passagère.
À
propos des annonces à publier·dans les journaux, Gogol
énumère en vrac : « un cocher d'une sobriété parfaite; une
calèche [.
•.
] ; une fille de dix-neuf ans, blanchisseuse de
son métier[ ...
] un solide drojki[ ...
] » {p.
214).
C'est rappeler que le servage autorisait à vendre et à acheter des
êtres humains comme des marchandises.
À Kovaliov,
l'employé demande si « le fugitif est l'un de vos serfs?»
{p.
215) : c'est une allusion à un phénomène bien réel.
Enfin dans « Le Manteau», une allusion à l'affranchissement du tailleur Pétrovitch {p.
245) indique qu'il s'agit d'un
ancien serf qui a pu acheter sa liberté à son seigneur.
• Une société cloisonnée
Très habilement, Gogol fait de la célèbre Perspective
Nevski le lieu où défilent des représentants de toutes les
classes sociales, sans qu'ils puissent tous se côtoyer.
Après les vieilles mendiantes et les indigents, Gogol cite
les « tenanciers de magasins et leurs commis » puis le
« peuple besogneux», en particulier les moujiks {p.
45).
Or
leur présence est, selon le narrateur, incompatible avec celle
des «dames» {représentantes des classes aisées).
Celles-ci
viendront à leur heure.
Entre-temps, Gogol énumère les « précepteurs de toutes
nationalités » et les «gouvernantes» (p, 46) : cela renvoie
au rôle de l'enseignement à domicile dans le système éducatif russe, en voie de développement.
L'expression « tendres' auteurs de leurs jours» {p.
46)
pour désigner les parents d'élèves est vague.
Comme le
montrent cependant certains détails - la possession de
chevaux, une vie riche en loisirs -, l'expression renvoie
aux classes aisées de la population, au moins à la
noblesse moyenne.
Plus longuement, Gogol évoque les fonctionnaires,
en majorité dans cette capitale bureaucratique qu'est
Pétersbourg.
Il les situe déjà sur une échelle qui va des
«supérieurs» (p.
47) aux inférieurs que sont les conseillers
titulaires et les enregistreurs de collège (p.
49 et 51).
Nous
reviendrons sur cette hiérarchie à l'intérieur de la hiérar
chie sociale.
Mais ces fonctionnaires, quant à eux, peu
vent côtoyer les nobles oisifs ; ceux « qui ont pour occupa
tion de se promener» (p.
49).
• Le drame de l'artiste, révélateur de contrastes
sociaux
Les contrastes sociaux sont précisés dans « La Perspec
tive Nevski» et se retrouvent dans « Le Portrait»..
, Dans l'histoire de Piskariov, le premier rêve du jeune
peintre pauvre donne lieu à la peinture d'un milieu qui
apparaît comme celui de la haute noblesse, proche de la
cour impériale.
C'est ce dont témoignent certains détails
comme le décor de l'hôtel particulier, avec ses laquais, son
orchestre, certains personnages que rencontre Piskariov, tels
«des gentilshommes de la chambre en superbes uniformes»
(p.
64).
Outre les «transparentes créations de Paris» (p.
63)
dont les dames sont vêtues, l'emploi de l'anglais et du
français, au lieu du russe, caractérise la noblesse de
l'époque.
Le français; langue diplomatique, était en effet
considéré comme la langue de l'Europe, donc la langue
des gens du monde; le russe, en revanche, était la langue
du peuple.
Ce dernier trait est repris sur le mode satirique dans « Le
Portrait1 ».
Le caractère fermé de l'aristocratie est confirmé
par la manière dont Tchartkov accueille une invitation à
dîner comme une faveur exceptionnelle.
« Jusqu'alors il
avait jugé ces êtres-là inaccessibles, uniquement créés et
mis au monde pour rouler dans de belles voitures, avec
cochers et valets de pied de grand style, et n'accordant aux
pauvres piétons que des regards indifférents» (p.
123).
1.
Voir le chapitre 8.
Alors que Piskariov mourra dans sa mansarde, image
de sa réalité face au rêve, Tchartkov perdra son talent pour
avoir répondu aux goûts superficiels de ses nobles clients.
Le caractère fermé de l'aristocratie (haute noblesse) est
confirmé par l'histoire de Pirogov qui, sans drame, se
contente des gens de son milieu d'officiers, « une espèce
de classe intermédiaire de la société» {p.
76).
Le narrateur
est catégorique à ce sujet : « Le grand monde, ils n'y accèdent que rarement, ou pour mieux dire, jamais : ils en sont
totalement évincés par ceux qu'on appelle, dans ledit
monde, des aristocrates» (p.
77).
Une société mercantile
« Le Portrait» montre abondamment, à travers le personnage de l'usurier, le rôle de l'argent corrupteur1.
Une fois en possession du trésor qui est tombé du , ·
tableau représentant l'usurier, Tchartkov s'installe dans un
superbe appartement et décide de « violenter la gloire»
(p.
118), en commençant une carrière de peintre riche et à
la mode.
Or, que s' empresse-t-il de faire? Il corrompt le
directeur d'un journal pour que celui-ci vante son « extraordinaire talent» (p.
118).
Il continuera ensuite de se vendre.
Et il en arrivera logiquement à substituer à la passion de la
gloire, qui finit par l'ennuyer, celle de l'or (p.
132).
Mais le cas de Tchartkov n'est pas isolé.
La seconde partie
du « Portrait» situe la nouvelle dans· le contexte du
x1xe siècle.
Le narrateur, regrettant l'époque des mécènes,
constate que « notre x1xe siècle a depuis longtemps pris la
fâcheuse figure d'un banquier, qui ne jouit de ses millions
que sous forme de chiffres alignés sur le papier» (p.
139).
LA PEINTURE
DES FONCTIONNAIRES
La peinture des fonctionnaires constitue un des apports
les plus originaux de Gogol et a contribué à son succès.
Elle
s'impose dans trois nouvelles célèbres : « Le Journal d'un
1.
Voir le chapitre 7.
fou», «Le Nez» et «Le Manteau», même si ces récits
nese limitent pas à leur aspect sociologique.
Elle est
annoncée au début de«La Perspective Nevski».
La hiérarchie civile
• La table des rangs
Les fragments de vie de fonctionnaires qu'offrent les
Nouvelles de Pétersbourg sont subordonnés à la place de
ces fonctionnaires dans la table des rangs.
Cette table,
promulguée en 1722 par le tsar Pierre le Grand, énumère,
dans l'ordre décroissant, quatorze rangs à l'intérieur de
quatre hiérarchies: hiérarchie de la Cour (du grand cf1am
bellan, grand maréchal à l'inspecteur....
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