La structure du texte La structure de Si c'est un homme paraît simple : c'est un récit qui suit un...
Extrait du document
«
La structure
du texte
La structure de Si c'est un homme paraît simple : c'est un récit qui
suit un ordre chronologique.
Il commence avec l'arrestation de Primo
Levi le 13 décembre 1943, et s'achève avec la libération du camp par
les Russes le 27 janvier 1945.
L'auteur se contente apparemment de
relater des faits, dans l'ordre où ils ont eu lieu.
Pourtant nous allons
voir que la composition du récit est plus riche et plus complexe
qu'une simple succession d'événements.
UN LIVRE ÉCRIT DANS L'URGENCE
Les textes publiés après la libération des camps étaient générale
ment rédigés très vite, dès que l'ancien détenu avait retrouvé ses
forces physiques.
L'écriture en était donc immédiate, sans recherche
d'effets littéraires.
Primo Levi dira d'ailleurs qu'il écrivait sans cesse,
avec une extrême facilité, aussi bien chez lui qu'en allant à son tra
vail, dans le bus, dans le tram, comme si le texte était déjà rédigé
dans sa tête et qu'il n'avait plus qu'à le transcrire.
Le livre n'aurait donc pas été vraiment« composé», Primo Levi en
avertit le lecteur dans la Préface : « les chapitres en ont été rédigés
non pas selon un déroulement logique, mais par ordre d'urgence »
(p.
8).
Il semble qu'il soit né de la transcription hâtive et désordonnée
des souvenirs de l'auteur, en commençant par les plus récents.
C'est
pourquoi le style n'est pas le même dans le dernier chapitre, qui revêt
fa forme d'un journal, et dans les épisodes précédents qui ont fait
l'objet d'une élaboration plus importante.
Mais ce « journal » lui
même est une reconstitution, car si Primo Levi a commencé à écrire
à l'intérieur même du camp, il n'était pas question, à Auschwitz, de
conserver des notes.
UN LIVRE MALGRÉ TOUT ÉLABORÉ
La composition de Si c'est un homme est en fait beaucoup plus
rigoureuse que ne le prétend Primo Levi.
Lui-même reconnat1
d'ailleurs que, tel que nous pouvons le lire, le texte est le résultat d'un
«
travail de fusion, de liaison
»
réalisé après coup (p.
8).
ILes deux temps de l'écriture
Il semble que l'écriture se soit faite en deux temps.
Au cours de
l'année 1946, Primo Levi écrivit de nombreux poèmes, et avait commencé la rédaction d'un livre dont il dit qu'il était
rempli qu'une
termitière1 ».
«
aussi emmêlé et
Il s'agit sans aucun doute de la première
version de Si c'est un homme.
Il raconte combien cette période fut
difficile pour lui, comme si ses souvenirs représentaient une brûlure
insupportable.
Mais la rencontre d'une jeune fille, qui allait devenir sa
femme, vint subitement transformer le sens de son existence et de
son écriture, en lui redonnant confiance en la vie, en lui-même et surtout peut-être dans les autres.
C'est à partir de ce moment que le
livre prend vraiment forme.
Écrire ne représente plus seulement un
épanchement libérateur, mais devient une authentique démarche
d'écrivain, l'élaboration d'un langage approprié à la vérité du camp.
Le texte est épuré, réduit à l'essentiel, tandis que des épisodes
considérés comme plus accessoires seront repris sous forme de
nouvelles dans d'autres ouvrages (U/ith, Le Fabricant de miroirs).
ILes ajouts
Certains passages de Si c'est un homme ont été ajoutés lors de la
réédition du texte en 1958.
Il s'agit d'abord des deux premières
pages du premier chapitre, dans lesquelles Primo Levi décrit les circonstances de son arrestation jusqu'à son arrivée au camp de
Fossoli (pp 11-12), ainsi que des dernières lignes de ce même chapitre (p.
19).
Puis, dans le deuxième chapitre, ce sont les pages 27
à 32, depuis
«
l'opération a été assez peu douloureuse
»,
jusqu'à
1.
Primo Levi, Le Système périodique, éd.
Albin Michel, 1987, chapitre« Chrome».
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 45
«
sur le seuil de la maison des morts », qui ont été ajoutées.
Les
ajouts suivants concernent tout le chapitre 3, « Initiation», court mais
essentiel et, enfin, la première partie du chapitre 16, « Le dernier».
Le livre n'est donc pas seulement le produit d'une écriture immédiate, mais le résultat de plusieurs élaborations successives.
Le plus
remarquable, dans sa composition, est sa structure temporelle, bien
qu'il soit impossible de dire si elle a fait l'objet d'une recherche délibérée ou si elle s'est imposée d'elle-même à l'auteur.
LES TEMPS DU RÉCIT
Le premier et le dernier chapitre relatent des événements précisément datés, qui se déroulent à un rythme rapide.
Au début, le temps
employé est le plus-que-parfait (« J'avais été fait prisonnier », « je
m'étais décidé à choisir», p.
11) qui accentue la distance temporelle,
comme si les faits s'étaient déroulés à une tout autre époque.
Vient
ensuite le passé simple, qui réapparaîtra à la fin du texte (« Trois
cents miliciens fascistes[...] firent irruption ...
», p.
12; « Les Russes
arrivèrent.
..
», p.186), et qui marque le déroulement d'une histoire.
Mais entre les deux, et notamment dans les chapitres 2 à 9, nous
remarquons que c'est le présent qui est presque systématiquement
employé.
Plusieurs interprétations peuvent en être proposées.
1Le présent : la présence du Lager
Il s'agit d'abord d'un présent de narration, qui rapproche le récit
du discours, l'écriture de la parole, qui rend la réalité du camp plus
présente pour le lecteur, et souligne que, pour celui qui en a fait l'expérience, le Lager reste toujours présent : il hante le reste de sa vie
comme un fantôme qui lui semble parfois plus réel que la réalité.
« [ •••]
et je ne sais plus quel est vrai/du monde-là/de l'autre monde
là-bas/maintenant/je ne sais plus/quand je rêve/et quand/je ne rêve
pas2 », écrit Charlotte Delbo, résistante déportée à Auschwitz puis à
Ravensbrück.
Primo Levi, à la fin de La Trêve, raconte un rêve terrible
2.
Charlotte Delbo, Une connaissance inutile, éditions de Minuit, 1970, p.184.
46
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
dans lequel sa vie actuelle, sa famille, ses amis, son foyer ne sont
plus qu'une illusion des sens car il est à nouveau dans le Lager, et il
s'aperçoit que« rien n'était vrai que le Lager3 ».
IL'absence du passé et de l'avenir
Le présent, c'est aussi celui dans lequel sont enfermés les détenus.
Pour eux, le temps s'est immobilisé.
Il n'y plus ni passé ni avenir.
Au Lager, la question «....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓