La structure narrative Au plan structurel, Le Procès se déroule sous le signe de l'in achèvement. Cette particularité narrative peut...
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La structure narrative
Au plan structurel, Le Procès se déroule sous le signe de l'in
achèvement.
Cette particularité narrative peut être considérée
comme la marque des incertitudes du sens ménagées par Kafka.
Nous allons voir en outre que Welles a enrichi ce procédé par
toutes sortes de modifications, en particulier en ce qui concerne
les lieux et les personnages.
UNE STRUCTURE OUVERTE
Kafka ne désirait pas publier Le Procès, mais il en a malgré tout
fait paraître deux parties : « La légende de la Loi » (pp.
263-265),
publiée en 1915 sous le titre Devant la loi, ainsi qu'Un rêve, rêve de
K.
ne figurant pas dans le roman tel que nous le connaissons actuel
lement.
Resté inachevé, Le Procès est publié un an après la mort de
son auteur, en 1925 à Berlin, par les soins de son ami Max Brod.
1 Un texte inachevé
Comme Le Disparu (ou L'Amérique) écrit en 1912, ou bien Le
Château écrit en 1922, l'une des particularités de ce roman est
d'être inachevé.
L'inachèvement ne concerne pas le dénouement,
puisque l'histoire commence au moment de l'arrestation de K.
et
se termine par son exécution (ces deux étapes narratives, le début
et la fin, sont les premières à avoir été rédigées).
li affecte le dérou
lement de l'action, l'enchaînement des péripéties.
Kafka, en effet,
n'a pas terminé tous les chapitres intermédiaires.
Dans les édi
tions récentes, ils sont le plus souvent regroupés dans une partie
intitulée « Chapitres inachevés
»
(p.
281 et sq.).
Par ailleurs, Kafka
ne les a pas numérotés.
Leur ordre dépend donc de la cohérence
interne de l'ensemble, et de la responsabilité de l'éditeur.
Max
Brod note ainsi :
«
La division et les titres des chapitres sont de
lui.
Quant à leur distribution, c'est moi qui ai dû l'assumer.
»
Il ne
faut donc pas oublier que, dans une certaine mesure, le texte du
Procès est dû à l'interprétation de Brod.
1Rêve et inachèvement
Cet inachèvement n'est toutefois pas étranger à l'univers de
Kafka Il affecte maintes de ses œuvres (notamment Le Château).
Il
a d'abord une origine biographique.
La source d'inspiration privilégiée de Kafka, en effet, est le rêve.
S'il ne rêve pas, il ne peut pas
écrire.
L'après-midi, de retour de son travail, il prend l'habitude de
_faire une sieste.
À son réveil, après avoir rêvé, il se met à écrire, souvent jusque tard dans la nuit.
On peut ainsi parler d'une véritable
«
technique onirique
»
d'écriture.
Mais cette méthode est aléatoire,
les rêves survenant de manière trop irrégulière.
De plus, ce rythme
épuisant aboutit à des crises de surmenage.
Il y a donc des
périodes durant lesquelles la source d'inspiration se tarit.
1Esthétique et philosophie de l'inachèvement
On peut aussi, et surtout, expliquer cet inachèvement par un
goût pour une esthétique du discontinu, une volonté de rompre
avec les normes traditionnelles de l'écriture romanesque, dominées par l'idée classique de nécessité : afin de mener le récit vers
sa fin nécessaire (au sens d'« inéluctable »), les péripéties doivent
s'enchaîner selon une logique au sein de laquelle événements et
personnages sont mutuellement dépendants.
On peut l'expliquer également par la visée universelle que Kafka
confère à ses écrits, par sa volonté de porter un regard sur la
condition humaine et l'existence de l'homme: comment, en effet,
trancher, affirmer quoi que ce soit de définitif, quand on est
pénétré de l'idée que le mouvement de la vie se poursuit indéfini-
s a PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
ment ? Le sens reste donc incertain, ouvert à tous les possibles.
C'est la seule manière, pour Kafka, d'approcher la vérité.
1Une structure ouverte ?
Son inachèvement fait donc du Procès une œuvre ouverte.
Il est
possible, à l'infini, d'imaginer des chapitres entre le début du
roman et son dénouement.
Les faits sont ainsi organisés sur une
idée centrale (en vain, K.
part à la rencontre d'un individu censé
lui apporter de l'aide), autour de laquelle vont se greffer toutes
sortes d'échos thématiques, macrostructurels.
Par exemple, la
rencontre de Titorelli, le peintre, rappelle celle de Me Huld,
l'avocat: elles se déroulent dans des espaces clos et étranges, où
évoluent des experts de la Loi accompagnés de figures féminines
à l'érotisme pervers, marquées par la difformité (la petite bossue,
Leni et sa main palmée).
Ce système d'échos s'organise aussi sur
la récurrence de motifs microstructurels.
Par exemple l'intérêt
porté à la chemise de K.
par les policiers venus l'arrêter (p.
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peut être mis en parallèle avec le soin apporté à cette même chemise par les bourreaux, à la fin du roman (p.
278) ; la boiterie affecte Mlle Montag (p.
59), l'étudiant en droit (p.
95), le bedeau
(p.
255) ..• Ces échos suggèrent que le récit se déroule non pas
selon une logique linéaire, chaque péripétie ou personnage en
entraînant nécessairement de nouveaux, mais par juxtaposition de
chapitres indépendants, selon une logique en miroir permettant
d'imaginer toutes sortes de lieux et de personnages similaires.
On
a donc davantage affaire à une série de variations sur un thème
central qu'à une progression narrative.
1Une structure implacable
Néanmoins, et ce n'est pas le moindre des paradoxes du Procès, cette structure ouverte obéit à une logique implacable : l'arrestation, première étape du processus judiciaire, conduit à une
seconde étape nécessaire : l'interrogatoire, puis aboutit tout aussi
inéluctablement à l'exécution.
Seule l'étape du jugement fait
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défaut, pour bien signifier que nous avons affaire à une justice gratuite et absurde.
On peut donc dire que, dans Le Procès, deux logiques narratives
s'interpénètrent et coexistent de manière contradictoire : une logique
romanesque marquée par l'inachèvement et l'ouverture, et une logique
judiciaire marquée au contraire par une progression et une nécessité
finale.
Cette coexistence paradoxale contribue à l'étrangeté du récit.
LES MODIFICATIONS DE WELLES
LOrsan Welles a modifié ou supprimé un certain nombre de per-
sonnages et de lieux du....
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