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L'absurde La, nouvelle « Le Nez» est apparue comme « la plus énigmatique des œuvres de Gogol1 », et même...

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« L'absurde La, nouvelle « Le Nez» est apparue comme « la plus énigmatique des œuvres de Gogol1 », et même parfois, et ce dès les années 1920, comme exemplaire du « procédé de l'absurde2 » qui traverserait toutes les œuvres de !'écri­ vain.

L'absurde lui-même serait produit par le procédé de l'alogisme, c'est-à-dire par la destruction comique des liens logiques d'implication, à tous les niveaux, de l'in­ trigue à la phrase, en passant par le dialogue.

Si « Le Nez» constitue l'illustration la plus typique de l'absurde chez Gogol, d'autres Nouvelles de Pétersbourg n'en sont pas exemptes, à des niveaux et à des degrés différents. QUELQUES MOTS SUR L'ABSURDE L'application de la notion d'absurde en critique littéraire est devenue célèbre en France depuis la publication du Mythe de Sisyphe de Camus (1942).

Celui-ci y analyse ainsi la tension qui surgit de la détermination de l'homme à trouver un sens au monde et de la résistance qu'oppose le monde à cette aspiration.

« L'absurde, c'est la raison lucide qui constate ses limites.

C'est au bout du chemin difficile que l'homme absurde reconnaît ses vraies raisons3 », écrit Camus. 1.

Selon, entre autres, Gustave Aucouturier, éditeur scientifique des Œuvres complètes de Gogol dans la «Bibliothèque de la Pléiade» (Gallimard, Paris, 1966, p.

526). 2.

Par exemple le critique russe Alexandre Slonimski. 3.

Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, Paris, 1965, coll.

«Bibliothèque de la Pléiade», Essais, p.

134. Cette conception philosophique de la condition humaine, donc cette acception philosophique de la notion d'absurde, a été surtout décelée dans des œuvres du xxe siècle, celles de Ionesco et de Beckett, par exemple.

Cela n'empêche pas de se demander si elle convient à des œuvres plus anciennes. À l'évidence, la notion relève d'abord de la logique, science ancienne du raisonnement.

«Absurde» signifie en premier lieu : contraire aux lois de la logique.

L'épithète qualifie alors un raisonnement faux dans la forme même de son expression.

Un raisonnement peut se révéler absurde dans deux cas : 1.

Il n'est pas conforme aux règles de la syntaxe des symboles logiques.

Il est dénué de sens par le désordre des éléments qui le composent. 2.

Il est correctement formé.

Mais, même s'il peut contenir un sens, celui-ci n'a aucun rapport avec la réalité. On peut aussi interpréter le mot «absurde» selon l'emploi courant, et dérivé de la logique, de « contraire à la raison, au sens commun». Dans un récit, l'absurde peut se manifester d'abord dans le narré lui-même (ou histoire racontée ou trame événementielle).

Il peut se manifester aussi ou uniquement dans la narration, c'est-à-dire dans l'expression. L'ABSURDE COMME CARACTÉRISTIQUE DU NARRÉ: LE CAS DU« NEZ» Pouchkine, en octobre 1836, présente ainsi « Le Nez», qu'il publie dans sa revue Le Contemporain : N.

V.

Gogol s'est longtemps refusé à laisser imprimer cette pochade, mais nous y avons trouvé tant d'inattendu, de fantastique, de gai, d'original, que nous l'avons persuadé nous laisser partager avec le public le plaisir que nous a procuré ce manuscrit. Même si le mot « pochade » désigne une œuvre écrite rapidement, comme une sorte de canular - ce qui serait sous-estimer cette nouvelle-, l'énumération des adjectifs et le mot « original » est un hommage à sa nouveauté. Un enchainement de faits qui défie la logique « Le Nez» ne se ramène pas aux innombrables récits de dédoublement de l'époque.

En effet, rien dans l'histoire racontée n'est explicable, ni par des causes naturelles, ni par l'action de forces surnaturelles.

Sauf si l'on admet que le diable est pour Gogol à l'origine de tout ce qui se passe ou pourrait se passer dans le monde. Le narrateur présente déjà un enchaînement d'événe,ments auxquels aucun esprit sensé ne peut trouver de ràison ni de lien logique : 1.

Un barbier trouve le nez d'un de ses clients dans un pain, Or il est certain de ne pas avoir coupé le nez de ce client. 2.

Le barbier jette le nez dans la Neva. 3.

Le client, le major Kovaliov, se retrouve privé de nez, le · même matin, « sans rime ni raison», pensera-t-il lui-même (p.

220). 4.

Le major rencontre son nez, agrandi et vêtu de l'uniforme d'un conseiller d'État.

Or, rien ne relie cette rencontre à l'acte du barbier. 5.

Un gendarme rapporte son nez (l'organe) à Kovaliov après que le Nez (le personnage) a été arrêté.

Où est le lien logique entre deux phénomènes qui appartiennent à deux plans différents? 6.

Après de vains efforts pour recoller puis faire recoller son nez, Kovaliov le retrouve à sa place. L'explication qu'il suppose de son aventure - un complot de Mme Podotchine dont il tarde à épouser la fille - est aussitôt démentie.

Elle ne repose sur aucune logique, car le lecteur imagine mal une mère priver de nez le fiancé de sa fille ! Elle ne repose sur aucune possibilité matérielle ! La lettre de Kovaliov à Mme Podotchine ne peut servir que de rappel au lecteur de l'absurdité même de l'aventure, en raccourci : « La disparition subite de mon nez, sa fuite, son déguisement sous les traits d'un fonctionnaire, sa réapparition sous sa propre forme [ ...

] » (p.

226). Comble 'du paradoxe, le narrateur-auteur de la nouvelle n'est pas le moins étonné de cette «aventure», avec ses détails «inconcevables».

À la fin de la nouvelle, en un nouveau raccourci de l'histoire narrée, il s'interroge lui-même sur la logique qui aurait pu régir les événements, en euxmêmes et dans leur enchaînement : Sans parler de la disparition, vraiment surnaturelle, du nez et de sa réaP,parition en divers endroits sous forme de conseiller d'Etat, comment Kovaliov a-t-il pu songer à réclamer son nez par la voie des journaux? [ ...

] Et puis comment le nez s'est-il trouvé tout d'un coup dans un pain frais? Comment Ivan Yakovlévitch ...

Non, cela ne tient pas debout, je ne le comprends absolument pas. (« Le Nez», p.

232.) La répétition de l'adverbe « comment» et la proposition « cela ne tient pas debout» rendent bien compte de l'absurde qui gouverne l'histoire narrée. La banalisation de l'invraisemblable Parmi les faits, le narrateur rappelle la réclamation au bureau d'annonces (p.

213).

À travers ce rappel, apparaît une autre manifestation de l'absurde dans l'histoire : la mise sur le même plan de l'invraisemblable et du réel, la banalisation de l'invraisemblable, de I' «inconcevable» (p.

233). • Les réactions de certains personnages secondaires Nous avons pu relever quelques réactions d'effroi devant l'extra-naturel : celles du barbier, du major luimême.

Les réactions des autres personnages sont d'autant plus étonnantes et comiques pour le lecteur! Ainsi, déjà, la femme du barbier n'est nullement troublée par la découverte de celui-ci, ni par le cheminement qu'aurait pu prendre le nez de Kovaliov pour se retrouver dans un petit pain : c'est seulement la peur d'ennuis de la part de la police qui la pousse à invectiver son mari : « Où as-tu bien pu couper ce nez, bougre d'animal?» (p.

202.) Au bureau d'annonces, l'employé finit par croire Kovaliov lorsque celui-ci lui montre son visage privé de nez.

Mais il n'y déc!3le qu' « un jeu bizarre de la nature» qu'il préférerait voir raconter par « un habile écrivain» (p.

217), et dans un seul journal, L'Abeille du Nord.

C'est moins le phénomène luimême que l'employé redoute que la publication d'une «sornette» (p.

216).

Il oublie assez vite la situation de Kovaliov pour oser offrir à son interlocuteur.

..

une prise de tabac! Et le commissaire du quartier? La visite de Kovaliov ne fait que le déranger dans sa sieste et dans son conformisme : « d'ailleurs un homme comme il faut ne se laisse pas arracher le nez» (p.

219).

Et !'«exempt» (le gendarme) rapporte son nez à Kovaliov comme s'il s'agissait d'un banal portefeuille : après lui avoir annoncé fièrement que le voleur a été arrêté, il rassure le possesseur de ...

l'objet : « Votre nez est d'ailleurs en parfait état» (p.

223).

Peu importe donc que cet organe ne soit pas à.... »

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