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L'AMÉRICAIN ET L'AUTOMOBILE 5 10 15 20 25 30 35 rn Plus que tout, l'automobile est devenue Je symbole de...

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« L'AMÉRICAIN ET L'AUTOMOBILE 5 10 15 20 25 30 35 rn Plus que tout, l'automobile est devenue Je symbole de la société d'abondance.

Contrairement aux désirs de Ford, qui· voulait faire baisser les prix, la voiture bon marché n'a cessé de se rapprocher des étincelants modèles de luxe.

A la General Motors, la Cadillac donne le ton.

La marque la moins coûteuse, la Chevrolet, vaut beau­ coup plus cher que le célèbre modèle T de Ford, qui, bien que remon­ tant en 1908, offre avec la Cadillac un air de famille qui ne trompe pas.

C'est Je vieux Henry Ford, ce puritain utilitariste, qui créa malgré lui les conditions mêmes de la société d'abondance.

Bouleversant la vie américaine par un flot intarissable de voitures modestes, il rendit l'engin plus facile à fabriquer qu'à vendre.

La perfection mécanique devait être bientôt acquise.

C'est Je début d'une évolution qui conduit à la prédominance incontestable du "styliste" : dès 1927, la General Motors fait du slogan "La voiture se vend sur l'allure" le principe de sa politique.

Alors commence "l'apothéose de l'automobile conçue comme un rêve échevelé de métal sculpté"... Les ailerons qui servent de garde-boue arrière datent de 1948.

La General Motors les destinait à son modèle de luxe, la Cadillac. Par un curieux mécanisme d'assimilation, qui suppose vraisemblablement un espionnage généralisé, la plupart des marques ont adopté la même coupe pendant des années : c'est l'abandon ostensible de la rigueur fonctionnelle dans la construction.

Les ailerons hérissés, privés de toute signification pratique, révèlent dans quel esprit Detroit utilise son énorme puissance (c'est une industrie qui emploie directement ou indirectement dix millions d'Américains).

Detroit a découvert, longtemps avant Mumford, que l'automobile a pour /'Américain une signification étrangère à la chose elle-même ... Detroit est convaincue de satisfaire les désirs "secrets" du public, ce qui doit être pris au sens psychanalytique du mot.

L'activité des "stylistes" coûte des millions : ils doivent incorporer à la carrosserie /es prétendus mouvements intimes de la clientèle, depuis /es sym­ boles sexuels déguisés dans la forme du radiateur, jusqu'aux associa­ tions d'idées de la ménagère, respectées dans le revêtement inté­ rieur..• L'industrie part du principe qu'à l'achat comme dans la vie Je client possède une double personnalité : il voudrait beaucoup de chrome et davantage encore de chevaux, mais il aimerait aussi être sûr d'acheter une voiture pratique.

La publicité de Cadillac insiste sur la consommation économique de la marque, en sachant bien que personne n'achète de Cadillac pour cette raison.

Le vendeur et /'acheteur s'entendent comme larrons en foire pour apaiser les remords. Herbert von BORCH, U.S.A.

société inachevée, Paris, 1962 (Seuil) p.

214-216. Commentaire Ce texte nous invite à réfléchir sur la place tenue par l'automobile dans la société américail)e en nous dégageant des idées reçues en faveur chez les Européens.

Pour ces derniers, l'automobile est aux États�Unis l'objet d'un culte fondé sur le matérialisme et l'étroitesse de l'imagination.

Bien que les Français aient depuis longtemps rejoint les peuples d'Outre-Atlantique dans l'amour de la voiture, ils s'égayent encore en lisant une des meilleures nouvelles de Marcel Aymé, le Mendiant {dans En Arrière, Paris, 1950), qui commence ainsi : "Il y avait à Detroit, dans l'État de Michigan, un homme très pauvre et très pieux ...

qui avait une voiture vieille de près de huit ans", et qui en était réduit à la mendicité, mais finit par faire fortune en devenant le prophète du Grand Moteur! L'ironie du· conteur trouve un écho dans l'humour (plus indulgent) de noire iexte.

L'auteur est un journaliste allemand, qui fut longtemps correspondant à Washington du journal die Welt, et qui possède aussi une formation de sociologue.

Le titre de son livre : U.S.A., Société inachevée, s'inspire de ces "affaires inachevées" (unfinished business) dont parlait volontiers le Président Kennedy, en annonçant pour l'Amérique des "années 60" un effort nécessaire d'amélioration qualitative, après tant de victoires de la quantité. Le premier alinéa {lignes 1 à 12) situe le problème sur le plan écono­ mique.

Dès le début du 20" siècle, grâce à la production en grande série, grâce à la standardisation du travail, grâce à l'action personnelle de pionniers comme Henry Ford, créateur d'un modèle particulière­ ment robuste et austère bien connu de tous les amateurs de vieux films, l'industrie automobile des États-Unis est parvenue à comprimer très fortement ses prix de revient.

L'objectif recherché par Henry Ford était.d'abaisser parallèlement le prix de vente, afin de conquérir un immense marché de consommateurs modestes, parmi lesquels il espérait bien voir ses propres ouvriers.

Ainsi se sont créées les conditions économiques de la société d'abondance, à une époque où, en Europe, la possession d'une automobile était encore réservée à une infime partie de la société la plus fortunée.

En ce sens, le vieux Henry Ford est bien, comme le nomme Herbert von Borch, un "puri­ tain utilitariste", puisque, menant lui-même une vie austère et labo­ rieuse, il se proposait à la fois d'édifier une immense fortune et de mettre à la disposition du plus grand nombre un commode moyen de transport.

Remarquons au passage que, dès les origines, la voiture américaine présente un poids et un gabarit très supérieurs à ceux des véhicules européens en raison de la qualité exécrable des routes à cette époque et du bas prix du carburant. Cependant, tout ne s'est pas passé selon les calculs de Ford.

Le succès de son modèle T de 1908 n'a pas empêché une forte demande de se porter sur des véhicules d'apparence plus séduisante (les Ford T étaient uniformément noires) et plus coûteux malgré une technique à peu près identique.

Ainsi l'objet le moins cher pour un même service n'était pas toujours.le plus facile à vendre, et les lois classiques du marché devaient subir une révision, C'est ce que comprit la General Motors Corporation, rivale de Ford, qui mit à profit l'absorption de plusieurs entreprises pour diversifier sa production selon une échelle très précise du prix et du prestige avec, dans l'ordre croissant, Chevrolet, Pontiac, Buick, Oldsmobile, et, tout au sommet, ce fabuleux objet qu'est la Cadillac.

Cette politique a contribué à amener la G.M.C.

à produire plus de la moitié des sept millions de voitures de tourisme sorties en 1962 des usines américaines. Ford à son tour se donna un modèle de prestige, la Lincoln, et se maintint fermement au second rang parmi les "Trois Grands" avec un quart environ de la production, le reste revenant à Chrysler.

Chez tous, le prix des voitures plane bien au-dessus de ce que permettrait la concentration et la technique; ce fait, conforme aux intérêts des constructeurs, correspond en outre aux désirs des consommateurs c'est ce que l'on peut appeler, plus encore que la société d'abondance, la société de co.nsommation. De tels suppléments, graduellement imposés au prix de base de véhicules équivalents par les performances, ont.... »

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