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L'aquarium de Balbec - Marcel Proust Et le soir ils ne dînaient pas à l'hôtel où, les sources électriques faisant...

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« L'aquarium de Balbec - Marcel Proust Et le soir ils ne dînaient pas à l'hôtel où, les sources électriques faisant sourdre à flots la lumière dans la grande salle à manger, celle-ci devenait comme un immense et merveilleux aquarium devant la paroi de verre duquel la population ouvrière de Balbec, les pêcheurs et aussi les familles de petits bourgeois, invisibles dans l'ombre, s'écrasaient au vitrage pour apercevoir, lentement balancée dans les remous d'or, la vie luxueuse de ces gens, aussi extraordinaire pour les pauvres que celle de poissons et de mollusques étranges (une grande question sociale, de savoir si la paroi de verre protégera toujours le festin des bêtes merveilleuses et si les gens obscurs qui regardent avidement dans la nuit ne viendront pas les cueillir dans leur aquarium et les manger).

En attendant, peutêtre parmi la foule arrêtée et confondue dans la nuit y avait-il quelque écrivain, quelque amateur d'ichtyologie humaine, qui, regardant les mâchoires de vieux monstres féminins se refermer sur un morceau de nourriture engloutie, se complaisait à classer ceux-ci par race, par caractères innés et aussi par ces caractères acquis qui font qu'une vieille dame serbe dont l'appendice buccal est d'un grand poisson de mer, parce que depuis son enfance elle vit dans les eaux douces du faubourg Saint-Germain, mange la salade comme une La Rochefoucauld. Marcel Proust, A l'ombre des Jeunes Filles en fleurs (Académie d'Aix-en-Provence) Remarques préliminaires Qu'est-ce qui semble structurer le texte? — Une opposition : entre ceux qui sont dans l'aquarium et ceux qui sont en dehors ; parmi ces derniers, deux groupes : « ceux qui ne dînaient pas à l'hôtel»; ceux qui «s'écrasaient au vitrage». — Une comparaison (ou une métaphore) : celle qui couvre tout le texte et qui transpose aussi bien les lieux que les êtres ainsi que l'ensemble des comportements.

C'est bien sûr l'image de l'aquarium et des poissons rares.

Cette métaphore n'a pas qu'une fonction révélatrice; elle a une fonction critique.

Mais il est difficile de séparer les deux : c'est parce que le texte transpose une réalité en une autre qu'il fait mieux voir cette réalité et qu'il conduit à la critique. — Un regard intérieur qui organise l'ensemble du texte : celui de l'écrivain perdu dans la foule obscure (cf.

Mort à Venise de Th.

Mann, adapté par Visconti). Par où commencer? En l'absence de toute connaissance externe, le commentaire est très difficile à introduire. On peut partir de ce qui semble à la lecture le thème général (l'opposition des pauvres et des riches), à condition de ne pas oublier que l'essentiel n'est pas dans le sujet (Proust ne se fait pas le porte-parole des humbles) mais dans la métaphore.

On peut aussi — quitte à montrer comment le commentaire contribue ensuite à la préciser et à la corriger, ou au contraire à la renforcer — partir d'une première impression de lecture.

De toute façon il n'est pas nécessaire de « trouver » tout de suite l'introduction.

La nécessité où je suis de proposer un commentaire rédigé m'oblige évidemment à présenter le développement dans l'ordre définitif, qui n'est jamais l'ordre du travail. Introduction Vus à travers la vitre d'une salle à manger, les dîneurs d'un grand hôtel deviennent, au fil des mots, des mollusques, des poissons.

On est en pleine hallucination, en pleine poésie. Et pourtant ces gens qui dînent, ceux qui les regardent, sont réels, exercent des métiers, vivent...

Comment le fantastique a-t-il dans cet extrait une fonction réaliste et critique? 1) L'écrivain dans le texte Des deux côtés de la vitre, deux groupes sociaux : à l'extérieur, et dans la nuit, la population ouvrière du petit port, les pêcheurs, la petite-bourgeoisie (les gens qui sont venus « en location » et qui ne peuvent s'offrir un séjour à l'hôtel).

Des gens obscurs. Des pauvres.

A l'intérieur, dans la lumière, des gens du monde, du grand monde : une dame serbe, des riches.

Pendant que les uns mangent, les autres regardent.

Ce pourrait être le sujet d'un texte politique, puisque cette opposition entre les deux groupes s'appelle « aussi »...

lutte des classes, ainsi que le souligne ironiquement la parenthèse : « Une grande question sociale, de savoir si la paroi de verre protégera toujours le festin des bêtes merveilleuses, et si les gens obscurs qui regardent avidement dans la nuit ne viendront pas les cueillir dans leur aquarium et les manger.

» Mais le texte ne vire pas au pamphlet, ne présente aucune revendication.

Il rend compte. Ou plutôt quelqu'un est là pour rendre compte : quelque part, dans la nuit, il y a un écrivain.

C'est lui qui regarde et c'est lui, dont la présence pourtant est un moment donnée comme hypothétique (« peut-être y avait-il quelque écrivain...

»), qui rend possible le texte.

De toute manière l'hypothèse de sa présence n'est qu'une fiction : l'écrivain était là, ichtyologue en plus, c'est-à-dire spécialiste des poissons, bien avant d'avoir été nommé, puisque dès la quatrième ligne la salle à manger de l'hôtel de Balbec était devenue un aquarium, puisque le monde solide était devenu liquide (les « remous d'or » de la lumière), puisque les riches dîneurs s'étaient mués en « bêtes merveilleuses ».

Le propre de l'écrivain en effet c'est de produire des métaphores : sa présence est visible à la soudaine métamorphose des choses.

Dans le texte, son apparition au moins suggérée sert à dévoiler le mécanisme de l'écriture proustienne, qui est justement de procéder par métaphores.

Avec lui se réalise la transformation définitive du paysage mondain (la salle à manger d'un hôtel) en paysage marin, car sa manière de voir le monde, au lieu d'être directe — comme le serait par exemple celle d'un des pêcheurs de Balbec — est indirecte : mais pourquoi ce détour et quel est le sens de cette métamorphose? 2) La métaphore 2.

Pour l'analyse de ce problème de la métaphore voir G.

Genette, « Proust palimpseste », Figures 1, collection « Points », Éditions du Seuil. 3.

Nous usons ici d'une métaphore empruntée au langage de la cuisine, cher à Proust : napper, c'est.... »

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