L'avenir de l'éducation I. L'enseignement prépare à la vie active, et la vie active dépend fondamen talement des conditions économiques....
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L'avenir de l'éducation
I.
L'enseignement prépare à la vie active, et la vie active dépend fondamen
talement des conditions économiques.
L'élévation du niveau de vie, cause
directe de l'élévation des âges scolaires, a elle-même pour cause le progrès
de la productivité, donc le progrès technique et scientifique.
De sorte que
tout mouvement postule un accroissement des connaissances scientifiques
et techniques des citoyens.
Un pays sous-développé, c'est un pays sous
enseigné.
Traditionnellement, l'enseignement ne pouvait être donné qu'à une
élite limitée en nombre; il ne formait que les cadres dirigeants du pays.
Dans une nation traditionnelle, les techniques de production sont élémen
taires et les sciences expérimentales ignorées ou naissantes, l'enseignement
porte essentiellement sur les lettres, les arts libéraux, la morale et la religion.
Il· s'agit d'apprendre à l'élite à vivre en élite et avec l'élite.
Aujourd'hui, nous avons à enseigner non pas seulement l'élite mais.la
masse.
Et dans cette économie technique, tout le monde, même l'élite, a
un métier qui exige des connaissances scientifiques et techniques.
Les tendances de l'évolution économique et technique, qui me paraissent ici essentielles, sont les suivantes :
Les métiers humains se déplacent sans cesse de l'agriculture (primaire)
vers l'administration et les services (tertiaire) à travers l'industrie (secondaire).
[ ...
]
- A l'intérieur de chaque activité, de chaque métier, de chaque profession,
l'instabilité est extrême.
[...]
- Le progrès technique tend à rejeter sur la machine les tâches maté
rielles, mécaniques et répétitives; la machine, en chassant l'homme de
ces tâches serviles, l'oblige aux tâches plus intellectuelles du contrôle,
du dépannage, de la précision, de la conception.
La machine obligera
l'homme à ne plus faire que ce que la machine ne pourra faire : la
machine oblige l'homme à se spécialiser daris l'humain.
- A l'intérieur de chaque science et de chaque technique, les connaissances
nécessaires à l'action quotidienne progressent si vite que ce n'est plus le
stock de connaissances acquises qui compte pour le technicien, mais
l'aptitude à acquérir des connaissances nouvelles.
La naissance des sciences humaines est le phénomène central de notre
époque; les sciences humaines seront demain aussi nécessaires à la
direction des industries, des entreprises et de l'économie en général que
la chimie organique l'est aujourd'hui à une usine de textiles artificiels.
Les conséquences essentielles qui paraissent résulter des évolutions qui
viennent d'être rappelées sont les suivantes :
L'homme doit trouver dans l'enseignement non seulement la base de
ses besoins de relations avec les autres hommes et avec la société, mais
la base de ses connaissances scientifiques et expérimentales.
Tout enseignement doit être normalement couronné par une spécialité
( étant donné que la littérature et la philosophie elles-mêmes sont
envisagées ici comme étant une spécialité) propre à qualifier pour une
activité ou un métier déterminé; car il n'y a plus d'activité profession
nelle efficace sans initiation particulière à cette activité.
Il doit y avoir un certain parallélisme, et parfois une étroite corres
pondance, entre les effectifs formés à l'école dans une spécialité donnée,
et les besoins de !�économie en travailleurs de cette spécialité.
Cette spécialisation nécessaire doit laisser à l'individu toute l'aptitude
à la souplesse et à l'évolution créatrice qu'il a pu acquérir antérieure
ment; elle ne doit pas lui interdire d'acquérir ultérieurement une ou
plusieurs autres spécialités; les formations professionnelles complé
mentaires à 35, 40 ou 45 ans, deviendront de plus en plus usuelles.
La spécialisation doit être tardive et ne jamais détruire les bases géné
rales et les aptitudes à la polyvalence antérieurement acquises.
Les méthodes importent plus que les résultats; l'aptitude à comprendre
des réalités nouvelles et à assimiler des connaissances nouvelles importe
plus que la mémoire des connaissances anciennes.
II.
L'enseignement général comprend d'abord celui des moyens de.
relation
entre les hommes : que l'élève apprenne à percevoir l'expression de la
pensée des autres hommes et à communiquer aux autres hommes sa pensée
propre.
Il apprend en général sa langue maternelle et une, mais une seule,
autre langue; les mathématiques sont enseignées comme étant les langages
propres à certaines connaissances scientifiques.
Il comprend ensuite l'assimilation des grands réflexes de la méthode
scientifique expérimeµtale : défiance envers la raison raisonnante, difficultés
de· l'expérience, classement des aits expérimentaux en théories hiérarchi
sant et résumant les résultats.
Les éléments de toutes les sciences sont
enseignés en tant qu'illustration de la méthode expérimentale; on s'attache
à montrer ce qu'était la connaissance de l'humanité avant la découverte
et pourquoi elle était admise, quoique erronée, par des hommes de valeur;
on montre comment l'erreur a été rendue apparente, comment d'autres
hypothèses sont alors nées, et comment l'une d'elles a été vérifiée par
l'expérience.
Les sciences humaines et sociales font partie de cet enseignement au
même titre que les sciences physiques; on montre leurs difficultés propres;
on insiste sur leur jeunesse et sur leurs lacunes; l'élève acquiert ainsi des
connaissances générales de science économique, de psychologie, de caracté.
rologie.
[...] On donne auxjcunes ce que j'ai appelé les leçons d'ignorance,
c'est-à-dire que l'on enseigne combien l'humanité ignore encore de choses
importantes pour son équilibre· et son bonheur.
Cependant, la réalité du
progrès humain est mise en évidence par l'histoire; on montre la situation
de l'humanité avant la formation de l'esprit scientifique expérimental;
on montre pourquoi cette formation a demandé tant de millénaires et
quelle perturbation a entraîné dans une humanité encore pratiquement
soumise à la mentalité millénaire l'irruption de nouvelles méthodes d'acqui
sition des connaissances.
[ ...
]
III.
Il est clair que l'homme n'est pas seulement un travailleur; on peut même
dire qu'il ne travaille que par nécessité, alors qu'il vit par nature par le fait
même qu'il existe.
Il est donc clair qu'une éducation qui se bornerait à ne
former dans l'homme que le travailleur échouerait totalement, et.
même
du strict point de vue du travail.
Car il est impossible que l'homme four
nisse un travail durablement dynamique s'il n'a pas un minimum d'équi
libre affectif, sentimental, caractériel, artistique, moral.
[...]
Or l'évolution économique et sociale contemporaine implique, le
transfert à l'école d'une très large part des tâches éducatives qui étaient
traditionnellement assumées par la famille, le village, la collectivité des
voisins.
L'asservissement du niveau de vie et les modifications du genre de vie
ont donné et donnent à la famille un caractère beaucoup moins uni et fernié
qu'autrefois, l'enfant subit beaucoup plus l'influence du milieu extérieur,
présenté d'une manière fort dispersée par la presse, la radio, les voyages,
les contacts avec une foule de gens et de choses; la prolongation même de la
scolarité fait que l'adolescent tirera beaucoup plus sa formation de l'école
que de la famille.
De même, il est maintenant certain scientifiquement que le groupe de
voisinage exerçait depuis des millénaires sur l'individu une action affective
et morale qui lui donnait un rôle à jouer dans un drame, et par suite un
cadre de vie, une conception de la vie et du monde, une raison de vivre.
Tous ceux qui ont observé la place que la superstition, la mystique politique,
et même une religion intellectuellement évoluée occupent dans l'esprit
·des hommes qui y sont attachés, peuvent mesurer le vide qui résulte de leur
disparition ou de leur atténuation, ou même de leur simple transformation
sous l'influence de la culture scientifique expérimentale et du mouvement
d'objectivisation de l'univers intellectuel.
C'est donc à l'école de combler ces lacunes, et de donner à l'homme les
bases de son équilibre vital, bases que l'adolescent trouvait autrefois dans
son cadre familial et dans son cadre de voisinage.
L'enfant n'est pas seule
ment à l'école pour travailler et pour apprendre à travailler, il est là pour
vivre et pour apprendre....
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