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Le châtiment Acte V, scènes 5 et 6 CONTEXTE Avec les scènes 5 et 6 de l'acte V de Dom...

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« Le châtiment Acte V, scènes 5 et 6 CONTEXTE Avec les scènes 5 et 6 de l'acte V de Dom Juan, nous arrivons à un dénouement vingt fois annoncé.

D'un bout à l'autre de la pièce, et par tout le monde, le héros a été averti qu'il finirait par subir le châtiment du Ciel.

On l'a vu lui-même, quand il jouait l'hypocrite, évoquer cette sanction divine.

Or, ce châtiment ne vient pas, Don Juan réussissant à échapper à toutes les menaces. Curieuse justice divine, pourrait-on dire, qui fait le malheur des êtres dévoués à sa cause (Elvire, le Pauvre, Don Louis) et qui laisse prospérer des coquins comme Don Juan.

Ce dernier, non seulement ne s'est pas amendé, mais encore n'a cessé de fran­ chir de nouveaux paliers dans le vice.

Il vient d'annoncer, par exemple, qu'il va maintenant se faire un bouclier de la religion pour pouvoir continuer à mener sa vie de dépravé.

Sganarelle estime alors que le comble est atteint.

Pourtant, cela ne suffit pas encore et il faudra aller plus loin dans la turpitude pour que le Ciel se décide enfin à agir.

Ce stade ultime est atteint dans la scène 5 du dernier acte, et, cette fois (scène 6), le châtiment ne se fait pas attendre. TEXTE SCÈNE5 DoN JUAN, UN SPECTRE en femme voilée, SGANARELLB LE SPECTRE: Don Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel; et s'il ne se repent ici, sa perte est résolue. SGANAREllE: 5 Entendez-vous, Monsieur? DON JUAN: Qui ose tenir ces paroles? Je crois · connaître cette voix. SGANAREllE: Ah! Monsieur, c'est un spectre: je le reconnais au marcher. 10 DON JUAN: que c'est. Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce Le Spectre change de figure et représente le Temps avec sa faux à la main. SGANAREUE: 0 Ciel! voyez-vous, Monsieur, ce chan­ gement de figure? 15 DON JUAN: Non, non, rien n'est capable de m'impri­ mer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit. 20 Le Spectre s'envole dans le temps que Don Juan le veùt frapper. SGANAREllE: Ah! Monsieur, rendez-vous à tant · de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir. _, DON JUAN: Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir.

Allons, suis-moi. SCENE6 LA STATUE, DON JUAN, SGANAREllE LA STATUE: Arrêtez, Don Juan: vous m'avez hier don25 né parole de venir manger avec moi. DON JUAN: Oui.

Où faut-il aller? LA STATUE: Donnez-moi la main. DON JUAN: La voilà. Don Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre. LA STATUE: 30 DON JUAN: 0 Ciel! que sens-je? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent.

Ah! 35 40 Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Don Juan; la terre s'ouvre et l'abîme; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé. SGANARELLE: Ah! mes gages! mes gages! Voilà par sa mort un chacun satisfait: Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le mon­ de est content.

Il n'y a que moi seul de malheureux.

Mes gages, mes gages, mes gages! IDÉE DIRECTRICE ET MOUVEMENT DU TEXTE Don Juan parvient au terme de son parcours: il va subir le châtiment du Ciel qui va le punir, non pour ses péchés, car à tout péché miséricorde, mais pour n'avoir point voulu demander cette miséricorde. D'abord, dans la scène V, un Spectre apparaît à Don Juan et lui renouvelle l'avertissement du Ciel:« ...

s'il ne se repent ici, sa perte est résolue».

Cette scène est divisée en trois mouve­ ments séparés par les didascalies se rapportant aux métamor­ phoses du Spectre.

Après le refus de Don Juan de se repentir, vient le châtiment annoncé. La scène VI décrit l'ultime rencontre entre la Statue du Commandeur et Don Juan.

Elle est également subdivisée en trois moments. • Dans un premier temps, jusqu'à la repartie de Don Juan: «La voilà», la Statue demande à Don Ju_an de la suivre.

Le libertin accepte de lui donner la main. • Dans un deuxième temps, la Statue prononce le jugement du Ciel: Don Juan n'a pas su profiter des grâces du Ciel, il sera fou­ droyé.

Après les ultimes paroles de Don Juan, étonné du feu qui le brûle, le libertin est précipité dans l'abîme. • Dans un troisième temps, la comédie reprend ses droits après le drame: c'est Sganarelle qui aura le dernier mot en pleurant ses gages. AXES D'EXPLICATION Le dénouement d'une tragédie A la fin des Liaisons dangereuses, la marquise de Merteuil a le visage détruit par la petite vérole et le livre se termine très moralement sur l'idée que son visage s'est mis à ressembler à son âme.

Quant au vicomte de Valmont, aristocrate émule de Don Juan, il est tué au cours d'un duel par Danceny. Molière aurait très bien pu faire mourir Don Juan de la même manière que Valmont, suite à un duel avec Don Carlos.

Il lui aurait cependant fallu s'écarter du mythe beaucoup plus qu'il ne l'a fait jusque-là.

En fait, il va conserver le dénouement tradi­ tionnel, mais en l'intégrant parfaitement à son projet.

Le deus ex machina qui foudroie Don Juan n'apparaît pas comme un élé­ ment rapporté.

Il ne nuit en rien à la cohérence d'un ensemble qui, par bien des points, s • apparente à la tragédie.

· • Une mort annoncée: la punition du Ciel qui sert de dénoue­ ment est annoncée dès le début.

D'autres avertissements suivent, revenant comme un leitmotiv tout au long de la pièce. Dès l'acte I, Elvire rappelle cette éventualité.

Sganarelle, suite à la quasi-noyade, fait remarquer qu'il s'agit peut-être d'un avertissement du Ciel.

Au début de l'acte IV, suite à la scène du tombeau qui termine l'acte précédent, Sganarelle interprète le hochement de tête de la statue comme une manifestation du Ciel: « Il n'est rien de plus véritable que ce signe de tête, et je ne doute point que le Ciel scandalisé par votre conduite n'ait produit ce miracle.» A la fin de l'acte IV, la statue du Commandeur, lors de sa vi­ site à Don Juan, explicite ce que sa seule présence aurait suffi à indiquer.

Refusant le flambeau que Don Juan propose, elle dit: « On n'a pas besoin de lumière quand on est conduit par le Ciel.

» Elvire, à l'occasion de sa seconde visite {IV, 6), évoque avec insistance le châtiment et la damnation qui suivra. Après la seconde visite de Don Louis, l'apologie de l'hypo­ crisie par Don Juan et l'épisode avec Don Carlos, Sganarelle re­ vient sur cette apologie 'pour en dénoncer le caractère scanda­ leux.

Nouvelle occasion pour annoncer, d'une façon nette, une intervention du Ciel: « C'est maintenant que je désespère, et je crois que le Ciel, qui vous a souffert jusqu'ici, ne pourra souffrir du tout cette dernière horreur.

» Et voilà maintenant qu'arrive un spectre lui aussi très explicite: « Don Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel.

» Par cette lancinante annonce du malheur résultant de- la volonté d'une divinité, la pièce s'apparente à la tragédie.

La tra­ gédie, en effet, ne repose pas sur le suspense comme le drame. On ne se demande pas ce qui va arriver au héros, car sa destinée est annoncée dès le début.

Avec un tel effet d'annonce, le dé­ nouement ne paraît pas artificiel et simplement plaqué à la fin de la pièce parce qu'il faut bien terminer une pièce.C'est même son absence qui deviendrait incompréhensible. • Un dénouement nécessaire, dans le sens littéraire du tenne. Pour la dramaturgie classique, les événements ne doivent pas arriver d'une manière fortuite.

Il n'est pas possible de se débar­ rasser d'un personnage en le faisant mourir d'un saignement de nez ainsi que cela se trouve chez Corneille.

Un dénouement tout à fait inattendu comme le coup de théâtre qui termine Tartuffe n'est pas autorisé. A partir d'une crise mise en place dès le début, de nombreuses péripéties, dont le dénouement, peuvent se produire.

Mais ces péripéties ne doivent pas survenir gratuitement.

Elles doivent découler de la psychologie des personnages, en être la consé­ quence.

C'est en cela qu'elles ont un caractère de «nécessité». C'est exactement ce qui se passe pour Dom Juan.

Le dénoue­ ment est une conséquence inéluctable de la marche de l'action et de la psychologie du héros.

Tout au long de la pièce, Don Juan n'a cessé de monter degré par degré dans l'ignominie.

Il a suc­ cessivement enlevé une femme d'un couvent, tenté un enlève­ ment par la force, ce qui s'apparente au viol, bafoué la statue d'un homme qu'il avait tué, souhaité la mort de son père, et enfin, ce qui paraît le comble à Sganarelle, décidé de masquer ses vices sous le manteau de la religion.

Cette incessante pro­ gression dans le vice devait déboucher sur un climax fatal. Pourtant, le Ciel ne réagit pas encore, semblant donner raison à Don Juan contre tous ceux qui l'avertissent.

Mais un ultime degré va être franchi et provoquer sa colère immédiate.

Dans la scène 5 de l'acte V, une dernière chance est donnée à Don Juan s'il accepte de se repentir.

Son refus du remords, la faute suprê­ me, provoque la foudre du Ciel.

Quelques secondes après ce refus de se repentir, Don Juan est mort. • La démesure: le héros de la tragédie grecque est puni par les dieux pour avoir commis un acte de démesure, un acte qui parti­ cipe de l'hybris.

En dépassant une limite, il outrage les dieux, lesquels le lui font payer. C'est exactement ce qui arrive à Don Juan.

Simplement, à la différence du théâtre grec, le châtiment survient immédiatement et sans appel après le franchissement des limites. • Le miroir d'une société: on a dit du théâtre grec qu'il était une fête, mais aussi un acte politique.

La représentation permet­ tait à une société tout entière de se faire présenter comme dans une sorte de miroir, les grands problèmes qui la traversaient. Dom Juan peut être rapproché de ce type de spectacle. Laissons les nombreuses références à l'actualité (voir p.

97-111142-179) pour nous en tenir à l'essentiel.

Dom Juan peut être perçu comme un grand mythe sur le péché, c'est-à-dire sur la fa­ çon dont les gens du xvne siècle envisageaient le problème du mal. Son dénouement correspondait à la thèse officielle de !'Eglise: toute faute est pardonnable.

Saint Augustin, dans un premier temps grand pécheur.

en était la preuve.

Ne disait-on pas « A tout péché miséricorde»? Mais le refus de se repentir était considéré comme diabolique.

Il se rattache.

en effet.

au péché d'orgueil par lequel Adam avait déjà conduit les hommes à la déchéance. Le dénouement, dont nous avons vu qu'il était rendu néces­ saire par la gradation dans le crime.

appann"t aussi parfaitement motivé sur un plan idéologique. Le Spectre • Un héros faustien: la phrase prononcée par le Spectre sonne comme un verdict.

Don Juan est mis directement en cause, com­ me objet d'un jugement qui découle de son comportement.

Le caractère fatidique, inéluctable, de cette déclaration ne laisse aucune marge à la volonté humaine, aucune autre disponibilité que le repentir, c'est-à-dire la soumission absolue à l'autorité du Ciel. Il est à noter que le Spectre parle déjà comme le gardien du Temps, ce qui explique sa future transformation.

La scansion de la phrase fait penser au battement impitoyable d'une horloge, au rythme régulier sur lequel s'écoule le fatal sablier.

Le Spectre ne porte pas d'appréciation, il ne s'implique pas dans ses paroles.

Il rend compte d'une situation qui a valeur de fait.

mais qui ouvre aussi sur un choix, où le Ciel n •a point de part.

un choix laissé à l'homme.

On relèvera l'accent sur «n'a plus qu'un moment», qui sont les termes dominants de cet énoncé. Cette séquence est construite selon un mouvement descen­ dant.

La vigueur incisive, tranchante de la deuxième période, scindée par la virgule et culminant sur la note aiguë de « réso­ lue», contraste avec l'emphase de la première période qui se déroule sans interruption jusqu'au point-virgule.

Cette courbe mélodique a pour effet de renforcer l'aspect irrévocable de la sentence. On observe également un parallélisme dans la répétition de la particule «ne», une fois au sens temporel.

dans «ne.•.

que».

une deuxième fois au conditionnel, dans «si...

ne».

Le temps est rattaché à une condition.

celle du repentir. L'intérêt de l'analyse grammaticale est de révéler le mouve­ ment même des idées sous l'organisation syntaxique.

Ainsi.

le fait de prendre Don Juan pour sujet de la phrase s'explique d'abord par la distance, la neutralité de l'énoncé.

Cette construc­ tion suffit pour suggérer que l'homme n'est pas passif, mais actif face à son destin.

Le sort de Don Juan ne dépend pas du Ciel, mais de lui seul, de sa volonté, de sa liberté.

Le Ciel se contente de tirer les conséquences irrémédiables d'un choix de vie, d'une décision qui a rapport au temps. On s'aperçoit alors que, derrière l'allégorie qui se démasque sous ses yeux, Don Juan est à même de deviner un enjeu qui n'est pas extérieur à lui, dans les sphères d'une imagerie conve­ nue, mais qui est intérieur, qui tient à son existence même telle qu'il l'a voulue, telle qu'il continue à la vouloir. On découvre alors le sens de la relation qui apparaît entre le «oui» et le «non», entre la liberté de choix laissée à Don Juan et le rétrécissement du temps, cette peau de chagrin qui bientôt ar­ rive à sa fin. Dans cette perspective qu'ouvre le simple jeu grammatical, il n'est plus question de doctrine chrétienne ni de révolte libertine, il n'est question que des options les plus simples qui déterminent le cours d'une existence.

Don Juan a opté pour l'intensité contre la durée. L'exigence du repentir, la soumission à la volonté divine, l'acceptation des grâces du Ciel peuvent s'interpréter comme la nécessité de rentrer dans le rang, de préférer la sécurité au risque, la place assise à l'aventure.

Le châtiment qui menace Don Juan n'est pas prononcé par une puissance supérieure; il découle de la vie même de Don Juan, il dépend de la volonté de Don Juan lui­ même, il est l'expression et la conséquence de sa liberté. L'histoire de Don Juan apparaît donc comme une contribu­ tion au mythe faustien.

La réponse de Don Juan à la Statue est l'équivalent du pacte de Faust avec le diable: rendez-moi ma jeunesse, rendez-moi mes plaisirs et je vous cède mes droits sur l'éternité. Si on retient cette lecture, l'urgence du repentir signifie que Don Juan est arrivé au bout de son rouleau.

Il a fait son temps, ce qm est une manière de dire que son temps est venu. Cette association entre l'amour et le temps, entre le désir et la durée, explique peut-être l'étrange réaction de Don Juan en entendant le Spectre: «Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaître cette voix.» D'abord, le frémissement orgueilleux du grand seigneur qui ne supporte pas qu'on lui dicte sa conduite.

Mais ce « Qui ose» peut signifier autre chose, en liaison directe avec cette voix qu'il croit reconnaître. La familiarité de la voix, le fait que le Spectre est une femme voilée comme l'était Elvire, tout cela laisse à penser que le Spectre est une 'représentation d'Elvire.

Bien que cette associa­ tion vienne aussitôt à l'esprit, elle doit cependant être écartée, car il n'y a rien de commun entre l'impassibilité du Spectre et l'exaltation, l'engagement, la compassion d'Elvire.

Il se peut alors que cette figure évoque, de manière purement allégorique, les femmes que Don Juan a aimées.

. Seules ces femmes qu'il a trompées ont des droits sur lui, ces droits qu'Elvire, pour sa part, n'a pas manqué de lui rappeler.

En demandant «Qui ose?», peut-être Don Juan pense-t-il soudain que ses victimes seules ont le droit d'oser. Ces femmes à qui il a consacré toute sa vie, tout son temps, ces femmes ont été des instruments de plaisir, mais elles repa­ raissent en cet ultime moment pour demander des comptes.

Les comptes, d'ailleurs, sont déjà faits.

Car ces femmes, par leur soumission même, n'ont pas été seulement les victimes de Don Juan: elles ont été en même temps ses bourreaux.

Elles lui ont arraché, l'une après l'autre, ses parcelles de temps et de vie; elles l'ont épuisé.

Aujourd'hui, elles prennent la figure du Temps pour lui présenter leurs créances, comme Monsieur Dimanche. • Une fantasmagorie burlesque: la remarque de Sganarelle introduit l'élément de tension, habituel dans cette pièce, entre le tragique et le burlesque.

La coexistence des registres opposés caractérise la poétique de Dom Juan.

C'est tout le sens du couple formé par Don Juan et Sganarelle. Sganarelle poursuit, d'ailleurs, dans la veine du comique involontaire, quand, effrayé, mais aussi ébahi, admiratif, comme on peut l'être devant un spectacle de Grand-Guignol, il s'excla­ me: «O Ciel!» Ici, l'invocation banale est tout à fait en situa­ tion. La fantasmagorie des transformations du Spectre marque l'intrusion du surnaturel et indique bien qu'on ne peut confondre cette figure avec celle d'Elvire.

Le Spectre maniieste sa double nature, humaine, quand il apparaît en femme voilée, divine quand il représente le Temps avec sa faux.

Quand il s'envole pour échapper à Don Juan, l'impression de frayeur cède la place à.... »

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