Le couvercle de l'échelle de l'entrepont s'ouvre; uye voix effrayée appelle le 'capitaine : cette voix, au milieu de la...
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Le couvercle de l'échelle de l'entrepont s'ouvre; uye voix effrayée appelle
le 'capitaine : cette voix, au milieu de la nuit et de la tempête, avait
quelque chose de formidable.
Je prête l'oreille; il me semble ouïr des
marins discutant sur le gisement d'une terre.
Je me jette en bas de mon
branle; une vague enfonce le château de poupe, inonde la chambre du
capitaine, renverse et roule pêle-même tables, lits, coffres, meubles et_
armes; je gagne le tillac à demi noyé.
En mettant la tête hors de l'entrepont, je fus frappé d'un spectacle
sublime.
Le bâtiment avait essayé de virer de bor_d ; mais n'ayant pu y
pa,i:venir, il s'était affalé sous le vent.
A la lueur de là June écornée, qui
émergeait des nuages pour s'y replonger aussitôt, on découvrait sur les
deux bords du navire, à travers une brume jaune, des côtes hérissées de
rochers.
La mer boursoullait ses flots comme des monts dans le canal où
nous nous trouvions engouffrés ; t;intôt ils s'épanouissàient en écumes et
en étincelles ; tantôt ils n'offraient qu'une surface huileuse et vitreuse,
marbrée de taches noires, cuivrées, ver,!lâtres, selon la couleur des bas
fonds sur lesquels ils mugissaient.
Pendant deux ou trois minutes, les
vagissements de l'abîme et ceux du vent étaient confondus; l'instant
d'après, on distinguait le détaler des courants, le- sifflement des récifs, la
voix de la lame lointaine.
De la concavité du bâtiment sortaient des bruits
qui faisaient battre le cœur aux plus intrépides matelots.
La proue du
navire tranchait la masse épaisse des vagues avec un froissement affreux,
et au gouvernail des torrents d'eau s'écoulaient en tourbillonnant; comme
à l'échappée d'une écluse.
Au milieu de ce fracas, rien n'était aussi alar
mant qu'un certain murmure sourd, pareil à celui d'un vase qui se rèmplit.
CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe.
Sous la forme d'un commentaire composé, vous rendrez
compte de la lecture personnelle que vous avez faite de cette
page.
Vous pourriez par exemple - mais cette indication vous
laisse libre de choisir votre démarche - étudier comment al
ternent dans le texte le récit dramatique d'un naufrage et la
description d'un« spectacle sublime».
briand a beaucoup voyagé, en particulier aux Amériques et
un périple en Méditerranée.
Il connaît !'Océan et les navires,
il les a cotoyés enfant, à St-Malo.
Aussi a-t-on presque l'im
pression d'une relation qu'un « technicien», selon notre
terme moderne, conduit.
Il intègre en effet tout naturelle
ment des termes de marine à son récit, tels « le branle» qui
signifie «hamac», le « château de poupe», « la proue»...
,
mots précis qui ne seraient peut-être pas tous dans la bouche
d'un terrien.
Mais le romancier surtout est présent.
Il dessine
en quelques paroles l'un des héros de la scène, celui qui
affronte tant bien que mal la tempête : le navire lui-même.
Ainsi apparaissent naturellement les éléments du bateau,
ceux qui le constituent extérieurement, sa « conc�vité», son
«gouvernail» et même intérieurement, la « chambre du ca
pitaine», ce qui meuble les cabines : « tables, lits, coffres,...
»
et ce qui protège les bâtiments souvent encore à la merci de
quelque pirate, « les armes».
On sent que Chateaubriand,
· sur un navire, est tout à fait à l'aise, dans un milieu familier.
Mais la marque du récit est surtout une atmosphère drama
tique, que tournures et choix du vocabulaire entretiennent.
Ce sont des phrases courtes sans ponctuation qui traduisent
la peur;«// une voix effrayée appelle le capitaine; //» par
exemple.
Volontairement Chateaubriand ne précise pas les
termes de l'appel du matelot, il en résulte une impression
confuse et troublante.
Même procédé, celui d'une incertitude
inquiète dans:« il me semble» que le verbe laissant entendre
que Chateaubriand n'a pas bien réalisé ce qui lui arrive et
reste d'abord s0us l'effet d'une surprise tendue.
Le malaise
du lecteur croît lorsque le narrateur laisse entendre la
crainte des marins « discutant sur le gisement d'une terre»:
Sensation et compréhension indistinctes là encore: s'agit-il
d'un écueil qu'aurait heurté le navire ou d'une terre aperçue
au loin ? Mais lorsque l'auteur réalise ce qui arrive au
bâtiment le ton s'élève, après avoir transmis l'émotion, il
transcrit le drame, suite au branlebas précédent.
« L'enchan
teur», comme l'appelèrent ses contemporains condense l'in
tensité tragique en une phrase ternaire: «Une vague enfonce
le·château de poupe, / inonde....
»
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