Le criticisme kantien 1. La critique * Emmanuel Kant (1724-1804) . * Du verbe·grec krino qui veut dire séparer, trier,...
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«
Le criticisme kantien
1.
La critique
* Emmanuel Kant
(1724-1804) .
* Du verbe·grec krino qui veut dire séparer, trier, passer
au crible (du grain,
par exemple, pour
En montrant que la relation de cause à effet est une nécessité
purement subjective, une habitude, que nous prenons pour une
nécessité objective, Hume a ruiné toute la métaphysique dogmatique
qui, au XVI 1• siècle reposait sur les notions de substance et de cause,
mais aboutit au scepticisme.
C'est la lecture de Hume qui détermina la
mise en œuvre, par Kant* , de la critique de la raison : « Je l'avoue
franchement, ce fut l'avertissement de David Hume qu i interrompit
d'abord, voilà bien des années, mon sommeil dogmatique, et qui donna
à mes recherches en philosophie spéculative une toute autre · direction .
»
Kant remarque que, contrairement à ce qui dit Hume, notre raison ne
peut se borner à l'expérience: elle pose nécessairement des questions
métaphysiques (Dieu, l'âme, le monde considéré dans sa totalité).
De
plus, le scepticisme est intenable : les mathématiques et la physique,
après la logique, sont parvenues à des connaissances universelles et
nécessaires 0 • Si la causalité n'est qu'une habitude, comment se fait- il
que les lois découvertes par Galilée et Newton permettent de prévoir
les phénomènes sans risque d'erreur? Mais la métaphysique peut-elle
devenir, elle aussi, une science ? Pour répondre à cette question, Kant
va prendre le problème à la racine et s'interroger sur les possibilités
mêmes de la raison, chercher dans la raison elle-même les règles et les
limites de son activité : faire la critique* de la raison par la raison,
c'est-à-dire discerner ce que la raison peut faire et ce qu'elle est
incapable de faire.
le séparer des impuretés) .
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« Aujourd'hui que l'on a (comme on le croit) tenté en vain toutes
les voies, règnent le dégoût et l'entière indifférence qui engendrent le
chaos et les ténèbres dans les sciences, mais qui sont en même temps
la source, ou du moins le prélude, d'une transformation prochaine et
d'une renaissance de ces mêmes sciences.
(...) L'indifférence, en effet,
est une invitation faite à la raison d'entreprendre à nouveau la plus
difficile de toutes ses tâches, celle de la connaissance de soi-même, et
d'instituer un tribunal qui la garantisse dans ses prétentions légitimes
et puisse en retour condamner toutes ses usurpations sans fondements, non pas d'une manière arbitraire, mais au nom de ses lois
éternelles et immuables.
Or, ce tribunal n'est autre chose que la
Critique de la Raison pure elle-même.
Je n'entends pas par-là une critique des livres et des systèmes,
mais du pouvoir de la raison en général, par rapport à toutes les
connaissances auxquelles elle peut aspirer indépendamment de toute
expérience, par conséquent la solution de la question de la possibilité
ou de l'impossibilité d'une métaphysique en général et la détermination aussi bien de ses sources que de son étendue et de ses limites,
tout cela suivant des principes.
»
Kant, Critique de la Raison pure (préface, p.
7)
« La critique n'est pas opposée à un procédé dogmatique de la
raison dans sa connaissance pure en tant que science (car la science
doit toujours être dogmatique, c'est-à-dire strictement démonstrative,
en s'appuyant sur de sûrs principes a prion), mais elle est opposée au
dogmatisme, c'est-à-dire à la prétention ~'aller de l'avant avec une
connaissance pure (la connaissance philosophique) tirée de concepts
d'après des principes tels que ceux dont la raison fait usage depuis
longtemps sans se demander comment ni de quel droit elle y est
arrivée.
Le dogmatisme est donc la marche dogmatique que suit la
raison pure sans avoir fait une critique préalable de son pouvoir
propre.»
Kant, Critique de la Raison pure (préface, p.
26)
2.
L'a priori de la connaissance
Pour mener à bien cette critique, Kant procède à une analyse de notre
connaissance : comme l'a montré Hume, il ne peut y avoir de
connaissance sans expérience ; mais est-ce à dire que toute connaissance dérive de l'expérience ? L'expérience ne peut pas nous fournir de
connaissances universelles et nécessaires: « L'expérience nous enseigne bien qu'une chose est ceci ou cela, mais non qu'elle ne puisse être
autrement.» Or, nous possédons en mathématiques et en physique des
connaissances universelles et nécessaires, donc l'expérience ne compose pas toute notre connaissance.
Kant distingue les connaissances a
posteriori qui dérivent de l'expérience et les connaissances a priori qui
ne dérivent pas de l' expérience mais la précèdent et en sont la
condition .
Par exemple, lorsque je dêmontre que la somme des angles
d 'un triangle est égale à deux droits, je n'ai pas recours à l'expérience
(mesurer les angles avec un rapporteur).
Le nécessaire et /'universel
sont les signes de l' a priori.
« Si toute notre connaissance débute avec l'expérience, cela ne
prouve pas qu'elle dérive toute de l'expérience, car il se pourrait bien
que même notre connaissance par expérience fût un composé de ce
que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre
pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles) produit lui-même : addition que nous ne distinguons pas de la
matière première jusqu'à ce que notre attention y ait été portée par
un long exercice qui nous ait appris à l'en séparer.
C'est donc au moins encore une question qui exige un examen
plus approfondi et que l'on ne saurait résoudre du premier coup
d'œil, que celle de savoir s'il y a une connaissance de ce genre,
indépendante de l'expérience et même de toutes les impressions des
sens.
De telles connaissances sont appelées a priori et on·les distingue
des empiriques qui ont leur source a posteriori, à savoir dans
l'expérience.
(...)
Par connaissances a priori nous entendrons désormais non point
celles qui ne dérivent pas de telle ou de telle expérience, mais bien
celles qui sont absolument indépendantes de toute expérience.
A ces
connaissances a priori sont opposées les connaissances empiriques
ou celles qui ne sont possibles qu'a posteriori, c'est-à-dire par
l'expérience.
Mais, parmi les connaissances a priori, celles-là sont
appelées pures auxquelles n'est mêlé absolument rien d'empirique.
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Par exemple, cette proposition : Tout changement a une cause, est
bit;n a priori, mais n'est point pure cependant, puisque le changement
est un concept que l'on peut tirer de l'expérience.
»
Kant, Critique de la Raison pure (Préface p.
31-32)
3.
Jugements analytiques et jugements synthétiques
Toutes nos connaissances a priori n'ont pas toutes la même valeur
puisque la métaphysique qui ne repose pas sur l'expérience n'est pas
une science.
Pour comprendre cela, il faut distinguer les jugements
analytiques et les jugements synthétiques.
Un jugement est dit analytique lorsqu'il se contente d'expliciter un
concept, d 'an alyser son contenu : il ne nous apprend rien .
Les jugements analytiques sont a priori: nous n'avons pas besoin de recourir à
l'expérience.
Un jugement est synthétique, au contraire, lorsque le prédicat n'est
pas contenu dans - le sujet.
Tout jugement d'expérience (donc a
posteriori) est synthétique.
•
Il existe une t roisième sorte de jugements: les jugements synthétiques
a priori qui nous apprennent quelque chose de nouveau mais qui ne
~·appuient pas sur l'expérience.
C'est le cas des jugements mathématiques (« 2 + 3
5 ») et des principes des sciences (« tout phénomène a
une cause »).
Universels et nécessa ires, ils permettent aux mathématiques et à la physique d' atteindre leur certitude.
=
« Dans tous les jugements où on pense le rapport d'un sujet à
un prédicat (...), ce rapport est possible de deux manières.
Ou le
prédicat B appartient au sujet A comme quelque chose qui est
contenu (implicitement) dans ce concept A, ou B est entièrement en
dehors du concept A, quoiqu'il soit, à la vérité, en connexion avec lui.
Dans le premier cas, je nomme le jugement analytique, dans l'autre
synthétique.
(...) On pourrait aussi nommer les premiers explicatifs,
les autres extensifs, car les premiers n'ajoutent rl.en au concept du
sujet par le moyen du prédicat, mais ne font que le décomposer par
l'analyse en ses concepts partiels qui ont été déjà (bien que
confusément) pensés en lui ; tandis qu'au contraire les autres ajoutent
au concept du sujet un prédicat qui n'avait pas été pensé en lui ; et
qu'on n'aurait pu en tirer par aucun démembrement.
Par exemple,
lorsque je dis que tous les corps sont étendus, j'énonce un jugement
analytique, car je n'ai pas besoin de sortir du concept que je lie au
mot corps, pour trouver l'étendue unie à lui, mais je n'ai qu'à
décomposer ce concept, c'est-à-dire qu'à prendre conscience du
divers que je pense en lui, pour y trouver ce prédicat ; ce jugement est
donc analytique.
Au contraire, lorsque je dis que tous les corps sont
pesants, ici le prédicat est tout à fait différent de ce que je pense dans
le simple concept d'un corps en général.
L'adjonction de ce prédicat
donne, par conséquent, un jugement synthétique.
»
Kaht, Critique de la Raison pure (Introduction p.
3 7)
4.
La sensibilité
Pour savoir comment les jugements synthétiques a priori sont possibles, Kant procède à une analyse de notre faculté de connaître.
Notre
conn aissance dérive de deux sources : la sensibilité ou réceptivité qui
connaît par intuition et l'entendement qui connaît par concepts.
Dans
son étude de la sensibilité, Kant entend par matière le uontenu divers
de la sensation et par forme ce qui ordonne cette matière.
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• Ces formes sorit
les catégories.
• Voir p.
77.
« De quelque manière et par quelque moyen qu'une connaissance
puisse se rapporter à des objets, le mode par lequel elle se rapporte
immédiatement aux objets et auquel tend toute pensée comme au but
en vue duquel elle est le moyen est l'intuition.
Mais cette intuition n'a
lieu qu'autant que l'objet nous est donné ; ce qui n'est possible à son
tour qu'à la condition que l'objet affecte d'une certaine manière notre
esprit.
La capacité de recevoir (réceptivité) des représentations grâce
à la manière dont nous sommes affectés par les objets se nomme
sensibilité.
Ainsi, c'est au moyen de la sensibilité que des objets nous
sont donnés, seule elle nous fournit des intuitions ; mais c'est
l'entendement qui pense ces objets et c'est de lui que naissent les
concepts.
J'appelle matière dans le phénomène, ce qui correS'porid à la
sensation ; mais ce qui fait que le divers du phénomène est coordonné
dans l'intuition selon certains rapports, je l'appelle la forme du
phénomène.
Et comme ce en quoi les sensations peuvent seulement
se coordonner et être ramenées à une certaine f9rme ne peut pas être
encore sensation, il s'ensuit que, si la matière cfe tout phénomène ne
nous est donnée, il est vrai, qu'a posteriori, il faut que sa forme• se
trouve a priori dans l'esprit toute prête à s'appliquer à tous, il faut,
par conséquent, qu'elle puisse être considérée indépendamment de
toute sensation.
J'appelle pures au sens transcendantal)* toutes les représentations
dans lesqueiies ne se rencontre rien de ce qui appartient à la
sensation.
Par suite, la forme pure des intùitions sensibles en général
se trouvera a priori dans l'esprit (...).
»
Kant, Critiqut de la Ràison pure (1' 0 partie§ 1)
Il y a deux formes a priori de la sensibilité : l'espace, forme du sens
externe permet d 'ordonner les objets hors de nous ; c' est à travers le
temps; forme du sens interne, que l'esprit perçoit ses états intérieurs.
« Nous isolerons tout d'abord la sensibilité, en faisant abstraction
de tout ce que l'entendement y pense par ses concepts, pour qu'il ne
reste rien que l'intuition empirique.
En second lieu, nous écarterons
encore de cette intuition tout ce qui appartient à la sensation, pour ·
qu'il ne reste rien que l'intuition pure et la simple forme des
phénomènes, seule chose qui puisse fournir a priori la sensibilité.
De
cette recherche, il résultera qu'il y a deux formes pures de l'intuition
sensible, c9mme principes de la connaissance a priori, savoir :
l'espace et le temps.
»
Kant, Critique de la Raison pure (p.
54)
5.
L'entendement
La seconde source de notre connaissance est l'entendement, pouvoir
de juger:
« L'entendement n'a été défini plus haut que négativement : un
pouvoir de connaître non sensible.
Or, nous ne pouvons, indépendamment de la sensibilité, participer à aucune intuition.
Mais, en
dehors de l'intuition, il n'y a pas d'autre manière de connaître que par
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concepts.
Donc la connaissance de tout entendement, pour le moins
de l'entendement humain, est une connaissance par concepts, non
intuitive, mais discursive.
Toutes les intuitions, en tant que sensibles,
reposent sur des affections, et les concepts, par conséquent, sur des
fonctions.
Or, j'entends par fonction l'unité de l'acte qui range
diverses représentations sous une représentation commune.
Les
concepts reposent donc sur la spontanéité de la pensée, comme les
intuitions sensibles, sur la réceptivité des impressions.
Or, de ces
concepts, l'entendement ne peut faire aucun autre usage que de juger....
»
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