Le début.de Dom Juan: éloge du tabac par Sganarelle Acte 1, scène 1 CONTEXTE C'est sur ce texte que commence...
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«
Le début.de Dom Juan:
éloge du tabac par Sganarelle
Acte 1, scène 1
CONTEXTE
C'est sur ce texte que commence Dom Juan.
Il ouvre la scène
dite «d'exposition» car elle a pour fonction de mettre en place
les éléments de l'action dramatique.
Ces paroles sont pronon
cées par Sganarelle, le valet de Don Juan, et s'adressent à
Gusman, le valet de Done Elvire.
Mais à travers celui-ci, l'au
teur, bien entendu, s'adresse aux spectateurs, car il importe de
les infonner du sujet de l'intrigue.
Il importe non moins d'éviter
de donner ces informations indispensables de manière formelle
et stéréotypée.
Il est intéressant d'examiner comment Molière résout ce
double problème.
TEXTE
SCÈNE 1
SGANARELLE, GUSMAN
SGANARELLE, tenant une tabatière: Quoi que puisse dire
Aristote et toute la Philosophie, il n'est rien d'égal au
tabac: c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans
tabac n'est pas digne de vivre.
Non seulement il réjouit
s et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les
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âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir hon
nête homme.
Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en
prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout
le monde, et comme on est ravi d'en donner à droit et à
gauche, partout où l'on se trouvi? On n'attend pas
même qu'on en demande, et l'on court au-devant du
souhait des gens: tant il est vrai que le tabac inspire des
sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en
prennent.
Mais c'est assez de cette matière.
Reprenons
un peu notre discours.
Si bien donc, cher Gusman, que
Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s'est
mise en campagne après nous, et son cœur, que mon
maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis-tu,
sans le venir chercher ici.
Veux-tu qu'entre nous je te
dise ma pensée? J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de
son amour, que son voyage en cette ville produise peu de
fruit, èt que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.
GUSMAN: Et la raison encore? Dis-moi, je te prie,
Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais
augure? Ton maître t'a-t-il ouvert son cœur là-dessus, et
t'a-t-il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait
obligé à partir?
SGANARELLE: Non pas; mais, à vue de pays, je connais
à peu près le train des choses; et sans qu'il m'ait encore
30 rien dit, je gagerais presque que l'affaire va là.
Je pour
rais peut-être me tromper; mais enfin, sur de tels sujets,
- l'expérience m'a pu donner quelques lumières[...}.
MATÉRIAUX
Les élémentsfigurant dans la rubrique matériaux ne font pas
partie, à proprement parler, del' explication de texte.
Ils' agit de
connaissances que possède une personne moyennement cultivée
et qui facilitent l' appréciation du texte.
Civilisation
► Le tabac a été découvert par Christophe Colomb à la fin du XV8 siècle.
Il avait
observé des Indiens qui inspiraient de la fumée provenant de feuilles séchées
et enroulées.
Les Espagnols l'introduisirent en Europe, mais son usage ne se généralisa
qu'à partir de 1560 par le biais de l'ambassadeur de France au Portugal, Jean
Nicot.
Celui-ci en envoya à Catherine de Médicis pour soigner ses migraines.
Il se produisit alors un engouement pour le tabac qui fut d'abord d'ordre médi
cal.
Il devient ensuite un produit d'agrément.
Il était prisé (poudre de tabac
mise dans le nez),fumé ou chiqué (on le mâchait).
Le tabac fut désigné de multiples manières: petun (d'où le verbe «petu
ner» pour «fumer»), herbe à Nicot, nicotine, etc.
C'est finalement le mot pro
venant du terme indien tabaco qui l'emporta.
L'Eglise se montra hostile à cette nouvelle source de plaisir.
Le pape
Urbain VIII (1568-t644) prit même des mesures d'excommunication, par
exemple contre ceux qui prisaient dans les églises.
La Compagnie du Saint
Sacrement avait elle-même manifesté son hostilité à cette drogue.
Les autorités étaient partagées.
Louis XIII, quelques dizaines d'années
avant Dom Juan, avait décidé que seuls les apothicaires (nos pharmaciens)
auraient le droit d'en vendre.
Mais moins de dix ans après la première de Dom
Juan, Colbert décide de tirer des ressources de cette mode et il fait de la com
mercialisation du tabac un monopole d'Etat.
Le débat lancé par Sganarelle
concerne donc un problème de société, un peu comme pour la consommation
du cannabis aujourd'hui.
► Aristote (1.
2) était un philosophe grec du IV8 siècle avant J.-C.
(384-322) dont
le savoir était encyclopédique.
Il était considéré au Moyen Age, et encore au
XVll8 siècle, comme une autorité: il suffisait qu'une chose soit écrite par
Aristote pour qu'elle soit considérée comme vraie.
Les libertins combattront ce
principe d'autorité, estimant que chacun devait se forger sa propre opinion
(principe de libre examen).
►
Done Elvire (1.
16): Done comme Dom (respectivement venus du latin domi
na, maîtresse, et dominus, maître, seigneur) indiquent immédiatement un
rang social élevé.
Il nous situe aussi au sud de la France, Italie ou Espagne.
C'est ainsi que la pièce s'intitule Dom Juan, avec «m ».
Langue
► Honnête homme (1.
7) n'a pas le même sens qu'aujourd'hui.
De nos jours, le
sens s'est restreint au domaine moral: est honnête celui qui respecte sa paro
le et ne cherche pas à frauder.
L'honnête homme du
siècle, type idéal pour la société du temps, était
un individu correct moralement, bien sûr, mais aussi ce que nous appellerions
aujourd'hui une personne cultivée.
Il s'agissait aussi d'une personne qui
connaissait les usages du monde et évitait les excès.
xvue
► On en use avec tout le monde (1.
8): l'expression signifie, ici, « on se conduit
avec le monde»; «on se comporte avec les gens».
► A droit et à gauche (1.
9): le genre féminin l'a emporté aujourd'hui (« à droite
et à gauche»), mais le choix du masculin se rencontre chez plusieurs écrivains
du temps.
Technique tltéi1trale
► La scène d'exposition se situe au début d'une pièce de théâtre.
La convention de base est la suivante : on suppose que le spectateur ne
sait rien.
Il va donc falloir lui dire qui parle à qui et quel est le problème.
Cela donne parfois lieu à des situations artificielles puisque des person
nages qui se connaissent parfaitement commencent une conversation en rap
pelant le nom, le titre et parfois les ancêtres de l'interlocuteur.
IDÉE DIRECTRICE ET MOUVEMENT DU TEXTE
Cette tirade est constituée par l'information confidentielle
que, de valet à valet, entre gens que rapproche une même condi
tion, Sganarelle transmet à Gusman sur le sort de sa maîtresse.
Celle-ci, Done Elvire, est sans nouvelles de Don Juan, qui l'a en
levée d'un couvent et séduite avant de disparaître sans laisser de
traces.
Or, l'apparition de Gusman devrait être, pour Sganarelle, le
signal du danger, si tou�fois il avait le souci de protéger son
maître d'une «scène» aisément prévisible et des fâcheuses
conséquences qui peuvent s'ensuivre.
Mais, visiblement, il n'en
est rien; il s'empresse de livrer le secret de cette subite déro
bade, inexplicable pour l'honnête Gusman aussi bien que pour la
pure Elvire; tout simplement, Don Juan a quitté Elvire parce
qu'il s'est lassé d'elle.
Don Juan est un séducteur qui perd tout
intérêt pour les belles qu'il a conquises.
Il court alors après une
autre proie.
On aurait tort de croire, cependant, que Sganarelle trahit
aussi facilement son maître par générosité envers Gusman ou
par compassion envers Elvire.
Bien au contraire, il prend,
semble-t-il, un malin plaisir à insister sur la situation désespérée
de la femme qui a commis l'erreur d'aimer Don Juan.
Et, sur
tout, il livre cette confidence pour les satisfactions d'amour
propre qu'il en tire.
Le ton de supériorité qu'il adopte envers
Gusman montre bien le plaisir quelque peu pervers qu'il éprou-
ve à distiller ses informations de manière à tenir son interlocu
teur en haleine.
c•est la raison pour laquelle il commence son
discours par un éloge du tabac qui n'a rien à voir avec le sujet.
On imagine le pauvre Gusman bouillant d'impatience et obligé
pourtant de se maîtriser pour ne pas indisposer son informateur.
Tout le mouvement du texte est donc çlans ce retard volontai
re de Sganarelle qu'il faut bien percevoir par rapport à l'attente
de son interlocuteur.
• Tout d'abord.
il fait un éloge du tabac.
lequel a un rapport à
la tabatière qu'il tient à la main, mais n'en a aucun avec les ren
seignements que Gusman attend de lui.
Cette partie s'étend jus
qu'à la phrase par laquelle il fait semblant de prendre conscien
ce de l'impatience rentrée de Gusman:«Mais c'est assez de
cette matière.
Reprenons un peu notre discours.»
• Il paraphrase alors le discours que Gusman vient de lui tenir,
ce qui est.
pour l'auteur, une manière habile d'informer le spec
tateur de la situation.
Ce deuxième temps apporte un élément
d'information.
mais trop évasif et dubitatif pour constituer une
réponse.
• La troisième partie du texte regroupe les interrogations de
Gusman, au comble de l'inquiétude, et la repartie de Sganarelle
qui.
sans donner d'explication concrète, apporte tout de même
une confirmation aux craintes du valet de Done Elvire.
AXES D'EXPLICATION
Une scène d'exposition paradoxale
Dom Juan commence par une pirouette, un pied de nez de
Sganarelle à Gusman.
mais aussi de Molière à un destinataire
absent, que l'on devine derrière Gusman et derrière la salle.
D'emblée, on est agressé par une ambiguïté fondamentale et lit
téralement renversante.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit: ren
verser l'ordre habituel des choses, introduire le doute quant aux
valeurs apparemment les mieux établies.
Comme Gusman, on
est suspendu à la parole de Sganarelle, une parole maligne,
déroutante.
désarmante.
Comme Gusman.
on ne sait pas où l'on
en est; comme Gusman.
on est obligé de....
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