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Le Lager, un monde à part À bien des égards, le Lager apparaît comme une réalité cauche­ mardesque, située hors...

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« Le Lager, un monde à part À bien des égards, le Lager apparaît comme une réalité cauche­ mardesque, située hors du monde.

C'est un univers verrouillé, sans communication avec le monde extérieur.

Pourtant, il peut aussi être vu comme un miroir de la société humaine. UN UNIVERS VERROUILLÉ 1 L'enfer sur la terre L'impression d'être en enfer domine chez les détenus : « Aujourd'hui, dans le monde actuel, l'enfer, ce doit être cela » (p.

21).

En même temps, cet enfer est bien humain, comme le montre, à la fin du chapitre 1, l'exemple du soldat allemand que Primo Levi compare à Charon, le passeur des enfers dans la mythologie grecque.

Si sa demande d'argent provoque chez les déportés la colère, le rire, et « un étrange soulagement », c'est parce que, dans cet univers déshumanisé, son comportement garde un sens humain : après tout, il ne cherche qu'un profit per­ sonnel.

Mais à partir du moment où ils pénètrent dans le camp, les détenus sont totalement coupés du monde extérieur.

Non seule­ ment ils n'ont pas le droit d'envoyer ou de recevoir de courrier, mais les événements ne leur sont connus que par de vagues rumeurs.

Tout se passe comme s'ils avaient déjà disparu de la sur­ face de la terre.

De plus, le monde du camp possède ses lois propres, qu'il faut apprendre vite si l'on veut survivre, ce qui explique la référence au vers de L'Enfer de Dante : « lei, l'on nage autrement qu'en ton Serque » (p.

29). 1L'éclipse du langage Que l'homme soit un animal social parce qu'il possède le langage, les philosophes l'ont dit depuis longtemps.

Toute relation proprement humaine est fondée sur la parole.

Or, dans le Lager, la communication s'avère impossible.

En effet, d'une part la diversité des langues est telle que les dé~enus n'arrivent pas à se comprendre et, d'autre part, l'extrême difficulté de la survie fait que personne ne se soucie des autres et n'a envie de les écouter.

Rares sont les conversations rapportées par l'auteur, et elles ne constituent que de brefs répits: ainsi, les conseils de Steinlauf (pp.

41-42), les paroles consolantes que le narrateur adresse à Kraus (pp.

143-144) et, surtout, l'échange avec Jean, le« Pikolo », au chapitre 11.

Le plus souvent, le Lager se présente comme « un pêle-mêle de personnages sans nom ni visage noyés dans un continuel et assourdissant bruit de fond, mais où la parole humaine n'affleure pas1 ».

Ainsi, non seulement chacun est enfermé dans le Lager, mais encore il se retrouve enfermé en lui-même. 1La lutte pour la vie Il est difficile de se représenter les conditions de vie des déportés et leur misère physique : la faim omniprésente (un litre de soupe claire et cent grammes de pain gris par jour), le froid ou la chaleur, le travail exténuant, les coups, la saleté, les poux, la promiscuité dans les dortoirs (deux à trois détenus par couchette), et la menace constante des « sélections ». On aimerait pouvoir se dire qu'il exis- tait au moins une solidarité entre les prisonniers.

Mais c'était là quelque chose d'extrêmement rare.

Lorsque des hommes sont placés dans de telles conditions de vie, ennemi ou un rival » « chacun est à chacun un (p.

45).

Chacun veut le travail le moins pénible, le fond de la marmite de soupe où se trouvent les légumes, davantage de place pour dormir (p.

63).

Et lors des « sélections », chacun 1.

Les Naufragés et les Rescapés, op.

cit., p.

92. PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 63 souhaite qu'un autre soit pris(« liste prendront toi, pas moi», p.

135). La lutte pour la vie est donc féroce, et chaque détenu est désespérément seul. LA VIOLENCE GRATUITE Il peut paraître surprenant de parler de « violence gratuite », comme si une quelconque utilité pouvait justifier la violence. Enfermer des gens dans un espace clos et surpeuplé, les soumettre à la faim, au froid, à la maladie est déjà une violence extrême.

On ne peut en outre concevoir pire violence que celle qui consiste à vouloir faire disparaître des hommes de la surface de la terre.

Cependant, il existe dans les camps un surcroît de violence : la pure volonté de nuire. 1Les humiliations Ce sont d'abord toutes les humiliations que l'on fait subir aux détenus, et qui n'ont apparemment aucune raison d'être : leur raser le crâne, par exemple (ce qui ne les empêche pas d'avoir des poux) ; leur tatouer un numéro sur le bras (ce qui n'existait qu'à Auschwitz et était réservé aux Juifs, alors que le tatouage est interdit par la religion juive) ; les soumettre à de longues heures d'attente, en plein vent, sous la pluie, dans la neige, sous prétexte de faire I'« appel»; les contraindre tous les matins à faire leurs lits - si tant est que l'on puisse appeler lits des paillasses infectes -, ou tout simplement ne pas leur donner de cuillères ..• Pourquoi infliger toutes ces humiliations à des hommes qui devaient de toute façon mourir ? « Pour conditionner ceux qui devaient exécuter matérielle- ment les opérations.

Pour leur rendre possible de faire ce qu'ils faisaient2 », répond l'ex-commandant de Treblinka, Franz Stang!, à la journaliste Gitta Sereny qui l'interrogeait sur la signification d'une telle cruauté. 2.

Jbid., p.

124. 64 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 1Un travail déshumanisant On compare souvent les détenus à des esclaves, et l'auteur luimême emploie le terme à plusieurs reprises.

Il est vrai que les SS tiraient profit de leur travail en les louant à bas prix, et que cette main-d'oeuvre bon marché intéressait de nombreuses entreprises. Cependant, le travail était moins productif que punitif et destructeur. D'une part, celui qui ne pouvait plus travailler devenant superflu, il était « sélectionné » et mis à mort.

D'autre part, tout était fait pour que celui qui travaille voie ses forces s'épuiser en quelques semaines puisque, de nouveaux convois arrivant sans cesse, les détenus étaient remplaçables à tout moment.

C'est la raison pour laquelle ils n'étaient pas vraiment des « esclaves ». En effet l'esclave a une valeur et un prix ; si le maître l'achète, c'est d'abord pour le faire travailler à son profit, la violence n'étant qu'un moyen pour parvenir à cette fin.

Dans les camps au contraire, c'est le travail qui est un moyen de la violence3 • Le plus souvent, il s'agissait de tâches rudimentaires mais épuisantes, accomplies avec des moyens techniques primitifs, dignes de bêtes de somme (transporter des poutrelles au chapitre 4, décharger un cylindre de fonte au chapitre 6).

D'ailleurs le narrateur fait remarquer que « de l'usine de la Buna, sur laquelle les Allemands s'acharnèrent pendant quatre ans et dans laquelle une innombrable quantité d'entre nous souffrirent et moururent, il ne sortit jamais un seul kilo de caoutchouc » (p.

78). LA « FOLIE GÉOMÉTRIQUE » DU CAMP 1La.... »

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