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Le langage dramatique LE DIALOGUE En dépit des apparences, rien n'est plus délicat à analyser qu'un dialogue théâtral. En effet,...

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« Le langage dramatique LE DIALOGUE En dépit des apparences, rien n'est plus délicat à analyser qu'un dialogue théâtral.

En effet, il faut considérer sa situation, ses formes et ses fonctions. 1 La situation de dialogue Ce que se disent deux personnages est aussi important que le contexte dans lequel ils conversent. Qui sont-ils ? En quelle qualité s'expriment-ils : en roi, en maître, en valet, en amoureux, en rebelle...

? Quels rapports hiérarchiques de supériorité, d'égalité ou d'infériorité - les lient ? Qui sait quoi sur l'autre ? Quelle est la cause de leur entrevue ? Ce sont autant de questions qu'il convient de se poser, et auxquelles une lecture atten­ tive du texte permet de répondre. Prenons le cas du Cid.

« Va, je ne hais point » (Ill, 4, v.

963), réplique Chimène à Rodrigue dans une formule célèbre.

Imaginons un instant de transposer ce vers dans la scène d'exposition, au début de la pièce.

Que signifierait-il ? Que Chimène, obéissant à son père, se résout à épouser Rodrigue.

Mais celle-ci prononce ces mots après que son père a été tué par Rodrigue en duel.

Le contexte leur donne une signification et une force particulières. Autre exemple : Le Jeu de l'amour et du hasard, de Marivaux.

Pour mieux connaître la femme qu'il doit épouser, Dorante décide de prendre la place de son valet.

Silvia, de son côté, et pour la même raison, emprunte l'identité de sa servante.

Lorsqu'ils se parlent, chacun est à fa fois sincère et dissimulateur.

Le lecteur ou le spectateur ne doit pas oublier cette étrange situation de communication. La tragédie met en scène des détenteurs de l'autorité.

Mais quand un roi s'exprime, il peut le faire en souverain, en père s'il a un fils, en amoureux s'il est épris, en chef d'une coalition militaire.

Selon le cas, son discours change. Sans analyse de la situation de dialogue, if n'y a pas de compréhension possible du texte théâtral. 1Les formes du dialogue Le dialogue revêt des aspects très variés.

Certains d'entre eux reviennent fréquemment : ce sont fa répartie, fa stichomythie, le polyfogue et même le faux dialogue. La répartie C'est une réplique brève, souvent brillante, qui constitue une riposte à un interlocuteur agressif ou encombrant. Dans le registre tragique, fa répartie peut atteindre au sublime, en concentrant en elle l'intensité dramatique.

Le Vieil Horace s'indigne, par exemple, que l'unique survivant de ses fils fuie devant les Curiaces : « Que voulez-vous qu'il fit contre trois ? », fui rétorquet-on.

Et lui de répondre superbement : « Qu'il mourût ! » (Horace, Ill, 6, V.

1020). Dans le registre comique, fa répartie, quand elle est bien amenée, déclenche le rire, ou amuse par sa vivacité.

Chez Beaumarchais, Figaro n'en est jamais à court.

A preuve cet échange avec le Comte, son maître: FIGARO.

- [ ••• ]Tenez, Monseigneur, n'humilions pas l'ho=e qui nous sert bien, crainte d'en faire un mauvais valet LE COMTE.

- Pourquoi faut-il qu'il y ait toujours du louche en ce que tu fais? FIGARO.

- C'est qu'on en voit partout quand on cherche des torts. (Le Mariage de Figaro, III, 5.) La stichomythie Ce terme technique désigne un échange très rapide - de vers à vers ou d'hémistiche à hémistiche - entre deux personnages. LE TEXTE THÉÂTRAL 139 Dans la tragédie, cette rapidité correspond à la phase aiguë d'un conflit.

Britannicus, dans la pièce éponyme de Racine, reproche à l'empereur Néron de se comporter en tyran.

Néron lui conseille de modérer ses propos.

Au fur et à mesure que le dialogue se tend, apparaît le procédé de la stichomythie : BRITANNICUS.

- Rome met-elle au nombre de vos droits Tout ce qu'a de cruel l'injustice et la force, Les empoisonnements, le rapt et le divorce ? NÉRON.

- Rome ne porte point ses regards curieux Jusque dans des secrets que je cache à ses yeux. Imitez son respect. BRITANNICUS.

- On sait ce qu'elle en pense. NÉRON.

- Elle se tait du moins : imitez son silence. BRITANNICUS.

- Ainsi Néron commence à ne se plus forcer. NÉRON.

- Néron de vos discours commence à se lasser. BRITANNICUS.

- Chacun devait bénir le bonheur de son règne. NÉRON.

- Heureux ou malheureux, il suffit qùon me craigne. BRITANNICUS.

- Je connais mal Junie, ou de tels sentiments Ne mériteront pas ses applaudissements. NÉRON.

- Du moins, si je ne sais le secret de lui plaire, Je sais l'art de punir un rival téméraire. BRITANNICUS.

- Pour moi, quelque péril qui me puisse accabler, Sa seule inimitié peut me faire trembler. NÉRON.

- Souhaitez-la, c'est tout ce que je vous puis dire. BRITANNICUS.

- Le bonheur de lui plaire est le seul où j'aspire. NÉRON.

- Elle vous l'a promis, vous lui plairez toujours. BRITANNICUS.

- Je ne sais pas du moins épier ses discours. Je la laisse expliquer sur tout ce qui me touche, Et ne me cache point pour lui fermer la bouche. NÉRON.

- Je vous entends.

Eh bien, Gardes ! (Britannicus, III, 8, v.

1046-1069.) La stichomythie peut à l'inverse produire un effet comique, quand, par exemple, un personnage en manipule un autre pour l'empêcher de parvenir à ses fins.

Ainsi, chez Molière, Dom Juan est le débiteur de Monsieur Dimanche.

Celui-ci vient lui réclamer l'argent qu'il lui doit.

Dom Juan n'a nullement l'intention de payer ses dettes.

Il le reçoit très aimablement, mais c'est pour mieux l'empêcher de parler et d'aborder la délicate question du remboursement.

D'où cette conversation, construite sur la technique de la stichomythie : 140 LE TEXTE THÉÂTRAL ::.,._ DOM JUAN.

- Comment se porte Madame Dimanche, votre épouse? M.

DIMANCHE.

- Fort bien, Monsieur, Dieu merci. DOM JUAN.

- C'est une brave femme. M.

DIMANCHE.

- Elle est votre servante, Monsieur.

Je venais ... DOM JUAN.

- Et votre petite fille Claudine, comment se porte-telle? M.

DIMANCHE - Le mieux du monde. DOM JUAN.

- La jolie petite fille que c'est ! Je l'aime de tout mon cceur. M.

DIMANCHE - C'est trop d'honneur que vous lui faites, Monsieur.

Je vous ... DOM JUAN.

- Et le petit Colin, fait-il toujours bien du bruit avec son tambour ? M.

DIMANCHE -Toujours de même, Monsieur.

Je ... DOM JUAN.

- Et votre petit chien Brusquet? gronde-t-il toujours aussi fort, et mord-il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous? M.

DIMANCHE - Plus que jamais, Monsieur, et nous ne saurions en chevirl. DoMJUAN.

- Ne vous étonnez pas si je m'informe des nouvelles de toute la famille, car j'y prends beaucoup d'intérêt. M.

DIMANCHE - Nous vous sommes, Monsieur, infiniment obligés.

Je ... DOM JUAN, lui tendant la main.

- Touchez donc là, Monsieur Dimanche.

Êtes-vous bien de mes amis ? M.

DIMANCHE - Monsieur, je suis votre serviteur. DOM JUAN.

- Parbleu ! je suis à vous de tout mon cceur. M.

DIMANCHE - Vous m'honorez trop.

Je ... DOM JUAN.

- Il riy a rien que je ne fisse pour vous. M.

DIMANCHE - Monsieur, vous avez trop de bonté pour moi. DOM JUAN.

- Et cela sans intérêt, je vous prie de le croire. M.

DIMANCHE-Je riai point mérité cette grâce assurément.

Mais, Monsieur... DOM JUAN.

- Oh ! çà, Monsieur Dimanche, sans façon, voulezvous souper avec moi ? M.

DIMANCHE - Non, Monsieur, il faut que je m'en retourne tout à l'heure.

Je ... DOM JUAN, se levant.

- Allons, vite un flambeau pour conduire M.

Dimanche et que quatre ou cinq de mes gens prennent des mousquetons pour l'escorter. (Dom juan, N, 3.) 1.

Chevir : venir à bout de, être maître de. LE TEXTE TH~ÂTRAL 141 Le polylogue C'est un dialogue à plusieurs voix (au moins trois).

Les chœurs de la tragédie grecque ou ceux d'Esther et d'Athalie, de Racine, sont des polylogues qui s'épanouissent en un véritable lyrisme.

Le chœur d'Esther déplore ainsi les malheurs d'Israël : UNE lSRAÉIJTE, seule. Pleurons et gémissons, mes fidèles compagnes. À nos sanglots donnons un libre cours. Levons les yeux vers les saintes montagnes D'où l'innocence attend tout son secours. Ô mortelles alarmes ! Tout Israël périt.

Pleurez, mes tristes yeux. Il ne fut jamais sous les cieux Un si juste sujet de larmes. TOUT LE CHŒUR Ô mortelles alarmes ! UNE AUTRE ISRAÉLlTE N'était-ce pas assez qu'un vainqueur odieux De l'auguste Sion, eût détruit tous les charmes, Et traîné ses enfants captifs en mille lieux ? TOUT LE CHŒUR Ô mortelles alarmes ! LA M!ME ISRAÉLlTE Faibles agneaux livrés à des loups furieux, Nos soupirs sont nos seules armes. TOUT LE CHŒUR Ô mortelles alarmes ! UNE DES ISRAÉIJTES Arrachons, déchirons tous ces vains ornements Qui parent notre tête. (Esther, I, 5.) Le polylogue peut aussi créer un effet de cacophonie.

Dans Rhinocéros, de Ionesco, quatre personnages conversent deux à deux : d'une part Jean et Bérenger, d'autre part le Vieux Monsieur et le Logicien.

Leurs répliques s'entrecroisent pour créer un effet cocasse : JEAN.

- Voilà ce qu'il faut faire : vous vous habillez correctement, vous vous rasez tous les jours, vous mettez une chemise propre. BÉRENGER, à jean.

- C'est cher, le blanchissage••• JEAN, à Bérenger.

- Économisez sur l'alcool.

Ceci, pour l'extérieur: 142 LE TEXTE THUTRAL chapeau, cravate comme celle-ci, costume élégant, chaussures bien cirées.

(En parlant des éléments vestimentaires, Jean montre, avec fatuité, son propre chapeau, sa propre cravate, ses propres souliers.) LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.

- Il y a plusieurs solutions possibles. LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

- Dites. BÉRENGER, à jean.

- Ensuite, que faire? Dites ... LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

- Je vous écoute. BÉRENGER, à jean.

- Je vous écoute. JEAN, à Bérenger.

- Vous êtes timide, mais vous avez des dons! BÉRENGER, à jean.

- Moi,j'ai des dons? JEAN.

- Mettez-les en valeur.

Il faut être dans le coup.

Soyez au courant des événements littéraires et culturels de notre époque. LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.

- Une première possibilité : un chat peut avoir quatre pattes, l'autre deux. BÉRENGER, à jean.

- J'ai si peu de temps libre. LE LOGICIEN.

- Vous avez des dons, il suffi.sait de les mettre en valeur. JEAN.

- Le peu de temps libre que vous avez, mettez-le donc à profit.

Ne vous laissez pas aller à la dérive. LE VIEUX MONSIEUR.

- Je n'ai guère eu le temps.

J'ai été fonctionnaire. LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

- On trouve toujours le temps de s'instruire. JEAN, à Bérenger.

- On a toujours le temps. BÉRENGER, à.... »

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