LE LANGAGE Notre pensée est-elle prisonnière de la langue que nous parlons ? COUP DE POUCE ■ Analyse du sujet...
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LE LANGAGE
Notre pensée est-elle prisonnière de la langue
que nous parlons ?
COUP DE POUCE
■ Analyse du sujet
- Question relativement classique, mais qui demande que l'on établisse
d'abord que la pensée est formée par la langue : ce n'est qu'à partir de
cette formation que peut se poser le problème de son emprisonnement.
- On peut emprunter des données à la linguistique, mais on n'oubliera
pas qu'il s'agit d'une question philosophique : sur quels auteurs pouvez
vous prendre appui ?
- Quelles pourraient être les conséquences d'une réponse positive ?
■ Pièges à éviter
- Pas de récitation d'un cours général sur le langage, dont la plus
grande partie serait hors sujet.
- Pas de développement interminable sur les relations entre la pensée
et le langage (question de l'antériorité de l'un par rapport à l'autre: sélec
tionnez soigneusement vos connaissances à ce propos).
- Inutile de dériver vers des considérations sociologiques sur les
niveaux de langue, les argots, le langage des banlieues comme reflet ou
facteur d'exclusion: il s'agit ici de la pensée.
CORRIGÉ
[Introduction]
Les traducteurs savent par expérience qu'il est parfois très difficile de
transposer un terme ou une expression d'une langue dans une autre.
Il
arrive - même en philosophie - que l'on s'habitue tant bien que mal à
conserver dans une langue un mot d'origine étrangère : ainsi les philo-
sophes anglais du XVII" siècle usent-ils du verbe latin esse, et dans les
textes contemporains, des mots grecs ou allemands (hubris, alêthéia,
Dasein) peuvent être maintenus tels quels (à condition qu'on signale mal
gré tout en note une équivalence, la moins approximative possible).
Cela
signifie-t-il que chaque langue énonce, grâce à ses caractères propres - de
morphologie ou de syntaxe - des éléments qui ne sont pas directement
pensables dans une autre? Si tel est le cas, la nostalgie à l'égard d'une
langue prébabélienne serait largement justifiée.
Mais sommes-nous vrai
ment, pour ce qui est de notre pensée, prisonniers de notre langue? Ou
n'est-ce pas plutôt la manière dont nous l'utilisons qui nous donne l'im
pression d'une limitation de notre pensée?
[I.
La langue formatrice]
Il arrive à tout locuteur de« ne pas trouver ses mots» pour exprimer ce
qu'il a l'impression de vouloir dire.
Situation apparemment plus grave
que celle où un mot « nous échappe», où on l'avait « sur le bout de la
langue» et où l'on devient incapable de le retrouver.
Dans le second cas,
nous ne pensons pas à accuser notre langue de pauvreté : nous savons que
le mot existe.
Dans le premier, c'est implicitement notre langue qui se
trouve accusée de ne pas nous fournir ce qui conviendrait à notre expres
sion.
Nous pouvons alors en venir à nous sentir prisonniers, dans ce que
nous pouvons penser (au sens très large, et sans qu'il s'agisse de haute
théorie), d'un« instrument» finalement défectueux.
Avant de savoir si nous en sommes prisonniers, il importe d'établir que
la langue nous apporte des possibilités de penser.
C'est d'abord parce
qu'elle nous propose, par le vocabulaire, un certain découpage du monde
qui nous entoure.
Nous ne repérons clairement que ce que nous savons
nommer.
Le botaniste en promenade dans une forêt ne perçoit pas la
même réalité que celui qui se contente de voir « des arbres», « des
fleurs»,« des fourrés», parce qu'il ne peut en énumérer les espèces.
En conséquence, on doit commencer par admettre que la possibilité de
penser (le réel, l'expérience quotidienne) ne nous advient qu'avec notre
langue.
Pour l'enfant qui commence à peine à construire son vocabulaire
et ne dispose que de quelques mots, les expériences possibles et la façon
dont il les distingue sont également pauvres : il ne« pense» que par caté
gories globales - celles qu'instaurent ses quelques mots.
Ce n'est donc
que lorsque s'enrichissent à la fois le vocabulaire et les structures gram
maticales que la pensée s'enrichit parallèlement, c'est-à-dire que de plus
en plus de choses, d'expériences, d'aspects du réel, sont pensables et peu
vent être organisés mentalement (d'où la pauvreté de la pensée des per
sonnes dont le vocabulaire est restreint).
C'est bien pourquoi Hegel critiquait déjà toute référence à un indicible,
si l'on entend par ce terme la présence d'une pensée potentielle ne trou
vant pas à se formuler dans une langue � l'impression d'indicible
témoigne en fait d'une non-pensée, parce que la pensée véritable ne se
constitue que dans et avec la langue, dans son extériorisation qui établit le
contact avec l'autre, et la possibilité de la discussion.
[Il.
La prison du collectif]
Cela admis, il semble néanmoins possible de considérer que la langue
est bien une prison de la pensée.
Ce qui reviendrait à considérer que la
possibilité qu'elle nous donne d'accéder à la pensée est étroitement limi
tée parce que toute langue représente aussi un ensemble de contraintes
qui, si elles sont justifiées par les besoins de la communication, n'en res
tent pas moins synonymes de limitation imposée au pensable.
C'est en soulignant que la langue est par définition de nature collective
que, bien que partant de postulats philosophiques très différents,
Nietzsche et Bergson constatent que la pensée peut en quelque sorte s'y
trouver très à l'étroit.
Puisque les mots collectifs ne peuvent être utilisés
qu'en se fondant sur leur sens«moyen» - qui renvoie à des expériences
faites par tous et donc banales -, Nietzsche considère que la langue telle
qu'elle est donnée est incapable de mettre en circulation une pensée
authentiquement singulière.
La contradiction paraît en effet complète
entre les besoins de la compréhension collective et ceux de l'expression
d'une unicité.
Pour sa part, Bergson considère que les mots de la langue ne sont que
des«étiquettes» qui signalent ce qui, du réel, est l'objet de découpages
renvoyant à des pratiques utilitaires (ou scientifiques, ce qui n'arrange pas
la situation puisqu'ils sont alors, par définition, trop éloignés de l'élan
vital) qui négligent....
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