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Le lecteur pris à parti : Shemà ! Un poème, écrit par l'auteur le 10 janvier 1946, a été placé...

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« Le lecteur pris à parti : Shemà ! Un poème, écrit par l'auteur le 10 janvier 1946, a été placé en tête du livre, comme une épigraphe1• À cette époque, en effet, Primo Levi composait, en même temps que la première version de Si c'est un homme, des « poésies brèves et pleines de sang2 ».

Parmi les qua­ torze poèmes écrits au cours du seul mois de janvier 1946, se trouve « Si c'est un homme», intitulé également« Shemà», qui a donné son titre au livre.

Ce poème, qui puise son inspiration dans la Bible, nous indique les intentions essentielles de l'auteur dans le récit qui va suivre. Le récit de Primo Levi contient plusieurs allusions à l'Ancien Testament, texte fondamental de la religion juive.

Même si l'auteur L'INSPIRATION BIBLIQUE n'est pas croyant et encore moins pratiquant, dans Si c'est un homme la Bible apparaît bien comme un texte de référence. 1Les références bibliques dans le récit Babel La« tour du Carbure» qui s'élève au centre du camp de Monowitz, est comparée à la tour de Babel (p.

78).

Cet épisode de la Genèse raconte comment les hommes, qui à cette époque parlaient tous la même langue, voulurent bâtir une tour dont le sommet aurait touché le ciel, et comment Dieu, pour les punir de leur orgueil, brouilla leur 1.

Une épigraphe est une citation qu'un auteur met en tête d'un livre ou d'un chapitre pour en indiquer l'esprit. 2.

Primo Levi, Le Système périodique, op.

cit., p.182. langue commune et les dispersa sur toute la surface de la terre3• L'image de Babel évoque ici la diversité des langues qui rend la communication impossible, et l'impitoyable lutte pour la vie qui règne dans le Lager.

Elle symbolise aussi l'ambition insensée des nazis, qui se sont pris pour des dieux. L'Exode Déjà athée avant sa déportation, Primo Levi verra dans l'expérience d'Auschwitz la preuve définitive de la non-existence de Dieu. Un Dieu qui aurait permis qu'existe une telle atrocité ne pourrait être qu'un Dieu mauvais.

Néanmoins, on sait que Primo Levi, lors de son arrestation comme résistant, revendiqua son identité juive.

S'il évitait ainsi d'être fusillé sur le champ, se déclarer Juif fut aussi un sursaut d'orgueil : il s'agissait de montrer que les Juifs étaient capables de se battre. La déportation est pour lui une nouvelle manière de vivre son appartenance au judàisme : ainsi, lorsque, le soir précédant le départ du train, il sent descendre en lui " l'antique douleur du peuple qui n'a pas de patrie, la douleur sans espoir de l'exode que chaque sÎècle renouvelle » (p.

14).

L'Exode, deuxième partie du Pentateuque4, raconte la longue errance des Hébreux entre la sortie d'Égypte et l'arrivée dans la Terre promise.

De son histoire et de celle de ses compagnons, Primo Levi dit : " Elles sont simples et incompréhensibles comme les histoires de la Bible.

Mais ne sont-elles pas à leur tour les histoires d'une nouvelle Bible ? » (p.

70).

Auschwitz est vécu comme un nouvel exode du peuple juif, mais sans promesse de salut. Le titre du poème " Shemà », titre initial du poème, signifie en hébreu « Écoute ! ». C'est le premier mot de de la profession de foi que les Juifs pratiquants récitent chaque jour : " Écoute, Israël (Shemà Israël !), le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un ». Le début du Shemà cor- respond aux versets 4 à 9 du Deutéronome5, lorsque Moïse, après 3.

La Bible, Genèse, 11, traduction œcuménique, Le Livre de poche, pp.

15-16. 4.

Ibid., pp.

82-148. 5.

Ibid., p.

276. PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 57 avoir énoncé les Dix Commandements que Dieu a donnés aux hommes, s'adresse aux Hébreux.

Il leur ordonne de ne jamais les oublier, de les graver dans leur cœur, de les transmettre à leurs fils et de les répéter constamment.

Dans son poème, Primo Levi s'adresse solennellement au lecteur en lui faisant deux injonctions : « Considérez si c'est un homme », et « N'oubliez pas que cela fut ». LA STRUCTURE DU POÈME 1« Considérez ! » Le poème se compose de trois strophes.

Les deux premières (vers 1 à 4 et vers 5 à 10) opposent terme à terme l'existence tranquille des « hommes normaux » et celle des déportés.

Le contraste est radical : repos, sécurité, chaleur de la maison, nourriture et amitié pour les premiers ; épuisement, menace de mort, froid, faim et solitude pour les seconds.

L'expression « comme une grenouille en hiver », employée pour qualifier la femme, symbolise le dénuement total et souligne le risque de sombrer dans l'animalité.

Il faut que le lecteur prenne conscience de sa condition de privilégié, alors que Si c'est un homme lui demande de se mettre à la place de ceux qui ont connu une misère extrême.

Le premier verset de la prière juive, qui affirmait l'existence d'un Dieu Un, est remplacé par une question concernant l'espèce humaine (l'homme et la femme).

Ceux-ci sont évidemment les prisonniers d'Auschwitz, et l'auteur demande à son lecteur de juger : les déportés sont-ils encore des êtres humains ? Il n'y a plus de Dieu pour assurer la justice suprême lors du Jugement dernier. Seul l'homme Oci le lecteur) peut porter un jugement sur l'humanité. L'auteur veut l'aider, par son témoignage, à le faire en toute connaissance de cause. I « N'oubliez pas ! » La dernière strophe du poème cite les termes mêmes du texte biblique : « Les paroles des commandements que je te donne aujourd'hui, dit Moïse, seront présentes à ton cœur ; tu les répéteras à tes 58 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES fils ; tu les diras quand tu resteras chez toi et quand tu marcheras sur la.... »

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