LE LIBERTINAGE AMOUREUX : DON JUAN FACE AUX FEMMES L'attitude du héros face aux femmes relève de ce qu'il convient...
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LE LIBERTINAGE AMOUREUX :
DON JUAN FACE AUX FEMMES
L'attitude du héros face aux femmes relève de ce
qu'il convient d'appeler le libertinage du cœur.
L'analyse des principes qui règlent sa conduite met en
évidence l'ambiguïté des sentiments de Don Juan à
l'égard des femmes, sentiments qui hésitent entre
l'amour et le mépris.
■ Les principes d'un libertin
Précisément, en amour, ce héros n'a aucun principe.
Le libertinage du cœur consiste pour lui à mettre son
cœur en liberté, au gré des impulsions, des sens ou des
passions.
Le principe de plaisir
Les seuls principes qui règlent sa conduite sont des
principes de nature et non pas de morale, c'est-à-dire
que Don Juan obéit absolument à ses désirs, à ses
envies, à ses instincts.
Le principe de plaisir, pour
reprendre un terme de la psychanalyse, est chez lui souverain, et le pousse à mépriser par conséquent les lois
de la morale, ce qui fait de lui, comme le déclare
Sganarelle à Gusman dès la première scène, « un pourceau d'Epicure » :
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« Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse : crois qu'il
aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait
encore épousé toi, son chien et son chat.
Un mariage
ne lui coùte rien à contracter »
En termes hyperboliques certes, le valet entend
montrer la démesure des passions de son maître.
Et de
fait, dès la scène suivante, Don Juan vient confirmer les
dires de Sganarelle :
« Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes
désirs; je me sens un cœur à aimer toute la terre; et
comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres
mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.
»
Ce discours extravagant, placé sous le signe de
Fhybris, c'est-à-dire de la démesure si fréquente chez les
héros passionnés des tragédies grecques, prouve assez
que le désir est chez Don Juan un instinct insatiable.
C'est une force incontrôlable qu'il subit peut-être plus
qu'il ne la conduit, et dont il serait l'esclave bien plus
que le maître.
Au demeurant, pour Don Juan, elle vient
de la nature même, et ne peut donc être mauvaise.
C'est pourquoi il n'a aucun mal à justifier sa philosophie
hédoniste face à Sganarelle, très embarrassé.
Il convient de noter cependant que chez Don Juan,
la poursuite des plaisirs est chose raisonnée.
Certes, il
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obéit à ses passions, mais ce faisant, il disserte à ce propos, car le goût des plaisirs s'accommode fort bien de
la réflexion.
Loin d'être une brute épaisse, ce héros est
un jouisseur philosophe, qui sait allier la théorie à la
pratique libertine.
Le principe d'inconstance
De l'inconstance comme vertu amoureuse, Don
Juan prononce un éloge éloquent, conséquence
logique du principe de plaisir qui guide ses déportements:
« Quoi? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier
objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour
lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne? La belle
chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être
fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et
d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés
qui nous peuvent frapper les yeux? Non, non : la
constance n'est bonne que pour les ridicules».
Cet extrait de la tirade, qui permet de compléter
l'exposition du personnage, s'achève sur un alexandrin
hypermètre (puisqu'il comporte treize syllabes et non
pas douze) qui prend la forme d'une maxime provocante : « la constance n'est bonne que pour les ridicules ».
Don Juan réussit ici, par un surprenant
retournement de valeurs, à tourner littéralement en
ridicule ce qui d'ordinaire passe pour.vertu, à savoir la
fidélité.
En jouant sur ces idées de liberté, de mouvement, d'exaltation, il parvient presque à se justifier en
effet, car tout cela, même si Don Juan y croit vraiment,
demeure un jeu, bien sûr.
Ce qu'il recherche, c'est le
plaisir du divertissement, tel que l'analyse Pascal : ce
héros aime mieux conquérir que posséder, c'est la
chasse qui l'intéresse et non la proie, il aime moins les
femmes, sans doute que l'amour des femmes.
Il révèle
en cela l'« insoutenable légèreté de l'être », pour
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reprendre le titre du roman de Milan Kundera, inquiet
de son néant, et désireux de fuir l'horrible et vaine
contemplation de soi dans la frivole et non moins vaine
conquête de l'autre.
Don Juan, champion de l'inconstance dont il se fait
le chantre, ne manque pas de mettre en pratique ses
théories sur la question.
Le libertinage qu'il pratique
apparaît dès l'acte I, puisque le héros, ayant à peine
délaissé Done Elvire, songe déjà à quelque autre objet,
dont le désir le presse, au risque de braver la tempête
qui, entre les deux premiers actes, renverse sa barque et
ses prétentions.
A peine remis de ses émotions, « Don
Juan, apercevant Charlotte» à la scène II, 2, sans changer de discours, change d'objet, et commence aussitôt
à séduire Charlotte, alors qu'il vient de s'engager
auprès de Mathurine, qui survient à propos pour le lui
rappeler.
La pratique libertine suppose une technique éprouvée pour s'emparer des cceurs, puis du reste.
Or, Don
Juan est bien rompu à ces méthodes: il sait accabler les
femmes qu'il convoite sous les compliments les plus
nombreux, il feint la passion la plus soudaine, et peutêtre la plus sincère en effet.
Au besoin même, il promet
le mariage, et s'y soumet s'il le faut vraiment car,
comme le dit Sganarelle aux paysannes à la scène IV, 2 :
« c'est l'épouseur du genre humain».
Ce beau parleur
sait aussi bien user de violence.
Il peut à l'occasion
souffleter à l'envi un rival malheureux (c'est le pauvre
Pierrot), réunir quelques gens pour enlever une belle
(I, 2 ), « forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré d'un
couvent», (comme le dit Gusman à la première scène),
et sans doute même, tuer un Commandeur qui se mettrait sur son chemin ...
C'est dire finalement que Don Juan, dans son désir
éternel de changement, sait user à la fois, pour conqué70 DoM]UAN
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rir femme nouvelle, de la douceur fallacieuse de la
parole et des ressources brutales de la violence.
Comédien de génie et soldat éprouvé, il fait jouer tour
à tour le charme de ses grâces et la force des armes,
pour séduire à tout prix.
■
L'amour des femmes
Bien sûr, et c'est l'image qu'a forgée la légende, un
Don Juan est un homme passionnément amoureux des
femmes, et qui les séduit à tour de bras.
L'amour sensuel
C'est là un trait caractéristique du personnage, toujours attentif aux grâces du corps féminin.
Apercevant
Charlotte à la scène II, 2, il l'envisage sous toutes les
coutures, et la dévore du regard :
« peut-on rien voir de plus agréable? Tournez-vous un
peu, s'il vous plaît.
Ah! que cette taille est jolie! Haussez
un peu la tête, de grâce.
Ah! que ce visage est mignon!
Ouvrez vos yeux entièrement.
Ah! qu'ils sont beaux!
Que je voie un peu vos dents, je vous prie.
Ah! qu'elles
sont amoureuses, et ces lèvres appétissantes! Pour moi, je
suis ravi, et je n'ai jamais vu une si charmante personne.
»
Les exclamations répétées du héros ont à la fois pour
but d'exprimer son émotion, et surtout de faire naître
chez la jeune fille une émotion corrélative, qui flatte son
amour propre, et puisse la disposer favorablement.
Toutefois, l'attention que Don Juan accorde au corps
de Charlotte, de façon presque obscène, en demandant
à la jeune fille de se tourner, de hausser la tête et d'entrouvrir la bouche, signale sa concupiscence.
Cet amour sensuel ne veut pas dire, loin s'en faut,
que Don Juan, n'écoutant que l'appel des sens, soit
insensible aux sentiments.
Ses paroles à la scène I, 2 en
témoignent : il explique en effet dans quelles circonsTHÈMES
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tances il a rencontré cette jeune fiancée qui a remplacé
Done Elvire dans son cœur :
« Jamais je n'ai vu deux personnes être si contents l'un
de l'autre, et faire éclater plus d'amour.
La tendresse
visible de leur mutuelle ardeur me donna de l'émotion;
j'en fos frappé au cœur et mon amour commença par la
jalousie.»
Apparemment, Don Juan ressent ici les symptômes
de l'amour véritable.
Le réseau sémantique de l'affectivité est par lui déployé: il ne parle que de« tendresse»,
d'« émotion», de« cœur », d'« amour» et même de
«jalousie».
Il n'y a pas lieu, en l'occurrence, de mettre
en doute la sincérité de Don Juan puisqu'il s'adresse à
son valet, et il faut bien imaginer, pour comprendre ce
personnage complexe, qu'un homme puisse tout à la
fois être sincèrement amoureux et foncièrement libre
en sa passion.
La comédie d'amour qu'il met en scène
est un jeu sensuel auquel Don Juan se donne pleinement.
La chose est difficile à croire, peut-être, mais
Don Juan est sincèrement amoureux des femmes dont
il se joue, et il n'est pas la moindre des victimes, sans
doute, du manège des passions qu'il organise.
Il n'est
que trop aisé de condamner d'abord le personnage sans
se donner jamais les moyens de le comprendre.
Sincère,
quoique joueur en ses amours, Don Juan est un
homme prisonnier du vertige euphorique de sa sensualité libérée.
L'amour spirituel?
Il serait sans doute excessif de parler d'amour spirituel à propos de Don Juan, et l'on ne peut à ce point
cultiver le paradoxe.
Toutefois, il convient de noter que
Don Juan ne cherche pas simplement à satisfaire bassement ses appétits sexuels.
Il donne à son désir une tout
autre ambition : il met en avant....
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