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LE LIBERTINAGE RELIGIEUX : DON JUAN FACE À DIEU C'est sans doute lorsqu'il met en cause l'existence de Dieu que...

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« LE LIBERTINAGE RELIGIEUX : DON JUAN FACE À DIEU C'est sans doute lorsqu'il met en cause l'existence de Dieu que le libertinage est le plus radical, car ce n'est plus seulement une affaire de cœur ou d'esprit, c'est le salut de l'âme qui est en jeu.

Or, dans son ambi­ guïté foncière, Don Juan semble être en quête de ce Dieu que bien sûr il refuse. ■ Le refus de Dieu Un athée? De prime abord, Don Juan semble un athée véri­ table.

C'est ainsi en tout cas que le dépeint Sganarelle dès la première scène d'exposition : « un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer».

Cet athéisme est du reste conforme à la pen­ sée libertine qui, d'ordinaire, se fonde sur le matéria­ lisme pour nier l'existence de Dieu. Dans le corps de la pièce, quelques déclarations du héros semblent confirmer cet athéisme.

Au tout début de l'acte III, il déclare : « Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.

» Voilà une profession de foi rationaliste, qui ne manqua pas de choquer une partie du public dévot de l'époque.

De temps à autre, il prononce quelque parole qui se rattache bien à son attitude intellectuelle.

Il ne craint nullement, contrairement à Sganarelle sans doute, ce Commandeur qu'il tua six mois auparavant : « Et pourquoi craindre? Ne l'ai-je pas bien tué? », ditil fièrement à la scène II, 1, puisqu'il ne croit pas à l'existence d'un au-delà vengeur.

Quand la statue se meut à la fin de l'acte III, il refuse d'y croire et dit à son valet : « Viens, maraud, viens, je te veux bien faire toucher du doigt ta poltronnerie.

» Et malgré tout, il cherche encore à la scène suivante quelque explication rationnelle qui puisse rendre compte de sa vision, simple illusion ou hallucination ; car s'il est un athée véritable, il se doit d'exclure l'hypothèse du miracle : « c'est une bagatelle, et nous pouvons avoir été trompés par un faux-jour, ou surpris de quelque vapeur qui nous ait troublé la vue.

» Lorsque le spectre se présente à l'avant-dernière scène de la pièce, Don Juan veut vérifier par une expérience concrète et physique, à la lame de son épée, la nature corporelle ou spirituelle de cette apparition.

En toutes choses, Don Juan, rationaliste et empirique à la fois, ne croit que ce qu'il voit. Bien entendu, l'athéisme présumé de Don Juan est mis en relief par la crédulité outrancière et même ridicule de Sganarelle.

Pour celui-ci, rien de plus vrai que le Moine Bourru (III, 1) ; il croit aussi au loup-garou (I, 1 ), en l'émétique, au diable et au bon Dieu.

De la sorte, ses plus dignes croyances sont mises au niveau des superstitions les plus sottes.

Car chacun des deux personnages de cette paire est excessif, et sert de repoussoir à l'autre.

Mais l'athéisme en ce siècle semble un vice plus grave que la crédulité. THÈMES 89 Un impie Plutôt qu'un athée, Don Juan est avant tout un impie.

Il s'agit moins pour lui, en général, de nier la majesté divine que de l'offenser, ce qui bien sûr est déjà beaucoup.

Toutefois, ce sont là deux attitudes bien différentes. Cette âme libertine met un point d'honneur à heurter les croyances de ses contemporains, et c'est le libertinage religieux, plus encore que le libertinage social, moral ou amoureux, qui est en cause dans la pièce. Don Juan n'est pas seulement un don juan.

Qui croirait que le Ciel voulût user de tant de spectres, de statues et de miracles pour le châtiment d'un simple mari volage? Non, la comédie prend tout son sens à partir du personnage éponyme Don Juan, c'est-à-dire le personnage qui donne son nom à la pièce, qui est un être s'opposant à la fois aux hommes et à Dieu. Ce qui est impie, par dessus tout, c'est le jeu auquel Don Juan livre la religion.

Pour lui, comparable en cela à la médecine, elle n'est que pure grimace : « quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d'yeux », dit-il à la scène V, 2, et voilà l'affaire faite.

Face à son père, Don Juan joue donc son rôle : il ne parle que de « Ciel», d'« âme », de « grâces » et de « crimes », de « justice », ou encore de « scandale » et de « rémission », autant de termes qui appartiennent au registre de la religion.

Or, Don Juan est un comédien-né.

Il sait jouer la comédie d'amour; il sait démasquer les médecins ; il va donc se lancer dans cette autre comédie qu'est la piété religieuse qu'il simulera en impie véritable.

Pour lui, le monde entier se réduit à cette vaste comédie sociale ; il fàut par conséquent y prendre sa place.

Ainsi s'achève cyniquement sa tirade de la scène V, 2 : 90 DOM]UAN « C'est ainsi qu'il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siècle.

» Cette leçon, Don Juan la met encore en pratique à la scène suivante, lorsque survient Don Carlos, qui lui enjoint de rendre à Done Elvire sa dignité d'épouse. Une fois de plus, le héros répond en faisant l'hypocrite, et le mot apparaît une seconde fois dans la didascalie, ce qui invite à lire le Dom Juan dans l'esprit de Tartuffe, dont le sous-titre était justement l'hypocrite : « Hélas! je voudrais bien, de tout mon cœur, vous donner la satisfaction que vous souhaitez; mais le Ciel s'y oppose directement : il a inspiré à mon âme le dessein de changer de vie, et je n'ai point d'autres pensées maintenant que de quitter entièrement tous les attachements du monde, de me dépouiller au plus tôt de toutes sortes de vanités, et de corriger désormais par une austère conduite tous les dérèglements criminels où m'a porté le feu d'une aveugle jeunesse.

» Par ces paroles feintes, Don Juan entend se débarrasser de Don Carlos, et d'Elvire par la même occasion. Il simule une soudaine conversion, comme si quelque grâce efficace l'avait touché.

Il se prétend « directement » en contact avec le Ciel qu'il a consulté, qui lui a répondu, et auquel enfin il doit se soumettre.

Il faut imaginer aussi, avec tous ces vains mots, tous les jeux de scène probables : les « roulements d'yeux », les « baissement de tête » et « soupir mortifié », dont il a expliqué le secret à la scène précédente.

Évidemment, cela ne peut longtemps abuser Don Carlos qui ne se laisse pas éblouir par de fausses raisons et refuse de se « payer d'un semblable discours» (voilà, avec ce verbe «payer», une nouvelle occurrence de la problématique de l'échange et de la dette).

« Il suffit, Don Juan, je vous entends », répond-il à la fin.

Cette comédie, ou plutôt cette mauvaise farce, ne peut constamment THÈMES 91 fonctionner; elle permet tout au plus de gagner du temps, ce qui n'est déjà pas si mal. En réalité, ce n'est pas à l'acte V que Don Juan s'essaie à cette technique hypocrite qui consiste à se servir de la religion comme d'un manteau.

En effet, il avait déjà servi à Done Elvire ce plat qu'il ressert à l'acte V au frère de celle-ci.

À la scène I, 3 en effet, comme Elvire somme Don Juan d'expliquer les raisons de sa fuite, l'hypocrite, se prétendant sincère, affirme : « Il m'est venu des scrupules, madame, et j'ai ouvert les yeux de l'âme sur ce que je faisais.

J'ai fait réflexion que, pour vous épouser, je vous ai dérobée à la clôture d'un couvent, que vous avez rompu des vœux qui vous engageaient autre part, et que le Ciel est fort jaloux de ces sortes de choses.

Le repentir m'a pris, et j'ai craint le courroux céleste.

» Telle est l'argumentation du héros.

Ce scrupule, légitime, mais bien tardif, et peu croyable chez un homme aussi impie, cette soudaine conscience religieuse sont du même acabit que la prétendue conversion de l'acte V.

Don Juan, l'homme qui rompt toujours ses engagements et n'honore pas ses dettes, serait-il désormais si délicat à l'égard des engagements d'autrui, puisqu'Elvire, apparemment, se vouait aux ordres? Évidemment, non.

Ce n'est que pure grimace et pure comédie.

Et la sœur saura bien comme le frère démasquer l'imposture.

Mais de fait, n'est-ce pas la plus grande impiété qui soit, que d'utiliser un faux masque de piété pour mieux tromper le monde, et d'en faire, qui plus est, cyniquement, un acte de sagesse? ■ La recherche de Dieu? De nombreux commentateurs, contestant cette lecture qui ferait de 'Don Juan un athée, ou du moins un impie, ont fait observer ce fait en soi assez juste 92 DoMJUAN puisque Don Juan s'oppose constamment à Dieu, c'est donc qu'il croit en quelque façon à l'existence de ce Dieu qu'il refuse.

On ne peut refuser que ce qui existe, que ce qui est déjà donné.

Par conséquent, Don Juan pourrait être, sinon un croyant, du moins un homme à la recherche de Dieu, un homme qui, à travers ce défi permanent, est en quête du sublime. Le défi pennanent Il est clair que l'attitude de Don Juan relève de la provocation perpétuelle : sa vie est un défi permanent lancé à la face de Dieu.

Et la pièce semble une escalade dans le blasphème, qui obligera Dieu à se dévoiler in extremis, dans la fulgurance de son châtiment. Manifestement, Don Juan n'est pas indifférent à Dieu.

Pour peu que Sganarelle, dans ses remontrances, fasse référence au châtiment divin, il s'emporte comme il le fait à la scène I, 2 ou encore à la scène IV, 1.

S'il était seulement athée ou impie, il ne s'en soucierait pas au point de s'irriter.

Évidemment, la menace du Ciel devrait l'inciter à mettre un terme à sa vie libertine, mais elle s'oppose au principe de plaisir qui guide sa conduite.

TI veut bien s'amender un jour, mais pas tout de suite, après « encore vingt ou trente ans de cette vieci », comme il le.... »

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