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LE MAHÂYÂNA OU GRAND VÉHICULE Le Mahâyâna propose une nouvelle interprétation des quatre vérités mystiques 1 « Le Buddha a...

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« LE MAHÂYÂNA OU GRAND VÉHICULE Le Mahâyâna propose une nouvelle interprétation des quatre vérités mystiques 1 « Le Buddha a dit: "Tous les phénomènes de l'exis­ tence sont douleur", mais ces phénomènes n'existent pas.

Il a dit: "L'origine de la douleur est le désir", , mais la douleur ne naît pas.

Il a dit : "Il y a une des­ truction _de ,la douleur : le nirvâna ", mais la douleur ne naissant pas, le nirvâna est acquis en droit, et le samsâra, la transmigration douloureuse, se confond avec lui.

Il a dit enfin "L 'Octuple Chemin conduit à la destruction de la douleur", mais la douleur n'étant pas à détruire, le chemin de sa destruction est déjà parcouru.

» 2 Peut-on imaginer un bouddhisme plus paradoxal que celui du Mahâyâna par rapport aux thèmes fonda­ mentaux du bouddhisme originel? Avec le Mahâyâna tout se passe comme si les véri­ tés enseignées par Bouddha, prises au pied de la lettre, devenaient des vérités «conventionnelles», à prendre quasiment au rebours de ce qu'elles énoncent, puisque en définitive il n'y a ni douleur ni destruction de celle­ ci et que samsâra et nirvâna, même s'ils ne sont pas 1.

C'est par mystique que L.

Silburn traduit l'adjectif ârya (dont le sens premier est aryen ou noble) que la plupart des traduc­ tions rendent par «noble» oil «sainte».

(Âryasatyâni : les quatre «nobles» (ou «saintes») vérités.) 2.

Cité, d'après le Mahâprajnâpâramitâshâstra (Traüé de la perfection de la grande sagesse), in L.

Silbum, Aux sources du Bouddhisme,© Librairie Arthème, Fayard, 1997, pp.

91-92. «identiques», comme nous le verrons, ne sont pas au fond différents. Mais si donc il n'y a pas à sortir du karma-samsâra, à s'éjecter progressivement de la production condi­ tionnée (pratftyasamutpâda) et qu'il n'y a pas de voie qui mène du samsâra au nirvâna puisque les deux se confondent, ni donc de chemin à parcourir, que peut bien enseigner le Mahâyâna? Il semble bien que poursuivant l'effort de vérité, amorcé par le bouddhisme du petit Véhicule, le Mahâyâna porte celui-ci, dans plusieurs directions, à sa pointe ultime et souvent paradoxale à nos yeux. Il affinera et complétera la figure du bodhisattva comme «sauveur universel», celle de la nature de bouddha qu'au fond chacun est et possède, il estom­ pera la différence trop rigoriste et inutile à ses yeux entre religieux et laïcs, il acceptera croyances et rites religieux dévotionnels divinisant bouddhas et bodhi­ sattvas, supra-mondains et compatissants.

Mais aussi, et surtout pourrait-on dire, en niant toute différence entre le samsâra et le nirvâna, sans pour autant les rendre identiques, il enseignera la double vérité (la conventionnelle, faite de subterfuges et d'habilité com­ patissants ; la parfaite comme vérité pure et ultime) et concevra, jusqu'à un point vertigineux, l'ultime réa­ lité-vérité comme ce qui est vide (shûnya) de tout phénomène, de toute existence, de toute production conditionnée, sans que pour autant ne soit supprimée leur vérité conventionnelle. D'une part donc, une extraordinaire spéculation, sujette à controverses entre écoles diverses, visant à l'omniscience et à l'omnisapience; d'autre part, une compassion telle qu'il n'y a plus non seulement ni moi ni mien, mais un exhaussement collectif de toute la pâte humaine, sinon de tous les vivants des trois 152 / La philosophie indienne mondes et des cinq états, comme représentés sur la roue de la vie (bhavachakra). Notons pour terminer, sur une comparaison, cette brève approche, qu'il y a, par exemple, autant de« paradoxe » dans le passage du judaïsme au christianisme que dans celui du passage du Hînayâna au Mahâyâna, quoique ces passages s'expliquent toujours, parmi de multiples autres facteurs, à partir d'un « conceptpont », d'une idée-force qui sert en quelque sorte d'interface.

En effet, à partir de la ressemblance humano-divine de l 'Ancienne Alliance (l'homme est créé à la ressemblance et à l'image de Dieu), l'Incarnation I peut s'offrir comme pensable et n'apparaît pas en tout cas comme absurde.

Il n'en est pas de même de l'idée de Trinité qui, tout en n'altérant en rien l'unicité de Dieu, la module mystérieusement et est un développement théologique doctrinal sui generis. De même peut-on dire, l'état de bodhisattva (être qui se destine à l'Eveil, à devenir bouddha, tout en restant « au service» de tous) préfigure dans le bouddhisme ancien l'importance qu'il revêtira dans le Mahâyâna.

Mais, comme nous le verrons, la double vérité et la non-production (anutpâda) sont à proprement parler des développements sui generis du Mahâyâna, plutôt que des développements pensables dans le cadre du bouddhisme originel. 1.

« Dieu s'est fait homme pour que l'homme puisse devenir Dieu», selon la forte parole de saint Irénée, un des Pères grecs de l'Eglise. L'idéal du bodhisattva Dans le bouddhisme ancien, fondateur, l'idéal était de parvenir à l'état de «saint» (arhat), la quatrième et dernière étape d'une progression en libération-sain­ teté.

Cet état de perfection, de sainteté n'était atteint que par quelques êtres d'élite et déjà méritants de par leurs vies antérieures - en gros quelques religieux et occasionnellement l'un ou l'autre laïc - dont la pré- · occupation unique était la sanctification personnelle ne laissant aucune place au service d'autrui, au salut d'autrui. Avec le Mahâyâna, quelque cinq cents ans après la mort de Bouddha, il ne s'agit plus de devenir un arhat qui se sauve tout seul, mais de devenir un bodhisattva (un être d'Eveil) pour lequel le salut de tous est l'af­ faire dont il ne cesse de se préoccuper, mettant au ser­ vice de tous les êtres une compassion immense que soutient une omniscience (connaissance parfaite) et une omnisapiènce (sagesse parfaite), capables de tout transmuer.

Tout se passant comme si la chaleur ou la bonne odeur qui se dégageait du bodhisattva ne pou­ vait que se répandre sur tous les êtres, les faisant ainsi bénéficier de ce dont ils n'auraient pas mérité par leurs efforts personnels.

C'est d'ailleurs pour marquer cette différence d'idéal que les adeptes du Mahâyâna appellent, de façon quelque peu condescendante, les adeptes de l'idéal de l'arhat ceux qui suivent le Petit Véhicule, se réservant, de façon quelque peu triom­ phante, l'appellation de ceux qui suivent le Grand Véhicule, celui de l'idéal du bodhisattva. Ce n'est pas à dire que le terme de bodhisattva ne · figure pas dans les textes du Hînayâna, mais il désigne alors uniquement Bouddha dans ses existences anté­ rieures, telles que racontées dans les Jâtakas (les vies antérieures de Bouddha). D'autre part, Bouddha lui-même, ne s'étant pas contenté d'être sauvé, éveillé, de savoir qu'il n'aurait plus à renaître, mais ayant mis en branle la Roue de la Loi au service de tous, ayant prêché durant quarante­ cinq ans à dater de son Eveil les Quatre Saintes Véri­ tés et l'enseignement qui l'explicite, avait lui aussi agi en tant que bodhisattva compatissant, ayant renoncé à «jouir» seul du nirvâna pour, sans se lasser, montrer la voie de la délivrance. L'exemple même de Bouddha, en tant que bodhi­ sattva prêchant et compatissant, ne pouvait qu'encou­ .

rager les mahâyânistes à revivifier un bouddhisme devenu, à leurs yeux, par trop rigoriste, pas assez proche - de tous. Pour illustrer l'engagement altruiste I du bodhi­ sattva, nous croyons ne pouvoir mieux faire que de citer deux textes. Le premier, extrait d'un traité de discipline, à l'usage de ceux qui empruntent la carrière de bodhi­ sattva. Le second, extrait d'un texte poétique du grand poète mystique Shântideva (VIIe siècle de notre ère), où le moi n'est autre que ce qui appartient à autrui! 1.

Le mot altruiste évidemment ne convient pas tout à fait, car comment pourrait-il y avoir un tu, un autre égal à moi, un alter ego, là où il n'y a pas de moi.

A l'insubstantialité du moi correspond nécessairement l'insubstantialité de l'autre.

Par ailleurs, si dans la conversion du mien au tien, il y a don et don total: il n'y a rien à moi qui ne soit à toi, il y a bien «altruisme» en ce sens que l'in­ verse (théoriquement tout aussi exact) n'est jamais affirmé: ce qui est à toi est à moi ... « Moi, de tel nom, qui ai ainsi produit la pensée de Bodhi, j'adopte le monde infini des créatures pour - mère, pour père, sœurs, frères, fils, filles, parents à quelque degré et consanguins.

Les ayant adoptés, de tout mon pouvoir, de toute ma force, de tout mon savoir, j '.Y implanterai la racine du bien.

Désormais le don que je ferai, la moralité que j'observerai, la patience que je garderai, l'énergie que je déploierai, l'extase que je pratiquerai, la sagesse que je dévelop­ perai, l'adresse salvifique dont je témoignerai : tout cela sera pour l'intérêt, le bien, le bonheur de tous les êtres.» in E.

Lamotte, op.

cité, p.

477 « Celui qui veut sauver rapidement, et soi-même et autrui, doit pratiquer le grand secret : l'interversion du moi et d'autrui.

L'àmour immodéré du moi fait redouter le moindre danger : qui ne haïrait ce moi aussi inquiétant qu'un ennemi, ce moi qui, par désir de combattre la maladie, la faim, la soif, massacre oiseaux, poissons, quadrupèdes et se pose en ennemi de tout ce qui vit; qui par amour du gain ou des hon­ neurs, irait jusqu'à tuer ses père et mère et à ravir le patrimoine des Trois.... »

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