Le Meilleur des Mondes (Huxley): Un roman de science-fiction qui serait une satire de la science ? A une première...
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Le Meilleur des Mondes (Huxley): Un roman de science-fiction qui
serait une satire de la
science ?
A une première lecture du roman, la science apparaît comme ce qui permet l’existence
de l’univers de l’État Mondial : sans ectogenèse, sans conditionnement, sans les savoirs que
ces pratiques supposent, pas de société fordienne !...
En ce sens d’ailleurs, Le Meilleur des
Mondes est bel et bien un roman de science-fiction : la plupart des critiques s’entendent,
en effet, pour définir un texte relevant de ce domaine comme un texte qui repose sur
l’invention d’une science autre, différente de la science contemporaine de son
auteur, beaucoup plus développée en général.
Cette science n’est pas forcément
imaginaire en totalité : l’écrivain de science-fiction peut évidemment la déduire des savoirs
constitués de son époque — ce qui est clairement le cas d’Huxley dans Le Meilleur des
Mondes.
Dans un premier temps, nous allons nous attacher à étudier les applications de la science
future de l’État Mondial, telles qu’Huxley les décrit au cours du roman.
Ce qui nous aidera
d’ailleurs à mieux apprécier, dans un second temps, les questions qu’Huxley se pose sur
la science réelle de sa propre époque.
UNE ANTICIPATION TRÈS PRUDENTE
Un cadre futuriste ou contemporain ?
Comme la manifestation la plus tangible, la plus évidente des progrès de la science consiste
dans les changements que ces progrès apportent à la vie quotidienne, les écrivains de
science-fiction accordent toujours beaucoup d’importance aux objets d’usage courant, aux
biens de consommation, au cadre de vie et aux détails matériels.
Ces détails leur permettent à la fois de frapper l’imagination du lecteur en suscitant à
ses yeux des mondes où l’extraordinaire est devenu banal et de suggérer la
cohérence, la vraisemblance de tels univers.
Huxley n’échappe pas à ce que l’on peut
considérer comme une règle d’or de la science-fiction : dans Le Meilleur des Mondes, il
dépeint, avec minutie et précision, le cadre matériel de la société future où se situe l’action
du roman.
Toutefois, les conditions d’existence dans ce lointain avenir, pour différentes qu’elles
soient de celles du XXe siècle, ne présentent pas le caractère d’étrangeté absolue que l’on
ressent à la lecture de beaucoup d’autres œuvres de science-fiction.
Huxley semble avoir
tenu la bride serrée à son imagination.
Sans doute est-ce en tant que lecteur des années
1980
que nous jugeons un texte écrit avant 1932.
Mais, même en appréciant l’anticipation dans Le
Meilleur des Mondes par rapport au contexte où il a été écrit, celle-ci nous paraît modeste,
limitée, fort prudente au su de ce qu’était alors l’état des sciences, des techniques en Europe
occidentale et en Amérique du Nord.
On en jugera aisément à travers les quelques indications
qui suivent.
Les sujets du Meilleur des Mondes se déplacent en train ou en hélicoptère individuel.
Pour
les très longues distances, ils utilisent des services réguliers de fusées susceptibles de
joindre, par exemple, Londres à La Nouvelle-Orléans (cf.
p.
120) en six heures environ.
Ces
hommes du futur portent des vêtements en tissu synthétique (« flanelle blanche à la viscose
» ou « shantoung à l’acétate », p.
280).
Ils se nourrissent d’aliments en conserve, fabriqués
eux aussi par synthèse (cf.
p.
249), dans lesquels il convient de voir une caricature des
nourritures industrielles qui commencent à se répandre dans le premier tiers de notre siècle.
Enfin, les hommes de l’avenir sont logés dans de vastes immeubles, comportant des
centaines d’appartements très confortables.
En somme, la vie matérielle dans le futur que décrit l’auteur n’est pas si différente de celle
que mènent les habitants des grandes banlieues actuelles.
Huxley s’est contenté de
systématiser des conditions d’existence qui étaient déjà apparues dans l’Amérique des
années 1920 et qui, depuis, n’ont fait que se répandre à la surface de la terre.
Des loisirs abêtissants
En fin de compte, ce n’est que dans le domaine des distractions et des instruments de loisirs
qu’Huxley fait preuve d’une certaine invention.
Il a doté ainsi le Meilleur des Mondes :
– d’orgues à couleurs que l’on trouve dans les lieux de plaisir et qui composent sur les murs
des motifs abstraits ou des paysages aux teintes éclatantes, comme « un coucher de soleil
tropical » (p.
96) ;
– d’orgues à parfums qui mêlent et alternent de subtiles senteurs selon une organisation
quasi musicale, comparable à celle d’une symphonie ou d’un concerto ;
– d’un cinéma ultra-perfectionné, non seulement musical, parlant, en relief et en couleurs,
mais encore sentant, c’est-à-dire capable de procurer aux spectateurs les sensations
éprouvées par les protagonistes du film – chocs, contacts, douleur et même excitation
sexuelle, traduite par « un plaisir galvanique presque intolérable » (p.
190) ;
– de « voix synthétiques » aux prouesses étourdissantes14 et aux vibrations étudiées pour
produire sur l’auditoire l’effet recherché (enthousiasme, joie, attendrissement, etc.), voix «
insinuantes, infatigables » (p.
47), que leurs qualités hypnotiques rendent propres à tous les
usages, qu’il s’agisse des spectacles ou du conditionnement dont elles constituent un des
outils privilégiés.
On aura sans doute remarqué que les loisirs que nous venons d’énumérer ne s’adressent
jamais à l’esprit, ni même à la sensibilité.
Les bouffées odorantes des orgues à parfums, les
chatoiements des orgues à couleurs, les sonorités pénétrantes des voix synthétiques, les
films sentants, jouent plutôt sur les sens, sur les nerfs - sur ce qu’il y a de plus élémentaire,
de plus grossier chez l’être humain.
Ces loisirs contribuent ainsi à faire des habitants du
Meilleur des Mondes des êtres à l’intelligence et à la sensibilité réduites.
Ils prolongent le
conditionnement, ils comptent parmi les moyens qui permettent de rendre dociles les sujets
de l’État Mondial.
Et c’est précisément dans la mesure où ces distractions ont une fonction politique aussi
importante dans le Meilleur des Mondes qu’Huxley imagine avec une invention particulière
les instruments qu’elles nécessitent (même si, là encore, il se contente parfois de «
perfectionner » certains procédés qui existaient déjà dans les années 192015).
UNE SATIRE DE LA SCIENCE ?
Une science qui modifie l’homme
Les différences de développement entre les divers aspects matériels de la vie quotidienne
dans le Meilleur des Mondes se retrouvent, à un tout autre niveau, dans la façon dont Huxley
imagine l’évolution des sciences elles-mêmes.
Ainsi, il néglige....
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