Le merveilleux Le mot « merveille », issu du latin mirabilia, désigne un pro dige surnaturel; il qualifie aussi la...
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«
Le merveilleux
Le mot « merveille », issu du latin mirabilia, désigne un pro
dige surnaturel; il qualifie aussi la valeur superlative.
Le mer
veilleux crée l'étonnement, l'admiration en introduisant une
rupture, un décalage par rapport à la normalité.
Dans les romans de Chrétien de Troyes, le merveilleux est
un élément indispensable de la narration : il constitue l'un
des deux pôles du récit.
La quête du héros suppose en effet
un va-et-vient constant entre le pôle de la cour arthurienne,
qui représente l'univers naturel, réel, et le pôle de l'Autre
Monde, qui représente l'univers surnaturel, merveilleux.
Nous étudierons les merveilles que renferme Le Chevalier
de la charrette, puis nous analyserons l'écriture du mer
veilleux, en montrant finalement comment le roman glisse
vers le fantastique.
MERVEILLES
ET ENCHANTEMENTS
Les personnages
de l'Autre Monde
Plusieurs personnages du roman relèvent du domaine de
la féerie.
Signalons d'abord la fée, à qui Lancelot lance un
appel au secours lorsqu'il est enfermé dans un château :
Cette dame était une fée
qui lui avait donné l'anneau
et qui l'avait élevé durant son enfance;
il avait en elle une foi entière,
sûr qu'il était d'être par elle,
toujours secouru, où qu'il fût.
(v.
2345-2350).
Cette fée maternelle et secourable est associée à un objet
magique, l'anneau, qui permet à Lancelot de dissiper les
enchantements maléfiques, dès qu'il le regarde.
L'allusion à
la fée est brève et il semble bien que le romancier se réfère
ici à une tradition légendaire connue, issue du folklore ou du
mythe.
Il s'agit du thème de l'enfance féerique du héros qui
sera repris et développé au xme siècle.
Les continuateurs
insisteront sur l'élément aquatique de la légende: la fée, qui
a pris soin de Lancelot pendant son enfance au fond d'un
lac, deviendra la dame du lac.
Tout comme la fée, les nains et les géants viennent de
l'Autre Monde.
Lancelot rencontre deux nains: le premier
conduit la charrette (v.
347), le second surgit à la fin du récit
(v.
5059) pour enlever le héros.
Le nain est un messager de
l'au-delà marqué par l'étrangeté: sa petitesse, sa laideur en
font un monstre contre nature.
Le second nain, le traître, est
envoyé par Méléagant qui semble, lui aussi, appartenir à
l'Autre Monde.
La haute taille de Méléagant (v.
558 et 638)
le rapproche des géants, dont le caractère est souvent perverti par la grandeur hors norme.
Mais, plus encore qu'aux personnages, la merveille, dans
Le Chevalier de la charrette, est attachée aux lieux.
Les lieux enchantés
Certains lieux sont le théâtre de phénomènes étranges,
que Chrétien de Troyes qualifie d' « enchantements »1.
Les
îlots d'enchantement sont souvent des châteaux, dans lesquels Lancelot assiste à des phénomènes surprenants.
C'est
le château mystérieusement vide de l'étrange demoiselle
(v.
971 et suivants), ou bien la forteresse dont les portes se
referment comme un piège sur le héros et ses compagnons
(v.
2327 et suivants).
C'est la demeure d'une autre demoiselle, dans laquelle un lit extraordinaire est embrasé à minuit
par une lance enflammée jaillie du toit (v.
515 et suivants) !
L'enchantement est aussi associé à l'eau2, dans le fameux
1.
L'enchantement est l'art d'opérer des prodiges ou de pratiquer
des sortilèges.
2.
L'eau, dans les romans arthuriens, marque la présence de l'univers féerique.
épisode du Pont de l'Épée.
Le narrateur souligne le caractère funeste et maléfique de cette scène : il associe les flots
« noirs et boueux» au diable(« fleuve infernal», v.
3012); il
évoque au bout du pont « deux lions ou bien deux léopards »
(v.
3035).
Un autre endroit propice à la merveille est le cimetière
futur, qui renfermé une dalle mystérieuse.
Dans ce cas, le
mot «merveille» ne qualifie pas tant l'objet, le lieu, que
l'action de Lancelot.
Le héros soulève sans peine la pierre
que dix hommes n'auraient pu déplacer (v.
1913): le moine,
témoin de la scène, est stupéfait devant « cette merveille»
(v.
1917), qu'il présente ensuite comme« un exploit merveilleux » (v.
1968) à ceux qui l'interrogent.
Le merveilleux
dépend très étroitement de l'aventure.
L'ÉCRITURE
DU MERVEILLEUX
Une fonction dramatique
La quête chevaleresque a pour cadre l'Autre Monde, souvent figuré par l'espace de la forêt, lieu des rencontres surnaturelles.
Lancelot y progresse d'aventures en aventures;
son chemin est jalonné d'épreuves merveilleuses: le lit
défendu, le gué périlleux, le Pont de !'Épée ...
Dans ce monde
étrange, le héros rencontre des guides, des messagers de
l'Autre Monde.
Le nain à la charrette représente pour Lancelot
la première confrontation avec l'univers surnaturel.
Les nombreuses demoiselles croisées ensuite sur la route sont pour
lui autant de conseillères qui l'aident à mener à bien sa quête.
L'.une d'entre elles lui indique les deux voies d'accès au pays
de Gorre; une autre, très entreprenante, consent à l'accompagner dans sa recherche; une autre encore l'invite à décapiter le chevalier orgueilleux.
Auxiliaires du héros, comme
dans les contes, les demoiselles semblent bien être des personnages de féerie.
Épreuves et rencontres merveilleuses permettent donc
au récit de progresser en respectant les étapes nécessaires
de la quête.
L'écriture de l'aventure suit.les voies mystérieuses du surnaturel, mais parfois avec un certain recul.
La rationalisation du merveilleux
Chrétien de Troyes prend souvent une distance ironique
par rapport aux meNeilles qu'il décrit.
Prenons deux exemples
tout à fait révélateurs.
Lorsque Lancelot et son compagnon se trouvent enfermés dans la forteresse-prison, ils se croient « le jouet de
quelque enchantement» (v.
2334).
Lancelot décide alors
d'utiliser l'anneau magique de la fée.
A cet instant du récit,
plusieurs éléments viennent neutraliser l'effet de meNeilleux.
D'abord, l'anneau n'a pas - comme dans un autre roman de
Chrétien, Le Chevalier au lion - la vertu de rendre invisible,
mais seulement celle de« défaire l'enchantement» (v.
2338),
ce qui peut paraître décevant.
De plus, Lancelot utilise en
vain cet auxiliaire magique :
Mais il voit bien, quand il l'invoque
et qu'il regarde la pierre de l'anneau,
qu'il n'y a là aucun enchantement.
Il reconnaît, en toute certitude,
qu'ils sont bel et bien enfermés.
(V.
2351-2355).
Non sans humour, le narrateur se moque de son héros, qui
a cru être victime d'un phénomène meNeilleux, et il le renvoie à la réalité.
De la même manière, dans l'épisode du Pont de l'Épée,
Chrétien de Troyes prend du recul vis-à-vis du meNeilleux.
Il
propose une explication logique à la frayeur des chevaliers:
ils ont peur parce qu'ils « croyaient voir» (v.
3034) au bout
du pont....
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