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Le motif de la charrette Chrétien de Troyes n'a pas intitulé son roman Lancelot, mais Le Chevalier de fa charrette1...

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« Le motif de la charrette Chrétien de Troyes n'a pas intitulé son roman Lancelot, mais Le Chevalier de fa charrette1 (v.

24 et 7103).

Or ses lecteurs connaissaient Lancelot du Lac : il appartenait à une légende déjà établie, et son nom figure dans Érec et Énide.

Comment deviner qu'un personnage aussi célèbre se cache derrière une formule aussi énigmatique? En outre, ce titre renferme un oxymore2: une charrette ne saurait être compatible avec la dignité chevaleresque.

La lecture du roman amènera la réso­ lution du suspense (par la révélation du nom de Lancelot, au vers 3660) et la justification du scandale (par la morale courtoise, selon laquelle l'amour entraîne le sacrifice des valeurs sociales\ En insistant sur le motif de la charrette, le titre laisse entenare. qu'il ne s'agit pas d'un accessoire secondaire, mais d'un élé­ ment essentiel qui fonde l'identité du héros et le sens du roman.

Or la signification de ce motif a donné lieu, chez les commentateurs, à trois hypothèses : certains lui attribuent une origine celtique3, d'autres lui donnent une valeur chris­ tique, d'autres enfin y voient un symbole courtois. UN MOTIF D'ORIGINE CELTIQUE? Le char du malheur Chrétien de Troyes se serait inspiré des chariots de guerre celtiques, auxquels on attachait les vaincus.

Comme le pilori 1.

Chrétien avait déjà utilisé ce genre de titre dans Le Chevalier au lion, qui a pour héros Yvain. 2.

Un oxymore est une alliance de mots de sens contradictoires. Ex.

: une obscure clarté. 3.

Les Celtes.

venus d'Allemagne, s'établirent en Gaule entre le ve et le me siècle av.

J.-C.

Leurs croyances, transmises dans le folk­ lore du pays de Galles, ont imprégné la littérature arthurienne. (une roue sur laquelle on attachait les suppliciés), c'est une marque d'infamie, réservée aux traîtres ou aux assassins, aux vaincus en champ clos1 et aux voleurs [...

] (v.

328-330). La présence du nain, qui passait pour avoir des accointances avec les divinités infernales, suggère aussi un rapprochement avec un autre motif celtique, le char de la mort.

En effet, dans une légende galloise, le dieu Maelwas enlève la reine Guenièvre chaque premier mai et l'emmène au royaume de la Mort.

Dans Le Chevalier de la charrette, le personnage de Méléagant pourrait être une incarnation de ce dieu.

Car le nain qui conduit la charrette a pour mission de guider Lancelot sur les traces de la reine, dans le royaume « dont ne revient nul étranger» (v.

641).

Comme le char de la mort, la charrette présage le malheur.

Celui qui la rencontre doit se signer pour conjurer le mauvais sort.

Un dicton le rappelle : quand charrette verras et rencontreras, fais sur toi le signe de croix et pense à Dieu, qu'il ne t'arrive malheur! (v.

341-344). Mais, pour séduisante qu'elle soit, la lecture celtique ne s'accorde pas avec tout le roman, et appelle des réserves. Les éléments qui réfutent cette thèse Si la charrette est un char de la mort, présenté à un héros appelé à franchir les frontières de l'Autre Monde, on ne voit pas pourquoi elle le disqualifierait.

Au contraire, elle devrait le couvrir de gloire: accepter d'y monter, c'est montrer qu'on n'a pas peur de la mort, et qu'on est prêt à affronter les puissances infernales.

Or Lancelot encourt par ce geste une disgrâce soulignée tout au long du roman.

Déshonoré, il doit subir le mépris des populations qu'il croise.

Il est conspué par les habitants du château au lit défendu (v.

402-417) et injurié par le gardien du Passage des Pierres (v.

2214-2219). Il a choisi de s'humilier dans des conditions que nul autre 1.

En duel judiciaire. n'accepterait, comme l'avoue un adversaire vaincu à qui il propose, en châtiment, de monter dans la charrette : J'accepte d'avance toute sentence, aussi dure soit-elle, hormis celle-là. J'aimerais mieux, je crois, être mort aue d'avoir agi aussi malencontreusement. (v.

2772-2775). Défait au combat, ce chevalier orgueilleux préfère la mort à l'infamie de la charrette: celle-ci ne peut donc être identi­ fiée au char de la mort. On ne peut pas davantage assimiler la charrette à un cha­ riot de guerre, puisque Lancelot y monte volontairement, sans avoir subi de défaite.

Le personnage ainsi transporté n'est pas non plus un condamné, comme le croient les hôtes qui l'hébergent au cinquième jour de sa quête et qui s'inter­ rogent sur les raisons d'une telle infamie: Pourquoi l'a-t-on traîné en charrette, pour quel péché, pour quel crime? On le lui reprochera à tout jamais. (V.

2612-2614). A la différence des personnages du roman, le lecteur connaît le courage de Lancelot; il ne peut donc avoir les mêmes doutes sur l'exemplarité du héros. Or ce caractère irréprochable de Lancelot a amené cer­ tains commentateurs à comparer le supplice de la charrette à la passion1 du Christ. UN MOTIF CHRISTIQUE? La passion du héros Venu au secours de la reine Guenièvre, qu'il veut arracher à l'emprise du mal, Lancelot accepte de s'humilier pour mener à bien sa mission.

Il évoque donc la figure du Christ rédempteur, du dieu qui s'abaisse jusqu'à endurer la misère 1.

Du verbe latin pati, « souffrir, pâtir», la Passion désigne, dans le Nouveau Testament, les souffrances et le supplice de Jésus, condamné à mourir sur la Croix. · humaine pour sauver ceux qu'il aime.

La charrette.... »

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