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Le pouvoir de la littérature L'art, et plus particulièrement la littérature, ne semble avoir aucune place dans un monde où...

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« Le pouvoir de la littérature L'art, et plus particulièrement la littérature, ne semble avoir aucune place dans un monde où la sensibilité est anesthésiée et la pensée abolie.

Être un « intellectuel » à Auschwitz est avant tout un handi­ cap.

Pourtant, à de rares moments, la puissance du texte écrit donc de la littérature - se manifeste et prend toute son ampleur, comme elle ne l'avait peut-être jamais fait auparavant. L'INTELLECTUEL À AUSCHWITZ 1 Un désavantage Comme Primo Levi le note dans Les Naufragés et /es Rescapés, la condition de l'homme cultivé à Auschwitz-était pire que celle du travailleur manuel1 .

N'ayant pas l'habitude de- l'effort physique et du maniement des outils, il s'épuisait facilement au travail ; de plus, le sentiment d'humiliation et de dégradation lié à des tâches très pri­ mitives était chez lui beaucoup plus fort.

Par ailleurs, il souffrait davantage de la mutilation du langage et de la nécessité de ne pas penser : « [•••] je suis trop humain, je pense encore trop [...] », dit le narrateur dans le chapitre intitulé « Examen de chimie « (p.

110).

Un monde où il n'y a pas de pourquoi, où il ne faut surtout pas chercher à comprendre est encore plus insupportable pour un scientifique comme l'auteur que pour les autres déportés.

Les intellectuels sont d'ailleurs méprisés par la plupart des autres détenus qui les consi­ dèrent comme des incapables.

Ainsi, au chapitre 11, le Kapo Alex, 1.

Primo Levi, Les Naufragés et les Rescapés, op.

cit., chap.

6, p.

125. une brute stupide, se moque des hommes du Kommando de chimie qui sont en train de se disputer la soupe : « 1hr Doktoren, 1hr lntelligenten ! »(«Vous les Docteurs, les intellectuels!», p.

117). L'univers concentrationnaire est la revanche de la bestialité et de la médiocrité sur l'intelligence. 1Les avantages Pourtant, quarante ans après, Primo Levi affirme que « la culture pouvait servir », pas souvent, mais quelquefois, dans de rares occasions2.

Pour l'illustrer, il évoque l'épisode raconté dans le chapitre 11 de Si c'est un homme, où la remémoration des vers de Dante lui a permis de rétablir le lien avec le passé et de se retrouver lui-même pendant un court mais précieux moment.

Il rend grâce aussi à sa formation de chimiste, non seulement parce qu'elle lui a permis de survivre physiquement en lui procurant un travail au Laboratoire, mais aussi parce qu'elle lui a donné des habitudes mentales qui lui ont été utiles.

Sa curiosité qui le poussait à regarder le Lager comme une sorte de laboratoire, son désir d'observer et de comprendre lui ont permis de garder en vie une part de son être.

La culture, dit-il, pouvait « embellir quelque heures, établir un lien fugitif avec un camarade, maintenir l'intelligence en vie et en bonne santé3 ».

Il considère même qu'elle l'a peut-être sauvé. LE POUVOIR D'UN ROMAN 1Une étrange lecture « Embellir quelques heures», c'est quelque chose de considérable dans l'univers du Lager.

Il n'y avait évidemment pas de livres à Auschwitz.

Pourtant, dans le dernier chapitre, au moment où les Russes sont tout proches et où les prisonniers sont évacués, dans la débâcle générale, un médecin grec lance au narrateur un roman 2.

Ibid., p.

135. 3.

Ibid., p.

139. 98 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES français (p.

166).

Pendant dix jours, les détenus malades qui ont été laissés dans le camp à l'abandon vont vivre« hors du monde et hors du temps » (p.

167).

Pourtant, le narrateur lit: « Je passai l'après-midi à lire le livre laissé par le médecin : il était très intéressant et j'en garde un souvenir étrangement précis» (p.

168).

Pournous, passer l'après-midi à lire un roman est tout à fait banal mais, au Lager, il faut mesurer à quel point l'épisode est extraordinaire : comment peut-on lire dans de telles circonstances, se passionner pour un roman au point d'oublier le chaos environnant, l'omniprésence de la mort ? C'est précisément l'un des pouvoirs de la littérature que de nous arracher à notre monde et de nous permettre, en nous identifiant à d'autres hommes, de nous évader.

Cette lecture est le premier acte d'homme libre du narrateur. ILe roman Dans Si c'est un homme, l'auteur ne nous dit pas quel est ce roman, mais il en a cité un passage dans l'anthologie personnelle qu'on lui avait demandé de réaliser4.

Il s'agit d'un roman très populaire en France avant la guerre, Remorques, de Roger Vercel.

II se trouve que c'est l'histoire d'un naufrage et d'un sauvetage, dont le personnage principal, le capitaine Renaud, est comparé par Primo Levi à une sorte d'Ulysse moderne, héros d'une aventure technologique qui montre la valeur et l'ingéniosité de l'homme.

Non seulement ce texte offre au narrateur une évasion momentanée, mais il lui donne aussi une image de sa propre condition : les détenus restés à Auschwitz sont comme des naufragés dans un bateau à la dérive, qui attendent leurs sauveteurs sans savoir s'ils arriveront à temps. Le voyage en mer, le naufrage, Ulysse : par une étrange coïncidence, ce sont là les thèmes du poème de Dante évoqué au chapitre 11.

Ce symbolisme sera récurrent dans toute l'œuvre de Primo Levi, comme l'indique le titre de son dernier ouvrage, Les Naufragés et les Rescapés. 4.

Primo Levi, A la recherche des racines, éd.

Mille et une nuits, septembre 1999, p.

107. PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 99 LE POUVOIR D'UN POÈME C'est surtout dans le chapitre intitulé« Le chant d'Ulysse» que se manifeste le pouvoir de la littérature.

Il s'agit du seul vrai moment de joie dans le récit.

Toutes les conditions sont réunies : une promenade, le soleil de juin, et l'amitié avec le Pikolo.

Jean est alsacien, il parle le français et l'allemand, mais il voudrait apprendre l'italien et le narrateur propose de lui donner une leçon.

L'épisode est hautement symbolique dans un monde où les hommes ne peuvent communiquer à cause de la différence des langues, et ne cherchent même pas à se comprendre.

Sans que le narrateur sache pourquoi, ce sont des vers de I.:Enfer de Dante qui lui viennent à l'esprit, et il se propose de les traduire à son compagnon. 1Le poème de Dante I.:Enfer est, avec Le Purgatoire et Le Paradis l'un des trois livres de La Divine Comédie, vaste poème en cent chants écrit par Dante au XIV8 siècle.

Ce poème est l'un des classiques de la littérature italienne, dont les écoliers apprennent des passages par cœur, l'un de ces textes qu'on n'oublie pas parce qu'on l'a lu très jeune.

De plus l'ouvrage de Dante possède un statut particulier, même pour ceux qui ne l'ont pas lu.

Comme le fait remarquer Jacqueline.... »

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