LE RÉCIT DE TITE-LIVE Corneille a placé en tête de sa tragédie les chapitres de Tite Live 1 dont il...
Extrait du document
«
LE RÉCIT DE TITE-LIVE
Corneille a placé en tête de sa tragédie les chapitres de Tite
Live 1 dont il s'est inspiré.
En voici la traduction.
1.
Albe et Rome en guerre�
XXIII.
Cette guerre 3 était comme une véritable guerre civile,
et les fils, en somme, allaient combattre contre leurs pères :
les deux peuples en effet étaient de souche troyenne, puisque
Lavinium tirait son origine de Troie, Albe 3 de Lavinium,
et Rome de la famille royale d'Albe [...] Toutefois, l'issue
de la guerre rendit cette lutte moins déplorable, car il n'y
eut pas de bataille rangée : on détruisit seulement les murs
de la ville vaincue, et les deux peuples furent réunis en un
seul [...]
10 [•••] Mettius, le dictateur albain, s'approche le plus possible
de l'ennemi, puis il charge un messager d'aller dire à Tullus :
• Avant que nous en venions aux mains, un entretien entre nous
s'impose : si tu acceptes cette rencontre, sois certain que je
t'apporterai des propositions aussi intéressantes pour Rome
que pour Albe.
» Tullus ne refuse pas, mais, pour le cas où
l'entrevue ne donnerait rien, il fait ranger ses troupes en ligne
de bataille.
Les Albains en font autant.
Entre les deux armées
alors les deux chefs s'avancent, suivis seulement de quelques
officiers.
L'Albain prend la parole :
2.
La proposition du dictateur albain (voir Horace I, 3, v.
285-315).
20 • Des attaques injustes, du butin réclamé et non rendu
en dépit des accords, voilà, si je ne me trompe, les motifs
de la guerre qu'a avancés notre roi Cluilius; et toi, Tullus,
tu invoques les mêmes, je n'en doute pas.
En fait, si l'on préfère
la vérité aux belles phrases, ce qui pousse l'un contre l'autre
nos deux peuples, parents et voisins, c'est la passion de comman
der.
Est-ce bien ou mal? je n'en discute pas.
Cette question
regardait celui qui a entrepris cette guerre.
Pour moi, Albe
1.
Célèbre historien latin (59 av.-19 ap.
J.-C.).
- 2.
Dans le chapitre
précédent, Tite-Live indique avec netteté que c'était le roi des Romains,
Tullus.
qui avait voulu et provoqué cette guerre, - mais qu'il s'était arrangé
pour en rejeter la responsabilité sur les Albains.
Corneille n'a pas reproduit
ce chapitre en tête de son édition, sans doute parce qu'il a fait de Tulle un
roi beaucoup plus sage, moins impétueux que le Tullus de Tite-Live;
mais il présente constamment les Albains dans sa pièce (le dictateur,
Curiace, Sabine), comme plus a pacifiques » et plus a humains » que les repré
sentants de Rome (Horace, le vieil Horace, Julie, Camille, Valère).
- 3.
Sui
vant la tradition, Albe avait été fondée par Ascagne, fils d'Énée, lui-même
fondateur de Lavinium.
Le récit de Tite-Live
ne m'a chargé qjle de la diriger [...] Mais voici ce que je veux
te dire, Tullus :
80
» Les Étrusques entourent nos deux pays et leur puissance
est grande, tu le sais d'autant plus que vous êtes plus près
d'eux.
Ils sont puissants sur terre, ils le sont encore davantage
sur mer.
Souviens-toi, en donnant le signal de la lutte, qu'ils ne
quitteront pas nos deux armées des yeux et que, lorsqu'elles
seront toutes deux fatiguées, épuisées, ils fondront à la fois sur
le vainqueur et sur le vaincu [...] Aussi, puisque nous ne
sommes pas satisfaits d'une liberté certaine et que nous préfé
rons courir le hasard de commander ou d'être esclaves, trou
vons un moyen, s'il plaît aux Dieux, de décider lequel d'entre
40 nos deux peuples commandera à l'autre - sans désastre, sans
flots de sang.
"
Cette proposition ne déplaît pas à Tullus, que son tempé
rament et l'espoir d'être vainqueur n'inclinaient guère pour
tant à la modération.
Ils se mettent alors, l'un et l'autre, à
chercher une solution, et ils la trouvent : la Fortune elle-même
avait pris soin de la fournir.
3.
Les Horaces et les Curiaces.
XXIV.
Il y avait alors par hasard, dans chacune des deux
armées, trois frères jumeaux, et qui étaient, les uns et les autres,
à peu près du même âge et de même force.
C'était, la chose est
60 certaine, les Horaces et les Curiaces et il n'y a guère dans l'antiquité d'événement plus illustre [...]
Chacun des rois donc entreprend chaque groupe de trois
frères pour qu'ils livrent combat les uns contre les autres au
nom de leur patrie respective : « Là où sera la victoire, là sera
la suprématie.
» Il n'est fait aucune objection.
L'on s'accorde
sur l'heure et le lieu du combat, et l'on signe aussitôt un traité
par lequel Romains et Albains s'engagent solennellement :
quel que soit le peuple dont les représentants seront vainqueurs,
il sera reconnu le maître de l'autre, sans conteste ...
Tite-Live, ici, décrit longuement la cérémonie religieuse et le
sacrifice (d'un porc) qui marquent la conclusion du traité.
Corneille
n'a rien gardé, dans sa pièce, de cette liturgie barbare, et il ne
reproduit pas ce passage de Tite-Live.
Mais il insistera, plus encore
que l'historien latin, sur le véritable « sacrifice humain " que
constitue le meurtre du troisième Curiace; - car ce sacrifice
complète, de façon indispensable, le portrait psychologique et
moral du représentant de Rome.
4.
Le combat (voir Hora4e, III, 6, v.
992-1020; et IV, 2, v.
1103-1140).
60
XXV.
Le traitéj conclu, les six champions prennent les armes
ainsi qu'il a été �nvenu.
Des deux côtés on les presse d' exhor-
tarions [...] Eux, déjà fiers par nature, et la tête remplie de toutes
ces clanieurs d'encouragement, s'avancent dans l'espace laissé
libre entre les deux lignes.
Installées de chaque côté, chacune
devant son canip, les deux armées sont pour le moment
exemptes de tout danger certes, mais non d'inquiétude :
c'est la suprématie de l'une ou de l'autre qui est· en jeu, et elle
repose sur la valeur et la chance de six hommes.
Tous les assis
tants sont contractés, tendus, leurs regards anxieux fixés sur
70
cet étrange spectacle.
On donne le signal, et comme deux lignes d'attaque, chaque
groupe de trois frères s'avance à la rencontre de l'autre, concen
trant en lui le courage de toute une armée.
Aucun d'eux ne
songe à la mort, ils ne pensent qu'à leur patrie, dont le sort
sera celui qu'ils vont lui faire : la puissance, ou la sujétion.
Dès le premier choc, le cliquetis des armes, l'éclat des épées
miroitantes font passer sur tous les assistants un frisson d'effroi;
l'espoir ne penchant encore d'aucun côté, chacun retient sa
voix et son souffle [...] Mais bientôt, ce qui s'offre à la vue
80
ce n'est plus seulement la mêlée confuse de six-combattants
dont on distingue mal les armes et les boucliers, ce sont des
blessures et du sang : les trois Albains sont touchés, et des
trois Romains, deux tombent l'un sur l'autre, mourants.
A
leur chute, l'armée albaine crie sa joie, tandis que les légions
romaines, tout espoir désormais perdu, tremblent encore
cependant pour leur unique chanipion, entouré par les trois
Curiaces.
Heureusement il n'avait reçu aucune blessure : autant, seul,
il était impuissant contre ses trois adversaires réunis; autant,
90
contre chacun pris à part,....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓