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Le roman serait-il témoignage? Le terme a été souvent utilisé. Que tout écrit soit témoignage, cela est bien évident. Que...

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« Le roman serait-il témoignage? Le terme a été souvent utilisé. Que tout écrit soit témoignage, cela est bien évident.

Que le romancier soit un témoin, et particulièrement un témoin de son temps, cela est évi­ dent aussi - et on voit même mal comment il pourrait ne pas l'être.

Cer­ tes, si Balzac a pu écrire : « Grâce au soin qu'il (l'auteur) a eu, peut-être saura-t-on, en 1850, comment était le Paris de l'Empire» (Préface à Une fille d'Eve), on imagine moins bien Nathalie Sarraute en disant autant d'elle et de la Cinquième République.

Pourtant, à sa manière, et ne serait-ce que par son écriture, par le langage qu'elle utilise ou qu'elle reproduit, elle témoigne aussi.

Le roman n'est pas seulement recours au langage.

Il est aussi description de ce langage et, par là même, description d'un temps. Par quoi apparaissent déjà deux des faces de ce témoignage : le romancier témoigne sur l'époque qu'il décrit, mais, plus encore, il témoigne sur l'épo­ que où il écrit. Pourtant cette notion de témoignage appelle quelques réserves.

Et parti­ culièrement que (une fois de plus) l'attention est attirée ici plus sur la chose regardée que sur le regard.

On imagine mal un président de tribunal écou­ tant patiemment un témoignage qui n'intéresserait pas la Cour.

On l'ima­ gine plus mal encore renvoyant un témoin parce qu'il s'exprime avec gau- cherie.

Or, dans le roman, ces deux péripéties sont constantes.

Même si, a priori, son sujet nous intéresse, nous pouvons très bien abandonner un roman à la page dix si sa forme nous rebute.

En revanche, nous pouvons très bien, dans un roman, nous intéresser à des gens dont les équivalents dans la vie ne nous intéresseraient pas du tout.

Je connais des Monsieur Homais 1 : dans la vie, je m'en écarte avec soin.

Je connais des Madame Verdurin : la seule idée d'aller passer une heure à leurs raouts 2 me fait me réveiller la nuit en poussant des cris d'épouvante.

Je connais des Cousine Bette: je cours encore.

D'où vient alors que, dans les romans où ces diffé­ rents personnages figurent, je les retrouve avec tant de bonheur, et j'écoute si volontiers leurs propos? Il s'agit là d'ailleurs du phénomène constant de l'œuvre d'art.

J'ai déjà invoqué Cézanne 3 et ses trois pommes. Pourquoi pouvons-nous passer un quart d'heure à béer d'admiration devant ces trois pommes ou devant une maison de la rue Lepic peinte par Utrillo alors que ces mêmes trois pommes dans notre salle à manger ou cette même rue Lepic lorsque nous y passons ne nous arrachent pas un regard? De tout évidence, c'est que, dans ces pommes, dans cette rue Lepic, dans cette Verdurin, dans cette Cousine Bette, l'artiste a vu et exprimé quelque chose que nous n'avons pas été capables de voir, un sens, une beauté, un comique, un pathétique qui nous échappaienJ, et qui peut-être même n'y étaient pas qui n'étaient que chez lui, chez le pein­ tre ou le romancier. D'autre part, si un témoin réussit à m'intéresser à quelque chose, mon mouvement naturel sera de me mettre en quête d'autres témoignages sur le même sujet.

En matière de livres, c'est ce qui m'arrivera si je lis un manuel de botanique.

C'est ce qui m'arrivera probablement aussi si je lis une Histoire d'Elizabeth d'Angleterre.

Je dis : probablement, car ici un autre mouvement s'amorce et je peux aussi, séduit par le talent de l'histo­ rien, chercher un autre livre de lui sur un tout autre sujet.

Mais cela ne m'arrivera certainement pas pour un roman.

�i je lis, par exemple, Le Vice­ Consul, de Marguerite Duras, et que l'ouvrage me.... »

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