LE SÂMKHYA ET LE YOGA Si le Vaïshéshika traitait des constituants du monde physique et spirituel, élaborant une doctrine de...
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«
LE SÂMKHYA ET LE YOGA
Si le Vaïshéshika traitait des constituants du monde
physique et spirituel, élaborant une doctrine de leurs
spécificités substantielles 'et autres, le Sâmkhya pour
suit un but analogue par un autre «dénombrement»
(samkhya).
Celui des constituants élémentaires de la
Nature (Prakriti), face à l'unique entité spirituelle
suprême (Purusha).
Le yoga, quant à lui, prône la délivrance par une
discipline psychosomatique généralement associée
aux thèses du Sâmkhya, le théisme de l'un n'étant pas
sensiblement différent de celui de l'autre, même si le
Sâmkhya n'a pas pour objet propre la théologie du
Seigneur-Dieu et est considéré comme «athée».
Quoi qu'il en soit, s'ils sont réunis daris la tradition
comme complémentaires, c'est bien parce que connaître
et pratiquer visent une même connaissance libératrice.
Le Sâmkhya
Date de naissance approximative : ± 400 après J.-C.
Textes de base: le Sâmkhyakârikâ d'Ishvarakri
shna, en tout 72 versets, et son Commentaire par Gau
dapâda au VI e siècle.
D'autres Commentaires apparaîtront au cours des
siècles suivants.
Les kârikâ de la Sâmkhyakârikâ sont
des commentaires en vers, tout aussi courts et ellip
tiques que les sûtras.
Le Sâmkhya est essentiellement dualiste et acces
soirement «athée» pour cette même raison.
Dualiste en ce sens que n'existent pour lui que
deux entités éternelles et incréées : la Nature (non
manifestée) et l'Esprit (non-incarné).
Lorsque la Nature (Prakriti) se manifeste, elle produit
tout ce qui existe (ses 23 «dérivés» et modifications:
voir tableau).
Lorsque l'Esprit (Purusha) 1 s'incarne en
l'homme, l'animal, la«divinité», il le fait selon l'ordre
du karma-samsâra.
C'est dire que ni la Nature ni l'Esprit, dans leur réa
lité ultime, ne se laissent appréhender par les sens ou
la raison.
C'est dire autrement qu'affirmer leur exis
tence ne peut se faire que selon un raisonnement qui
est de l'ordre de l'inférence.
La Nature (Prakriti)
Le verset 15 de la Sâmkhyakârikâ dit ceci (trad.
de
A.-M.
Esnoul, in L 'Hindouisme, op.
cité, p.
361) :
« Le Non-Manifesté existe : a) parce que les objets par
ticuliers sont limités; b) parce qu'ils sont connexes;
c) parce que l 'activité est en rapport avec l'efficience;
d) parce que cause et effet diffèrent; e) parce que les
formes universelles sont indifférenciées.
»
1.
Purusha signifiait initialement l'Homme, l'Humanité.
Dans le Sâmkhya, il signifie la monade spirituelle.
Monade : unité simple, non-composée, sans commencement ni
fin, donc éternelle, non modifiable de l'extérieur.
Spirituelle: douée de conscience et, partant, capable d'aperce
voir le «spectacle» extérieur et d 'intuitionner son parfait isolement
«originaire».
Il est évident qu'un tel texte appelle commentaire,
si l'on veut y comprendre quelque chose.
En voici, en
bref, un pour chaque point.
- Le Non-Manifesté est la Nature dans son
essence, sans ses «dérivés».
a.
Tous les objets particuliers étant finis cela sup
pose une matière infinie, non mesurable, dont ils tirent
leur existence mesurable.
b.
Non seulement les objets paiticuliers sont finis
et mesurables, mais encore ils sont «connexes», c'est
à-dire semblables à eux-mêmes en toutes leurs parties
et exemplaires.
D'où l'on infère la Nature comme
cause de leur homogénéité et de leur multiplicité.
c.
Probablement ceci: du fait que l'activité pro
ductrice d'objets particuliers est efficace, cela suppose
l'intervention d'un maître d'œuvre: la nature non
manifestée en tant que cause suprême.
d.
Tout effet ayant une cause, on peut légitime
ment inférer que l'univers des objets particuliers a une
cause : la Nature.
e.
Lorsque la nature manifestée se résorbe dans la
dissolution générale (pralaya, dissolution ou état de
«dé-manifestation»), toutes les différences s 'estom
pent, mais ne disparaît pas ce qui en est la «source» : la
Nature non-manifestée.
(Remarque : la dissolution géné
rale est un thème constant de la cosmologie indienne,
selon laquelle à une ère de manifestation succède une
ère de dé-manifestation, suivie d'une nouvelle ère de
manifestation, et cela de façon infinie et cyclique).
Les vingt-cinq cc réalités»
@jPURUSHAj
Esprit non-composé, pur, absolu,
éternel, «isolé»
LES SEPT
DÉRIVÉS
® L'INTELLECT:
faculté d'éveil,
intelligence et
volonté
®L'EGO: le
"je» qui en pro
cède
purushas : «âmes» multiples incar
nées, distinctes, indépendantes de
la Nature;
aliénées dans l'illusion du flux phé
noménal dont elles ne se libèrent
qu'en se réappropriant leur "isole
ment» de témoin-spectateur neutre,
non-agent, radicalement différent de
la Nature (Prakriti).
Les cinq élé
ments subtils
© LE SON ----+---�
® LA FORME- --CO\_JLEUR
® LE CONTACT --
© LA SAVEUR 4+--® L'ODEUR -----
les six points de vue orthodoxes / 67
du Sâmkhya
0
j
PRAKRIT!
1
Nature non-manifestée, éternelle,
sans «dérivés,, ni modifications
l
NATURE MANIFESTÉE:
LES SEIZE MODIFICATIONS
Les 5 organes 1 Les 5 organes
d'action
de connaissance
(ne fonctionnent qu'au présent)
® L'OUÏE
® LA VISION
@ LE TOUCHER
@ LE GOÜT
@ L'ODORAT
®MANAS: le
sens interne
organe centralisateur et coordonnateur (au
passé, présent,
avenir)
@ (PAROLE)
VOIX
@ (PRÉHENSION)
MAINS
@ (LOCOMOTION)
PIEDS
@ (EXCRÉTION)
ANUS
@ (GÉNÉRATION)
GÉNITOIRES
--
---
Les cinq « grands éléments,, dont la
combinaison forme l'univers sensible
@ ESPACE-ETHER
@ LE FEU
L'AIR
L'EAU
€31 LA TERRE
@
@
Ce tableau pourrait encore se complexifier de nom
breux modes et de nombreuses flèches indiquant des
engendrements évolutifs et des rapports (par exemple
entre les cinq éléments subtils et les cinq grands élé- .
ments mais aussi les cinq organes de connaissance,..)
Trois propriétés complètent le tableau mais n'y
entrent pas, car elles sont les moteurs mêmes de la
«qualité» de toute évolution : le sattva, le rajas et le
tamas.
Le petit tableau ci-dessous indique leurs conte
nus et correspondances.
Les trois gunas
sattva
rajas
tamas
réalité pure
réalité passionnelle
réalité sombre
vue claire
vue trouble
vue nulle
sérénité
agitation, douleur
inertie
connaissance
incertitude
ignorance
divin
humain
animal
légèreté
mobilité, activité
lourdeur
femme mariée
maîtresse
prostituée
Tout se passe.
comme si ces qualités-propriétés
(gunas), inhérentes à la Nature non-manifestée (Pra
kriti), en quelque sorte tapies en elle et en équilibre
immobile, ne se mettaient en branle qu'au moment de la
Manifestation, suscitée non seulement par le grand jeu
de yoyo évolution-involution mais aussi paradoxale
ment par l'incarnation de !'Esprit (Purusha).
Comme si
celui-ci apparaissant au spectacle de la Manifestation et
s'incarnant dans les âmes (purushas), ne pouvait, alors
qu'il est sans propriétés (nirguna) - on dit aussi sans
qualités ou non-qualifié - que se revêtir de ces pro
priétés de par son incarnation, de par son «contact»
avec le Manifesté dont il est pourtant essentiellement
différent, mais dont il se croit, faussement, affecté.
L'Esprit (Purusha)
Le verset 17 de la Sâmk:hya kârikâ dit ceci :
«l'esprit existe parce que al des agrégats ne subsis
tent que par rapport à quelque chose d'autre; bl il
existe un état inverse à celui des trois attributs; cl il
faut quelqu'un qûi contrôle; dl expérimente et el la
tendance est générale à l'isolement libérateur.
»
(in L'hindouisme, op.
cité, p.
361 ).
Commentons brièvement point par point.
a/ Les êtres existants n'ont pas de raison d'être en
eux-mêmes, d'où l'on infère l'existence de l'Esprit.
b/ Le fait même que les choses existantes se diver
sifient selon les trois propriétés ou qualifications
(gunas) implique logiquement un état sans propriétés
(nirguna).
D'où l'on infère l'existence de !'Esprit.
c/ L'activité même de l'âme incarnée suppose
qu'elle soit dirigée et contrôlée par un principe exté
rieur : l'Esprit.
dl L'âme ne pouvant s 'expérimenter ni se percevoir
elle-même suppose logiquement un «sujet» capable
de le faire: !'Esprit (purusha).
e/ Le fait même que l'âme «éprouve» un désir
incoercible d'échapper au karman-samsâra, qu'elle
subit dans un apparent contact avec le Manifesté, est
une pre uve suppléme ntaire de son étrange té radicale
par rapport à celui-ci.
L'âme n'a de cesse qu'elle ne retrouve son« isole
ment» (kaivalya), qu'elle ne se libère du spectacle
dans lequel elle s'emprisonnè, etc.
Un dualisme athée
L'existence même de deux principes coéternels et
radicalement étrangers l'un à l'autre, implique logi
quement un athéisme structurel, puisqu'il n'y a aucune
dépendance, quelle qu'elle soit, de l'un à l'autre, ni
identification possible, quelle qu'elle soit, du Non
Manifesté et du Purusha, du Manifesté et des purushas
(âmes) incarnés.
Dialectique de /'Esprit et de la Nature
« De même qu'un ascète mendiant demeure au même
endroit et ne suit pas les gens qui vont et viennent mais
se contente de les regarder courir, de même l'âme
regarde simplement les événements, tandis que les trois
guna sont le siège de l'évolution et de l'involution.»
in Grousset, op.
cité, p.
118
Verset 21 de la Sâmkhyakârikâ :
« Le but de cette union" est la perception par /'Esprit
de la Nature originelle; c'est aussi pour lui, l'isole
ment libérateur b.
(Une telle union) comparable à celle
d'un boiteux et d'un aveugle produit la création.»
in l'hindouisme, op.
cité, p.
36 l
a.
li s'agit ici de !'«union» de la Nature et de !'Esprit.
b.
« Isolement» (kaivalya).
En tant que monade spirituelle,
l'âme est nécessairement isolée, unique, indépendante, pure, sans
propriétés (nirguna).
Un commentaire raconte l'histoire d'un aveugle et
d'un paralytique.
L'aveugle étant la nature qui court
sans but; le paralytique, l'esprit....
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