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Le sérieux et le rire La portée des deux pièces Les portraits de Trissotin, de Philaminte et d'Armande nous l'ont...

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« Le sérieux et le rire La portée des deux pièces Les portraits de Trissotin, de Philaminte et d'Armande nous l'ont prouvé, la satire de Molière est nette, précise, mais elle ne porte pas sur la science ni sur l'esprit féminin, ni sur le droit de tous les hommes et de toutes les femmes à l'instruc_,,- tion.

Rien en tout cas, à ce stade de notre analyse, ne permet de le dire.

Elle porte uniquement, comme l'a bîen vu Voltaire, sur la fausse poésie, sur l'idéalisme contraire à la nature, sur les vanités littéraires et philosophiques, sur la volonté égoïste d'imposer à quiconque, par la force, par le mariage ou par une longue imprégnation, une vie autre que celle qu'il so_uhaite.

«L'esprit n'a pas de sexe», écrit Poulain de la Barre un an après Les Femmes Savantes.

Le droit non plus.

Aucune des femmes véritablement instruites de la seconde moitié du XVII• siècle1 ne s'est sentie visée par la pièce, ni aucun des savants avec lesquels elles travaillaient, Cassini l'astronome, Duvemy le biologiste, Sauveur et Rohaut_ les physiciens (Rohaut était d'ailleurs un ami de Molière).

Elèves et maîtres comprenaient fort bien que le rôle de l'auteur comique n'est pas de faire réciter sur scène des professions de foi, mais de dénoncer des ridicules et par là, seulement par là, d'inviter à la réflexion. Balzac dans l'Avant-propos de La Comédie Humaine se défend vigoureusement contre tous ceux qui prétendent lui attribuer d'autres positions que les siennes.

« Il se trouvera qu'on aura mal interprété quelque ironie, dit-il; ou bien l'on rétorquera mal à propos contre moi le discours d'un de mes personnages, manœuvre particulière aux calomniateurs.

» Molière, bien sûr, n'a pas échappé à ces tentatives.

On a dit très souvent qu'il s'était exprimé par la bouche de Chrysale, de Clitandre, d'Henriette, - même de Martine parfois. Voyons ce qu'il en est. 1.

Voir plus haut page 30. UN BRAVE�HOMME QUI EST UN LÂCHE Chrysale est un homme assez fin, instruit, bonhomme, au premier abord effectivement assez sympathique.

Il est très rièhe et il sait l'importance de l'argent : quand il se croît ruiné, c'est pour lui un coup sensible.

Mais il acceptait volontiers un gendre sans grande fortune pourvu que ce soit un honnête homme qui plaise à sa fille par des _qualités certaines : Il est riche en vertu, cela vaut des trésors. (vers 405) Chrysale sait parler, et il trouve des formules excellentes dans sa grande colère du deuxième acte pour réprouver les agisse­ ments de sa femme et de sa sœur : Le moindre solécisme en parlant vous irrite ; Mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite. [...] Raisonner est l'emploi de toute ma maison, Et le raisonnement en bannit la raison. (vers 559-560 et 597-598) Il est bien plus grave, en effet, intellectuellement et mora­ lement, de jeter une servante à la ru'e (en un temps où n'existait comme on s'en doute aucun recours, aucune indem­ nité de licenciement ou de chômage) que de faire une faute de français.

Sur tous ces points, Molière et tous les spectateurs approuvent Chrysale.

Mais comme serait-il possible d'attri­ buer à l'auteur lui-même des affirmations comme celles-ci Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes 1 , Qu'une femme étudie et sache tant de choses... Nos pères, sur ce point, étaient gens bien sensés, Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez Quand la capacité de son esprit se hausse A connaître un pourpoint d'avec un haut-de-chausses. (vers 571-572, 577-580) 1.

La principale cause invoquée était celle-ci a très facilement tentée, comme Éve, la femme risque le plus souvent de n'utiliser ses connaissances, la médecine par exemple, que pour le mal ! Tertullien, le célèbre tbéolo_gjen latin, allait Jusqu'à drre : « Femme, tu es la porte du Diable.

C'est toi qm la première, au jardin d'Éden, as mangé du mauvais fruit.

C'est toi q_ui as persuadé l'homme, , que 1� Diable n'osait attaquer en face.

C'est à cause de toi que le Christ a dû ,,, �mounr pour nous racheter.

» On cr�irait presque entendre dans L 'École des Femmes les vers d'Amolphe, - Amolphe qui, avide d'Agnès, était seu­ lement plus possessif et plus cynique : Et c'est assez pour elle, à vous en bien parler, De savoir prier Dieu, m'aimer; coudre et filer. (vers 101-102) Or Arnolphe est certainement l'un des personnages les plus ridicules et les plus pitoyables de toute l'œuvre de Molière, l'un de ceux avec lesquels son créateur veut le moins s'identifier, même s'il lui a donné inconsciemment quelques traits qui sont les siens...

Au surplus, Chrysale nous est présenté expressément comme un faible, et même comme un lâche, qui accepte, pour ne pas essuyer les « tempêtes » de sa femme, ce qu'il considère lui-même comme des injustices sans excuse, des décisions extrêmement dangereuses pour le bon­ heur de ses filles.

Les spectateurs se détournent de lui, après réflexion, presque autant que de Philaminte.

Molière assu­ rément ne s'exprime pas par sa bouche. UN GENTILHOMME QUI NE SAIT PAS SE TAIRE Clitandre a plus d'allure, certes; c'est l'adversaire direct de Trissotin.

Mais lui aussi a son caractère particulier fort bien défini, et Molière, en bon auteur de théâtre, le fait parler avant tout suivant ce caractère, selon sa condition nettement indiquée de gentilhomme...

Clitandre a son péché mignon : il ne sait pas se taire.

Homme de cour habitué à briller, à séduire, à plaisanter aimablement, n'ayant jamais eu, à vaincre de difficultés réelles, il s'est même donné pour principe de - faire toujours sentir immédiatement ce qu'il pense, en termes choisis sans doute, mais tout de go, sans égard aux réactions d'autrui.

Non seulement il ne flatte pas Philaminte, même par simple politesse, mais il la heurte comme à plaisir et se fait d'elle une ennemie irréconciliable alors qu'il connaît sa puissance dans la maison.

Sous prétexte de franchise il peut même apparaître parfois comme manquant singulièrement de délicatesse envers celle qu'il aime, - lorsqu'il exglique à Armande par exemple, devant Henriette, qu'il ne s'est tourné vers son nouvel amour qu'en désespoir de cause, se cherchant -- une consolatrice qui puisse accepter sans dédain « le rebut d'autres charmes».

Les mots peuvent être adoucis par le ton sans doute, par un certain sourire.

Ils sont tout de même difficiles à accepter. On veut que les célèbres vers de Clitandre, au premier acte, • représentent exactement la thèse de la pièce : Je consens qu'une femme ait des clattés de tout; Mais je ne lui veux point la passion choquante De se rendre savante afin d'être savante ... De son étude enfin je veux qu'elle se cache, Et qu'elle ait du savoir sans vouloir qu'on le sache...

etc. (vers 218 et suivants) et naturellement on a beau jeu de critiquer l'insuffisance d'un tel programme.

C'est une culture de surface, une élégance, en fait, beaucoup plus qu'une culture réelle ...

Mais c'était bien là la culture unique de la plupart des « gentilshommes», le vernis des hommes de cour dont Molière s'est moqué si finement par la bouche de Mascarille : « Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris 1• » « Le_ vrai honnête homme, n'est-ce pas, l'homme poli et qui sait vivre, est celui qui ne se pique de rien2 » - même pas de connaissances véritables ! Clitandre ne demande aux femmes du monde, tout à fait dans le même esprit, qu'un peu plus de discrétion encore, pour garder leur fémininité3 ! Molière, lui, détestait tous les vernis, que ce soit en science, en littérature ou en religion ; il exigeait des médecins la compétence, des dévots une vie conforme à l'Évangile, des écrivains la vérité humaine, de tous, hommes et femmes, une personnalité profonde.

Son idéal d'auteur comique qui nous fait rire de tous les défauts des hommes, c'est « le sérieux». 1.

Voir plus haut J?.age 43. 2.

Bussy-Rabutin, lettre du 6 mars 1679 et La Rochefoucauld, Maximes, 203. 3.

Madeleine de Scudéry, elle aussi - nous l'avons vu page 43 - n'était pas loin de croire qu'elle savait toutes choses.... »

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