Le temps et l'éternité Sur le plan technique, l'écriture de Huis clos posait à Sartre une redoutable difficulté: comment suggérer...
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Le temps
et l'éternité
Sur le plan technique, l'écriture de Huis clos posait à
Sartre une redoutable difficulté: comment suggérer l'éter
nité? Par définition, il n'y a ni passé ni présent ni futur.
Avec les dates et les horloges, la chronologie est une in
vention humaine.
L'éternité est, quant à elle, une donnée
insaisissable et même inconcevable.
Sartre réussit pour
tant la prouesse d'en rendre l'impression.
Il y parvient par deux moyens: par l'effacement progres
sif du temps humain et par la suggestion d'une durée sans
fin.
Cette éternité, ainsi rendue, devient en outre, par la
connaissance absolue des choses et des êtres qu'elle pro
cure, une source de souffrance pour les personnages.
L'EFFACEMENT
PROGRESSIF
DU TEMPS HUMAIN
L'appréciation de l'éternité se fait d'abord par rapport au
temps humain.
D'une part, celui-ci s'accélère si vite que
l'idée de chronologie se vide de tout sens; d'autre part,
les repères temporels disparaissent progressivement.
Une destruction rapide
de la chronologie
Au moins au début, les damnés possèdent encore la
possibilité de contempler leurs proches restés «là-bas».
Or, comme le remarque Estelle, «le temps passe vite sur
terre» (p.
34).
De fait, Garein voit sa femme en deuil dans une rue de
Rio «où il fait un beau soleil» (p.
32).
Un peu plus loin, il
constate, à Rio toujours, qu' « il neige dehors» (p.
54).
On
ne peut mieux souligner la fuite accélérée du temps.
Inès
éprouve la même expérience.
La chambre où elle a vécu
avec Florence est « vide, avec des volets clos», puis à
louer (p.
55).
enfin louée : « Les fenêtres sont grandes ouvertes» (p.
63).
Le temps nécessaire à l'échange des répliques entre les trois personnages ne correspond pas à la
durée vraisemblable des faits et gestes qu'ils observent.
L'accélération du temps se fait en outre de plus en plus
rapide.
La femme de Garein, par exemple, « est morte tout
à l'heure.
Il y a deux mois environ» (p.
81 ).
La chronologie
se contracte au point de perdre toute valeur.
La disparition de tout repère
temporel
De la contraction à l'effacement de la durée, il n'y a
qu'une nuance, vite supprimée.
Les personnages deviennent bientôt aveugles à ce qui
se passe sur terre.
Leur cécité gomme alors le temps.
Ou
bien la surdité les frappe.
Le résultat est le même.
Perdant
tout contact auditif ou visuel avec le monde, le trio se
trouve privé de repère.
Chacun des damnés ressent douloureusement cet arrachement hors du temps.
C'est Inès qui s'exclame: «Je ne
vois plus, je n'entends plus.
Eh bien, je suppose que j'en
ai fini avec la terre» (p.
64).
Estelle, de son côté, constate :
« Je n'entends plus du tout.
[ ...
] La terre m'a quittée»
(p.
71).
Quant à Garein, évoquant ses collègues journalistes, il ne les « entend » également plus : « Je ne suis
plus rien sur terre» (p.
89), dit-il.
Le temps humain s'étant
désintégré, l'éternité peut dès lors commencer.
UNE DURÉE SANS FIN
Par comparaison avec l'écoulement puis la disparition de
la chronologie, l'éternité se définit par sa fixité.
Elle est un
présent immobile et, par conséquent, à jamais identique.
Un présent immobile
L'arrivée des damnés en enfer correspond à leur projection dans le perpétuel, dans l'éternité.
La première scène
54
de la pièce en précise les caractéristiques : plus de sommeil (p.
16), plus de nuit, mais des lampes qui ne s'éteignent jamais.
C'est un «jour» (p.
18), exempt de toute
temporalité.
Il n'est même plus nécessaire de se laver les
dents.....
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