Le tragique hors tragédie 1 - EN LITTÉRATURE • Les romans tragiques Le retour du tragique ne pouvait que marquer...
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Le tragique
hors tragédie
1 - EN LITTÉRATURE
• Les romans tragiques
Le retour du tragique ne pouvait que marquer profondément la lit
térature romanesque.
Déjà Zola au XIX• siècle avait réintroduit,
modernisées, les vieilles fatalités dans son cycle des Rougon
Macquart: nombre de ses personnages succombaient sous le
poids de l'hérédité et de l'oppression sociale, victimes de leurs
propres tares, transmises de génération en génération, et des
cruautés de !'Histoire; dans L'Assommoir (1877) l'héroïne,
Gervaise, roulait au ruisseau et à une mort sordide, prisonnière
et de l'alcoolisme et du milieu ouvrier (l'un n'allant pas sans
l'autre); certains aussi lançaient à nouveau d'héroïques défis
aux forces obscures, tel Étienne Lantier dans Germinal (1885),
figure emblématique de la révolution prolétarienne.
Les grands romanciers du XX• siècle ne seront pas en reste.
Dans Voyage au bout de la nuit (1932), Bardamu, l'anti-héros de
Céline, paraît aussi impuissant, éternel vaincu, que les person
nages de Beckett ou de Ionesco, devant l'absurdité des temps
modernes où sévissent, intactes, ou plutôt accrues, renforcées,
les tyrannies inhérentes à l'existence, à la condition humaine:
le mal, le malheur, la mort, l'exploitation sociale, l'incompréhen
sion et la solitude, les vices et les crimes des individus et des
sociétés...
Malraux, «notre seul poète tragique• (Gaëtan Picon)
retrouve au cœur des combats révolutionnaires et des guerres
civiles les paradoxes tragiques, l'énigmatique alliance de la
fatalité et de la liberté: ses héros, dans Les Conquérants
(1928), La Voie royale (1930), La Condition humaine (1933) autant de titres significatifs! - veulent agir dans le néant, mais
finissent par reconnaître ce néant au sein de leur action, et
n'ont, en fin de compte, pour toute victoire, au terme d'une vie
militante, qu'une mort acceptée ou volontaire.
Ainsi celui qui
disait: « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie" renouait
il pleinement avec l'ambiguïté tragique.
De même L'Espoir
(1937), consacré aux atrocités et aux héroïsmes de la guerre
d'Espagne, ce sanglant prélude à la Seconde Guerre mondiale,
apparaissait comme le digne pendant d'un autre grand roman
tragique, Pour qui sonne le glas (1940), de !'Américain
Hemingway, lui aussi engagé aux côtés des républicains espa
gnols.
Dans ces œuvres romanesques le tragique recevait mal
gré tout quelque lumière des actions généreuses et du mythe
grandiose de la révolution.
Dans l'univers de Camus le malheur
et la mort, l'irrémédiable divorce entre l'homme et le monde se
révélaient au contraire dans leur pathétique nudité, dépouillés
de tout ornement, de toute illusion (L'Étranger, 1942), même si
La Peste (194 7) entendait se révolter avec efficacité contre tous
les fléaux qui asservissent et broient l'individu.
• Les poètes tragiques
Toute une production poétique, nourrie d'une conscience tragique,
sous le signe de la «mélancolie» - autrement dit, au sens étymo
logique du terme, I' « humeur noire•, une profonde tristesse et un
pessimisme généralisé-, court, comme un fil sombre, de l'époque
romantique aux temps modernes.
Dans le sillage d'abord de
Chateaubriand, le grand prosateur lyrique de René (1805) et des
Mémoires d'outre-tombe (1848), l'inventeur du• vague des pas
sions", et du «mal du siècle", des poètes comme Musset, Vigny,
Nerval ne cesseront de célébrer les souffrances d'un "moi» soli
taire, incompris, paria même, mais aussi singulier, exceptionnel,
marqué du sceau du génie.
Entre songe et folie, en proie à ses
Chimères (1854) Nerval par exemple se veut «el desdichado", le
chevalier déshérité, «le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé".
Dans
ses Destinées (1864) Vigny se penche sur l'énigme de la condition
humaine, et brosse, sur fond d'amertume philosophique ou méta
physique, ce sinistre tableau de l'humanité:
« Depuis les premiers jours de la création
Les pieds lourds et puissants de chaque Destinée
Pesaient sur chaque tête et sur toute action.
Chaque front se courbait et traçait sa journée
Comme le front d'un bœuf creuse un sillon profond
Sans dépasser la pierre où sa ligne est bornée.
»
Même angoisse fondamentale, dégoût du présent, goût de
l'anéantissement («le mal est de trop vivre et la....
»
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