Le tragique Même si l'accumulation de détails ou de situations cocasses le fait parfois résonner sur le mode mineur, le...
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Le tragique
Même si l'accumulation de détails ou de situations
cocasses le fait parfois résonner sur le mode mineur, le
tragique est indéniablement présent dans les Nouvelles de
Pétersbourg.
En effet, c'est un univers désespéré que
celui des Nouvelles.
L'homme y souffre de toutes les
façons.
La mort y est omniprésente.
La folie vient châtier
la « démesure» de ceux qui, souvent modestement, ont
tenté de se soustraire aux arrêts destructeurs d'une fata
lité qui prend parfois le visage de l'administration, des
chefs de bureau, voire du démon.
Pour finir, l'homme des
Nouvelles de Pétersbourg apparaît comme le jouet d'un
destin tragique et si ce tragique se •mêle parfois de gro
tesque, de comique, d'absurde, il n'en est peut-être que
plus inquiétant.
UN UNIVERS DÉSESPÉRÉ
Les tristes héros des Nouvelles de Pétersbourg souf
frent de toutes les façons.
Piskariov ( « La Perspective
Nevski»), Tchartkov au début du« Portrait», Poprichtchine
(« Le Journal d'un fou»), Akaki Akakiévitch «
( Le Manteau»)
sont pauvres, voire indigents.
Cette pauvreté assortie
d'une situation sociale peu élevée freine leurs désirs :
désirs érotiques, désirs de carrière, de création, aspiration
à être reconnu,· respecté, à jouir de l'estime d'autrui et de
soi-même.
Poprichtchine se fait tancer comme un gamin,
rabaisser par son chef de bureau.
Même les chiens le tour
nent en dérision dans leur correspondance.
Les proposi
tions matrimoniales de Piskariov suscitent l'hilarité d'une
prostituée peu désireuse de partager sa misère d'artiste
honnête.
Akaki Akakiévitch est accoutumé à vivre dans
une gêne qui se transforme en indigence dès lors qu'il
décide d'économiser la somme nécessaire à l'achat d'un
nouveau manteau.
Plus, il est le souffre-douleur de ses
collègues de bureau, qui ne cessent de le tourmenter, de
se moquer de lui, vont même jusqu'à lui verser sur la tête
des rognures de papier.
À toutes ces vexations, Akaki
Akakiévitch, piètre orateur (il s'exprime en général par des
sortes de borborygmes) répond par une phrase toute
simple : «Laissez-moi! Que vous ai-je fait?» (p.
240.)
Ces simples mots détermineront la «conversion» d'un
jeune homme récemment entré au ministère et qui avait
cru bon, dans un premier temps, de s'associer aux persécutions menées contre Akaki Akakiévitch.
Confronté à sa
propre cruauté, il est saisi de honte et de pitié.
Le lecteur
partage jusqu'à un certain point cette pitié qui est l'un des
traits distinctifs du tragique.
Aussi comprend-on pourquoi
de très nombreux commentateurs se sont fondés sur ce
passage pour parler de l'humanisme de Gogol, pour voir
en lui le défenseur des humiliés et des offensés.
Les misérables héros de Gogol souffrent aussi dans leur
chair.
Pirogov (« La Perspective Nevski») se fait rosser par
des artisans allemands en colère.
Kovaliov (« Le Nez») perd
son nez.
Dans« Le Journal d'un fou», Poprichtchine, devenu
pensionnaire d'une maison de fous, est battu à coups de
bâton, tondu, aspergé d'eau glacée.
Akaki Akakiévitch est
attaqué et molesté par des voleurs.
Le monde où évoluent ces homoncules pitoyables est
sans espoir.
Rien ne saurait briser le cercle maléfique de la souffra,nce physique et morale, de l'échec.
DES MORTS TRAGIQUES
Dans trois des cinq nouvelles, les protagonistes trouvent
la mort.
Dans le cas de Piskariov (« La Perspective Nevski»),
il s'agit d'un suicide.
Le rêveur idéaliste n'a pas pu supporter'le démenti que la réalité opposait à son idéal.
Dans « Le
Portrait», la mort terrifiante de Tchartkov atteint tout à la
fois de fièvre maligne, de phtisie et de démence, est, elle
aussi, une sorte de suicide.
Sa folie jalouse et destructrice
se retourne contre lui, se métamorphose en démence
d'autodestruction.
Les yeux maléfiques qui peuplent son
agonie sont autant de rappels du passé et d'annonces de
la damnation.
Akaki Akakiévitch meurt d'une angine qui se transforme
en pneumonie.
En fait, il ne peut survivre à la perte de son
manteau, objet d'amour longuement désiré et qui lui
échappe à peine possédé.
Il ne peut pas non plus survivre
à l'humiliation publique que lui inflige le « personnage
important».
Dans le délire qui précède sa mort, il profère
d'horribles blasphèmes.
Les trois personnages ont en commun de ne pouvoir supporter la disparition de ce qui était pour eux l'essentiel :
l'idéal de pureté et de beauté pour Piskariov, le talent et le
culte du beau pour Tchartkov, l'honneur et l'idéal pour
Akaki Akakiévitch.
En ce sens, ils sont investis d'une certaine grandeur qui leur confère, en dépit de leurs ridicules
et de leur petitesse, une stature de héros tragique, Tous
trois plongent avant leur mort dans des états voisins de la
folie.
Ces morts peuvent être qualifiées de tragiques.
Elles
ne relèvent pas de l'ordre courant des choses.
Leur horreur est propre à frapper les imaginations.
DÉSESPOIR ET FOLIE
Piskariov (« La Perspective Nevski») cherchait refuge
dans le paradis artificiel de l'opium.
Tchartkov (« Le Portrait»)
et Akaki....
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