Le traitement du temps Le titre même de l'œuvre attire l'attention sur le temps et souli gne de ce fait...
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«
Le traitement du temps
Le titre même de l'œuvre attire l'attention sur le temps et souli
gne de ce fait son importance.
Par définition, la notion même de
« fin» implique en effet l'arrêt d'un processus, d'un phénomène ou
d'une action qui s'est développé.
Ce temps, Beckett le traite d'une manière singulière et originale.
Il en brouille les moindres repères tout en en suggérant l'écou
lement et la progression vers une « fin » qui demeure toutefois
problématique.
LE BROUILLAGE
DES REPÈRES TEMPORELS
Beckett donne plusieurs indications temporelles pour mieux
les vider de toute fonction et signification.
Dater quoi que ce soit
est impossible.
Tout est monotone, et dépourvu de toute pers
pective.
Une datation et une chronologie
impossibles à fixer
La pièce est censée se dérouler« en fin de journée».
De quelle
journée s'agit-il? On ne le saura jamais.
Cela n'a de toute façon
aucune importance, puisque « c'est une fin de journée comme
les autres» (p.
26).
On ne peut non plus déterminer l'heure.
Le soleil devrait être « en train de se coucher», mais ce n'est
pourtant pas la nuit.
Il fait « gris», « noir clair» (p.
46) et l'heure
est« la même que d'habitude» (p.
16).
Le présent reste toujours
indécis.
Aucune référence ou allusion historique ne permet par ailleurs de
dater la situation.
La mention du téléphone 1 (p.
23) et la citation de
deux vers de Baudelaire (p.
109, ➔ PROBLÉMATIQUE 5) permettent tout
juste de dire que nous sommes après 1880.
Mais sommes-nous au
XX" siècle ou bien au-delà? Quand s'est produit ce qui ressemble à
un cataclysme universel? Ce sont autant de questions sans réponse.
On ignore même l'âge des quatre personnages.
1Une indistincte monotonie
Cette « fin de journée » voit par ailleurs la répétition des gestes
accomplis la veille et l'avant-veille et probablement dans un passé
encore plus lointain.
Hamm demande rituellement si « ce n'est pas
l'heure de son calmant » (p.
24), comme hier, sans même savoir
quelle heure il est.
Nagg et Nell tentent de s'embrasser:« Pourquoi cette comédie,
tous les jours » (p.
27) interroge Nell.
Nagg lui raconte
Hamm, Clov observe l'univers à la lunette.
rien ne se produit jamais?
«
«
encore »
A la
demande de
A quoi
bon, puisque
(p.
34) l'histoire de !'Anglais et du pantalon.
Pourquoi cette comédie, tous les
jours », demande à son tour Clov.
«
La routine.
On ne sait jamais »
(p.
47), lui répond Hamm.
Le présent est une telle réitération de la veille qu'il ne s'en distingue plus.
Le mot perd tout sens.
«
Hier! Qu'est-ce que ça veut
dire.
Hier!» (p.
60).
1Une absence de toute perspective
Le futur est à l'image de ce passé sans signification et de ce
présent flou: il est lui aussi indécis, vague.
Il se résume à« un jour»:
«
un jour tu sauras...
»
(p.
52), dit Hamm à Clov.
Mais quand? Clov
lui-même espère « un jour » pouvoir partir (p.
106).
Mais, encore une
fois, quand? t:avenir n'est qu'un mirage, un rêve impossible, insensé
1.
Graham Bell inventa le téléphone en 1876.
PROBLÉMATIQUES
ESSENTIELLES
101
comme celui que forme Hamm d'aller en « radeau »sur« la mer», et
de se laisser emporter au loin:« Demain je serai loin» (p.
50).
C'est évidemment impossible.
Il n'y a pas de radeau et Hamm
est paralysé et aveugle.
Aussi demande-t-il si ce n'est pas« l'heure
de son calmant » (p.
50).
Le futur sera une longue attente, la même
que maintenant et celle d'hier.
Le temps est un flot indistinct 1.
LA PROGRESSION
DE « QUELQUE CHOSE »
Même s'ils sont incapables de se situer précisément dans le
temps, les personnages ne vivent pas pour autant en dehors du
temps.
Un certain sentiment de la durée les habite, ainsi que la
certitude que « quelque chose suit son cours » (p.
26).
Manque et
décrépitude en apportent d'ailleurs la preuve.
1Un certain sentiment de la durée
« Assez, il est temps que cela finisse » (p.
15), déclare d'emblée
Hamm, qui a donc conscience d'un processus en cours.
Le passé
est de fait moins inexistant que perdu et lointain.
C'est le souvenir
peureux d'« une après-midi d'avril» sur le lac de Côme, quand
Nagg et Nell venaient de se fiancer (p.
34).
Hamm se souvient de
la Mère Pegg quand tous deux étaient jeunes.
Il la trouvait alors
« jolie comme un cœur », « autrefois ».
Clov lui fait remarquer
qu'« il est rare qu'on ne soit pas joli - autrefois» (p.
59).
Le passé se confond ainsi avec un bonheur perdu et il est, pour
cette raison, toujours évoqué sur le mode élégiaque 2 • Le contraste
avec le présent n'en est que plus fort.
«
Finie la rigolade » (p.
76),
comme le dit Hamm.
1.
On lit de même dans En attendant Godot: • Vous n'avez pas fini de m'empoisonner
avec vos histoires de temps? C'est insensé! Quand ! Quand! Un jour, ça ne vous suffit
pas, un jour pareil aux autres [...] • (Éditions de Minuit, Paris, p.
126).
2.
Est élégiaque ce qui est triste et regret d'un temps heureux.
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PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
I· «
Quelque chose suit son cours »
Cette durée n'est jamais évaluée en nombre de mois ou
d'années.
Elle n'en continue pas moins de s'étirer,....
»
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